B. Le bouffon : histrionisme du mimosa

Avec « Le Mimosa » s’opère une joyeuse transformation du motif du bouffon qui hantait les années vingt. Dès les premières lignes du texte, et en vertu d’un rapprochement étymologique – explicité plus loin – entre « mimosa » et « mime », on assiste à l’entrée en scène du mimosa comme cabotin : « sur fond d’azur le voici, comme un personnage de la comédie italienne, avec un rien d’histrionisme saugrenu, poudré comme Pierrot, dans son costume à pois jaunes, le mimosa » (RE, I, 366). Tout le texte s’attache à caractériser le mimosa comme être parlant, représentatif d’un certain type de parole et d’adresse à autrui. Le mimosa est essentiellement communicatif et généreux, ce qui suscite l’attendrissement malgré l’ostentation naïve avec laquelle il se prodigue : « il y a de la sollicitude dans son geste et son exhalation (...). Et de la déférence (...). Tel est le tendre salut de sa palme. Par là peut-être voulant faire excuser sa gloriole » (ibid., 368). Mais sa parole (sa floraison) s’épuise vite, se décourage rapidement après l’élan dans lequel elle a tout donné : « Epanouies, les boulettes du mimosa dégagent un parfum prodigieux puis se contractent, se taisent : elles ont vécu » (ibid., 369). Le mimosa offre le modèle d’une instantanéité de l’oral, d’une efficacité aussi persuasive – par le plaisir qu’elle dispense – qu’éphémère : ses fleurs sont « fleurs de tribune (ou encore une fois de tréteaux) »; sa parole, « unanimement écoutée et applaudie par la foule narine bées, porte loin » (ibid., 369).

Mais cette parole emportée par son « enthousiasme », telle un « geyser » retombe vite :

‘Au paroxysme de sa propre jouissance spécifique et de la satisfaction visuelle et olfactive qu’il cause, le panache du mimosa retombe et les soleils qui le constellent se contractent et jaunissent : ils ont vécu (ibid., 370).’

L’enthousiasme des fleurs cède à un « découragement » teinté de scrupule : « oh! pardon, semblent-elles dire, de nous être si ostensiblement réjouies ! D’avoir si ostensiblement joui ! » (ibid., 370). Jouissance éprouvée et donnée, paroxysme, élan et retombée, panache et contraction : le modèle de cette parole perdue aussitôt que répandue est fortement sexualisé. On est loin de l’idéal tant de fois exprimé d’une écriture qui « tienne », qui se « soutienne ». Et cependant l’érotisation de la parole instantanée du mimosa rend joyeux et léger le renoncement (provisoire?) aux idéaux de tenue. Certes le mimosa est « glorioleux » et « vite découragé » ; il n’en donne pas moins à jouir, tel un « feu d’artifice réussi » (ibid., 375). Cette érotisation de la parole, telle qu’elle surgit à propos du mimosa, est appelée à un important développement dans la suite du parcours de Ponge. Elle conduit à une sorte de libération qui autorise le plaisir et la légèreté – deux caractéristiques qui informent en effet l’ensemble du texte. L’auteur s’y donne ainsi la liberté de s’amuser des mots sans complexe, d’en jouir sans que cela tire à conséquence, comme par exemple dans ces vers holorimes :

‘Un fervent de la pantomime osa
Enfer ! Vendre la pente aux mimosas (ibid., 368)’

Vers que Ponge commente aussitôt ainsi : « Ex-martyr du langage, on me permettra de ne le prendre plus tous les jours au sérieux. Ce sont tous les droits qu’en ma qualité d’ancien combattant – de la guerre sainte – je revendique » (ibid., 368).

Le modèle du mimosa permet aussi de prendre quelque distance avec celui, si majestueux, de l’arbre. Écrit après « Le Bois de pins », « Le Mimosa » fournit un contre-modèle de l’arbre. Aux vertus graves et viriles de ce dernier – patience, renoncement, persistance dans l’érection – le mimosa oppose ses « joyeuses petites embolies terminales » et les « retombées » de ses feuilles « qui semblent incapables de se soutenir » (ibid., 375). C’est un texte joyeux, léger, qui revendique une désinvolture nouvelle. La métaphore, en somme, d’un acte sexuel peut-être un peu prématurément achevé, mais qui n’en a pas moins offert une jouissance non négligeable.