Parallèlement le motif de l’arbre suit son cours : comme suite au « Jeune arbre », Ponge écrit, la même année, « Mon arbre », où s’exprime au futur la confiance dans le devenir de cet arbre (qu’il ne qualifie plus de « jeune ») :
‘Mon arbre dans un siècle encore malentenduOn observe là le retour, en même temps que la valorisation, du mot « raisons ». La position de l’auteur face à la raison est complexe : tout en luttant contre la prétention du langage à dire une vérité logique, il aspire à rejoindre les « raisons éternelles ». C’est qu’elle ne sont pas du même ordre que celles des « monuments de raison », mais cette différence ne sera mise en lumière que plus tard, avec le rapprochement raison/réson. En tout état de cause, la position de Ponge ne se confond en rien avec un antirationalisme.
Mais c’est à la fin de l’année 1926 que le motif subit une évolution remarquable, avec « Le Tronc d’arbre ». Poussant beaucoup plus loin que « Le Jeune Arbre » l’entreprise de dépouillement volontaire, le texte propose un arbre débarrassé non seulement de ses fleurs et de ses fruits, mais aussi de son feuillage, et même de son écorce, c’est à dire de tout ce qui fait joli mais qui est contingent, tributaire d’émotions passagères :
‘Puisque bientôt l’hiver va nous mettre en valeurAux joliesses du feuillage est préférée l’austérité du tronc d’arbre nu. Avec cet idéal ascétique on est loin des massifs et parterres colorés de « La Promenade dans nos serres ». Désormais il s’agit de se confronter à une expérience de dépouillement extrême qui consiste en quelque sorte à mourir à soi-même. La mort continue à travailler en profondeur le projet esthétique de Ponge, jusqu’à en fournir un idéal :
‘Ainsi s’efforce un arbre encore sous l’écorceC’est en 1929 que le processus de dépouillement-affirmation initié dans « Le Jeune Arbre » connaîtra son aboutissement, avec le poème « Le Monument ». Il s’agit d’une radicalisation extrême car le monument en question est la tombe du père : le texte, primitivement intitulé « A mon père décharné », érige en perfection esthétique le corps du père défunt, squelette auquel n’adhère plus aucune chair :
‘Père dont j’ai reçu la vie et ces leçonsDans une première version du poème, Ponge avait écrit :
‘(Tout est bien. Ce seul mot me guérit de la peur)Le drame inauguré par la mort du père en 1923, et la crise de confiance dans le langage qui lui a fait suite trouvent ici leur résolution. Le parti qui a été pris est le bon, puisqu’il permet à la joie de la contemplation de s’exercer jusque devant l’objet le plus effrayant, le plus impensable. Désormais la mort qui a été nommée et regardée en face, va perdre une partie de son pouvoir de sape dans l’exercice du langage.
Le texte, envoyé à Paulhan par Ponge en 1929, figure dans Corr. I, pp. 112-114. Seule une petite partie de ce texte sera publiée, d’abord dans La Table ronde, en 1952, puis dans Le Grand Recueil, Lyres, 1961. Il sera du reste, comme on l’a vu, placé par Ponge en tête du Grand Recueil.