2. Ecrire « contre les paroles » : mise en œuvre d’une rhétorique

« Parler contre » c’est, on l’a vu, le choix qui avait fourni à Ponge une issue au drame de l’expression. A partir de ce choix, la rhétorique du contre va présider, pendant plus de dix ans, à la composition de ses textes descriptifs. Il me faut tenter de décliner la liste de ces différents efforts de résistance en vue de « donner l’impression d’un nouvel idiome ». Ce sera l’occasion de faire le point sur les principaux aspects rhétoriques de l’écriture de Ponge dans sa « première manière », celle qui est emblématisée par Le Parti pris des choses et qui – pour la caractériser sommairement – vise à la production de petits textes clos et extrêmement travaillés. Si cette caractérisation reste sommaire, c’est parce qu’elle correspond à une esthétique qui, bien que dominante dans les textes écrits à cette époque, ne rend pas compte de la totalité d’entre eux. Certains textes, à l’intérieur même du Parti pris, relèvent déjà, par leur longueur et leur ton, d’une autre esthétique : celle à laquelle Ponge va donner sa préférence par la suite. Il est donc important de préciser que certaines des analyses qui vont suivre ne s’appliquent pas à ces quelques textes-là (auxquels je reviendrai dans un autre développement) mais seulement à ceux, majoritaires, que l’on pourrait appeler par commodité les « textes courts ».

Parmi les différents efforts déployés en vue de « parler contre les paroles », je m’arrêterai d’abord sur celui – cité plus haut – que Ponge mentionne lui-même comme but principal dans « Raisons de vivre heureux » : travailler les mots pour « donner l’impression d’un nouvel idiome », les amener à un degré d’évidence qui les rapproche des objets, qui leur confère « l’effet de surprise et de nouveauté des objets de sensations eux-mêmes ».