Auteur en position de lecteur

En ouverture à son travail sur le bois de pins, Ponge note ceci :

‘« Ce que j’aurais envie de lire » : tel pourrait être le titre, telle la définition de ce que j’écrirai.
Privé de lecture depuis plusieurs semaines et mois, je commence à avoir envie de lire.
Eh bien! C’est ce que j’aurais envie de lire qu’il me faut écrire (ibid., 404-405)’

Tentant de cerner davantage la nature de cette « envie », Ponge ajoute : « ce n’est pas seulement de lecture que je me trouve avoir envie ou besoin ; aussi de peinture, aussi de musique (moins). Il me faut donc écrire de façon à satisfaire ce complexe de besoins » (ibid., 405, je souligne). L’investissement personnel et la mise en position de lecteur procèdent d’un seul et même mouvement, d’une même revendication d’appropriation. La disposition d’esprit qui doit servir de fil conducteur à l’ensemble du travail, formulée dans ce but avant même que celui-ci commence, fait du « Bois de pins » un livre qui est autant à lire qu’à écrire :

‘Il me faut garder cette image constamment présente à l’esprit : mon livre, seul (par force), sur une table : que j’aie envie de l’ouvrir et d’y lire (quelques pages seulement) – et de m’y remettre le lendemain (ibid., 405). ’

On note que c’est le plaisir de lire qui précède – et déclenche – le plaisir de continuer à écrire... Pour la première fois peut-être, Ponge ne se met pas en position de critique devant son texte, mais en position de recherche de plaisir. Le critère de qualité change. D’emblée, c’est le plaisir qui sert de guide. « Le plaisir du bois de pins » est – rappelons-le – le titre de la première partie du texte. Titre répété à la première ligne, et rappelé vigoureusement comme fil conducteur après quelques pages: « Non! Décidément, il faut que je revienne au plaisir du bois de pins » (ibid., 380). Certes le texte devra aller au-delà de la description de ce plaisir : le travail entrepris ne l’est pas « seulement pour que nous rendions anthropomorphiquement compte de ce plaisir sensuel » mais aussi « pour qu’il en résulte une co-naissance plus sérieuse. Allons donc plus au fond » (ibid., 380 et 387). Il n’en reste pas moins que c’est ce plaisir qui reste le moteur essentiel, la voie d’accès vers la connaissance.

Cette mise en position de lecteur par l’auteur du texte, et la mise en évidence du plaisir comme critère essentiel constituent une étape fondamentale dans l’évolution de la relation de Ponge à son lecteur. J’y reviendrai plus loin. Ainsi qu’au paradoxe de ce texte dont Ponge se constitue en lecteur principal, et qu’il va pourtant faire entrer très vite dans un jeu nouveau d’interaction avec des destinataires bien réels et même multiples.

Tous les procédés mis en œuvre dans le « Bois de pins » témoignent d’une approche renouvelée de la création : c’est qu’ils sont désormais sous-tendus par une nouvelle aspiration : celle de faire du texte le lieu d’une recherche personnelle, de l’approfondissement d’une expérience vécue, dans la quête de son sens. Il ne s’agit plus seulement de provoquer des « retours de la joie », mais de parvenir à une élucidation personnelle de cette joie.