La promenade dans le bois de pins / La Promenade dans nos serres

Le bois de pins, comme les serres de 1919, est un lieu offert au promeneur. Le « Carnet du Bois de pins » peut ainsi être lu comme un avatar de « La Promenade dans nos serres », une nouvelle promenade, qui introduit bon nombre de transformations significatives. Ainsi la « promenade » y est-elle moins souvent évoquée que l’« évolution », qui peut même devenir « errance ». Le plaisir du bois de pins vient d’abord de ce que « l’on y évolue à l’aise » (RE, I, 377) – ce sont les quasi-premiers mots du texte –, qu’il permet des « évolutions à pied faciles » (ibid., 378). Les connotations du mot « évolutions » ne sont pas celles de la « promenade » : ce n’est pas le tour du propriétaire parmi les serres où tout ce qui pousse est soumis au contrôle, où l’on circule dans les allées prévues, et entre des parterres soigneusement dessinés. Place est faite à une dynamique, à une découverte, à un déplacement libre, sans entraves. Le texte insiste sur cette liberté de mouvements : « L’on s’y assied, s’y étend à l’aise. Il règne un tapis partout » ; « Aucun serpentement de lianes ou de cordes qui gêne le promeneur » (ibid., 378-379).

Or cette aisance est une conséquence de la sobriété et même du dépouillement qui caractérisent le bois de pins, à l’opposé de la luxuriance des serres : « pourquoi ce massif dépouillement des troncs, et pourquoi en conséquence cette aisance de la promenade parmi eux (...) ? » (ibid., 386). Plus trace de cette somptueuse ornementation des mots qui caractérisait « La Promenade dans nos serres ». Cette valorisation du dépouillement est conforme à l’esthétique de l’arbre telle que Ponge l’a élaborée dans les années vingt, mais il est remarquable qu’ici le dépouillement ne s’accompagne plus d’austérité sacrificielle voire funèbre. Au contraire la sobriété y est essentiellement confortable : « Rien de riant, mais quel confort salubre (…), quel salon de musique sobrement parfumé » (ibid., 381). L’absence de profusion florale, d’ornementation, favorise la réflexion et l’intériorité : « Tout y est fait, sans excès, pour laisser l’homme à lui seul. La végétation, l’animation y sont reléguées dans les hauteurs. Rien pour distraire le regard. (...) Point d’anecdotes » (ibid., 381). La promenade, d’éblouie qu’elle était en 1919, est devenue sérieuse et méditative. Le bois de pins, cet espace qui laisse « l’homme seul au milieu de la nature, à ses pensées, à poursuivre une pensée... » est « bien fait pour la promenade sérieuse et la méditation » (ibid., 381). Dans « La Promenade dans nos serres » l’homme avait besoin du secours d’une végétation cultivée par ses soins ; ici il trouve sa place dans une nature qu’il n’a pas construite lui-même. Signe d’une possibilité nouvelle de s’arranger du langage tel qu’il est.

Enfin, dans la dernière partie du texte, la promenade tend à devenir errance (ou errement), ce qui creuse un écart supplémentaire entre l’espace du bois de pins et celui des serres. Mais cette errance – dont le risque était entièrement écarté parmi l’ordonnancement des serres – apparaît comme vierge de menace, voire souhaitable : « les bois sont évidemment des lieux propices à l’errement, ou à l’errance » (ibid., 399). Ainsi de l’éventualité d’une errance prolongée dans le bois de pins devient-il possible d’affirmer tranquillement que « cela ne sera que demi-mal, cela sera même bien » (ibid., 399). L’espace du texte peut désormais faire place à l’erreur.

Le bois de pins, en tant que modèle poétique, dessine un espace d’écriture où les possibilités de jeu sont considérablement accrues. Le pin – et son inscription dans une assemblée – modifient le motif identificatoire de l’arbre dans le sens d’une prise de distance par rapport à d’anciens impératifs contraignants, voire à des apories. En levant en particulier la « malédiction » liée à l’accroissement de l’arbre, il permet au texte de s’édifier sur ce qu’il abandonne. Ce principe caractérise du reste la composition du « Carnet du Bois de pins ».