Chapitre I : Une parole dans l’Histoire

La période qui s’étend de 1938 à 1944 correspond pour Ponge à une nouvelle approche de la parole, dont les enjeux sont profondément repensés au contact des événements historiques. La position de parole prise pendant l’ère du parti pris des choses est à reconsidérer : face à la gravité des événements, face aux engagements politiques qu’il a récemment pris, Ponge ne peut plus se présenter comme mu essentiellement par le souhait de défendre les choses, de se faire leur avocat. La préoccupation éthique qui, comme on l’a vu, préside depuis l’origine à son œuvre, le pousse de manière de plus en plus pressante à se faire aussi l’avocat de l’humain. Reste à trouver comment cette mission peut s’articuler à une pratique de parole.

Les termes de cette question apparaissent dès 1938, dans « Notes pour un oiseau », où fait retour une réflexion sur le logos. L’aspiration de l’auteur – présente dès l’origine – à inscrire sa parole dans une dimension collective, voire politique, avait été provisoirement mise en sourdine pendant l’ère du parti pris des choses. Elle est vivement réactualisée par les nouveaux engagements de Ponge et par la situation créée par la guerre. S’ouvre une ère d’intense questionnement sur la relation entre la parole et le devenir humain, entre le poétique et le politique.

Aucune transposition simple ne peut être envisagée, aux yeux de Ponge, de l’un à l’autre de ces plans. L’auteur refusant résolument de se convertir à une poésie « engagée », l’articulation entre ses préoccupations et son programme poétique sera entièrement à construire par lui-même, ce qui le conduit à repenser profondément le sens de son projet littéraire, tout particulièrement en terme de connaissance et donc de libération, pour l’homme. Pour cela, il renonce à la conception de la table rase qui était celle où il avait inscrit sa parole, pour prendre appui sur certains discours, où il reconnaît une parenté avec la finalité qu’il se propose : approche marxiste, discours des Lumières. Les prises de position humanistes qu’il affiche peuvent faire penser qu’il évolue à cette époque vers un parti pris de l’homme. Quoi qu’il en soit, la promotion de la dignité humaine, dont la parole lui semble l’emblème le plus éclatant, passe par une offensive violente contre la métaphysique et contre toute autorité ressemblant à une parole divine. Parole à laquelle il oppose, de plus en plus, une parole poétique recréatrice du monde.