A. Critique du discours religieux 

Dans la ligne des philosophes des Lumières, Ponge développe deux griefs principaux à l’égard de la religion : elle entretient l’obscurantisme en paralysant la raison et la connaissance ; elle entretient la résignation en rabaissant l’homme et le persuadant de sa faiblesse et de son malheur. Telles sont les critiques que Ponge présente de manière explicite.

Pour ce qui concerne l’obscurantisme, j’ai déjà cité plus haut le passage dans lequel Ponge déclare combattre pour une poésie qui serve la connaissance, « n’en déplaise aux puissances d’ombre, à Dieu l’ignoble en particulier » (RE, I, 411). Quant à la résignation induite par la religion, elle est tout particulièrement vilipendée dans la « Première méditation nocturne », en 1941 :

‘Dieu égale lâcheté, veulerie, goût masochiste d’être ridicule et dupe.
Dieu est au mieux une faiblesse, une maladie honteuse, méprisable, au mieux pitoyable. (…)
J’abhorre la notion de Dieu. (…)
Le propre de l’homme est de défier Dieu, de n’en pas vouloir. (…) (Souris, curé, plate salope !) (NNR II, II, 1178,1179,1180).’

Le combat contre la résignation est réaffirmé en 1943 dans les « Pages bis » : « Toute tentative d’explication du monde tend à décourager l’homme, à l’incliner à la résignation. (…) Je condamne donc a priori toute métaphysique » (PR, I, 216). Enfin la figure de Dieu comme force d’oppression tyrannique à l’encontre de l’homme est métaphorisée de façon éclatante dans « La Mounine », par « l’autorité terrible » de ce ciel « qui pèse sur la Provence » (RE, I, 412, 415), ce ciel plus noir que bleu, « azur à mine de plomb », qui « tient toute la nature muette » (ibid., 416). « Certes », commente l’auteur,

‘nous n’avions pas besoin de cela (de voir si évidemment le ciel fermé) pour juger que Dieu est une invention ignoble, une insinuation détestable, une proposition malhonnête, une tentative hélas trop réussie d’effondrement des consciences humaines – et que les hommes qui nous y inclinent sont des traîtres ou des imposteurs (ibid., 416).’

A travers ce discours anti-religieux, c’est un nouveau « parler contre » qui se déclare, et avec une virulence étonnante. Et cependant, la cause est plus complexe que cela. La critique explicite recouvre d’importants enjeux implicites, qui se traduisent par une forme de réappropriation du discours religieux – détourné de ses fins.