« L’Anthracite », modèle du fragmentaire 

Écrit pour l’essentiel en janvier-février 1941 (donc entre « Bois de pins » et « Mimosa »), « L’Anthracite » propose d’emblée le renoncement à la perfection, à travers le modèle de ces modestes charbons qui se sont « tous vainement essayés au diamant » : « il nous faut donc, à leur propos, faire le deuil d’une certaine perfection » (P, I, 732). L’anthracite, dans son humilité, est un anti-diamant. Mais, ce qui est beaucoup plus réconfortant, elle est aussi un anti-galet, dans le sens où la fragmentation lui réussit alors qu’elle faisait le malheur du galet. La fragmentation cesse d’être tragique : l’anthracite n’a « aucune prétention à l’infrangibilité » (ibid., 732) ; au contraire, c’est le fait d’être concassée qui la rend brillante.

‘[Elle] n’use de son droit de briller que lorsqu’un opportun coup de pioche lui en donne l’occasion. Elle n’en use que si on l’attaque, la morcèle... Arborant alors de magnifiques voiles de deuil (ibid., 732). ’

Elle « cède au premier coup » de pioche, « mais ce n’est pas pour si peu, pour la ruine de sa forme (ou sa prise de formes) qu’on l’en fera démordre : ses morceaux brillent, ils brillent de plus belle ! » (ibid., 733). Cette brillance de l’anthracite « en tas dans l’ombre » est une façon de faire signe : « Sitôt la porte de la cave ouverte, il vous multiplie les signes d’intelligence » (ibid., 732). La fragmentation du texte, l’éclatement de l’objet-poème seraient-il aussi ce qui permet d’y « multiplier les signes d’intelligence » à l’égard du lecteur ? C’est bien ce qui semble se produire à cette époque – j’y reviendrai plus loin.