B. Des obstacles extérieurs

La « prolétarisation » de Ponge

En 1931 Ponge entre aux Messageries Hachette. Voici le témoignage qu’il donne, dans les Entretiens avec Philippe Sollers, de ce que fut pendant sept ans sa vie professionnelle :

‘je me suis (…) effectivement prolétarisé. Je suis entré dans une sorte de bagne qui s’appelait les Messageries Hachette (…), j’étais tout à fait furieux aussi de la façon dont je vivais, n’est-ce pas, pointant à huit heures du matin, puni si j’avais une minute de retard, et travaillant presque, étant donné les trajets (…), douze heures par jour. J’étais furieux et je pensais que je n’existais guère, sinon dans les cellules ou dans les comités syndicaux et dans les meetings, je n’existais guère quant à moi-même et à ma fonction d’écrivain240 (EPS, 76-77). ’

Cette prolétarisation joue en défaveur de la carrière d’écrivain de Ponge, par deux aspects : d’abord celui du manque de temps disponible (d’autant plus que Ponge a maintenant une vie de famille). Sans doute n’est-ce pas là un élément très convaincant pour expliquer l’absence de publication, puisque Ponge trouve malgré tout le temps d’écrire. Le deuxième aspect est celui d’un éloignement de la sphère littéraire, de ses comités de lecture et de ses salons. Ce fait est sans doute plus significatif. Ponge, en effet, partage la vie de petits employés avec lesquels il affirme sa solidarité, et il s’engage dans des responsabilités syndicales. Son retrait par rapport au monde des écrivains et des éditeurs, affirmé dès les années vingt, se confirme. Il « est moins que jamais homme de lettres »241.

Notes
240.

B. Beugnot et B. Veck signalent cependant que, dans le cadre du travail de Ponge aux Messageries, « l’usage quotidien de l’Ediphone l’aurait aidé à surmonter sa difficulté native à l’expression orale » (« Chronologie », OC I, p. IX).

241.

M. Collot, op. cit., p. 56.