A. Une lecture en hiatus par rapport au « souci de l’homme »

Elle l’est tout d’abord par la négation du « souci de l’homme » qui anime Ponge, tout particulièrement depuis les années de guerre. La thèse de Sartre est en effet celle d’une réification, par Ponge, de l’être humain : « il prend les hommes délibérément pour des choses » écrit Sartre, qui voit dans Le Parti pris des choses une « déshumanisation, poussée jusqu’aux sentiments, de l’homme »444. Certes, dans ce « monde étrange », ajoute-t-il, « les comparaisons anthropomorphiques abondent », certes Ponge « paraît (...) aimer les fleurs, les bêtes et même les hommes. Et sans doute les aime-t-il. Beaucoup. Mais c’est à condition de les pétrifier »445. Sartre attribue même à Ponge le souhait secret d’ensevelir l’homme « dans le suaire de la matière. »446 C’est à ces allégations de Sartre que Ponge répondra dans « Baptême funèbre », en commençant par souligner à l’intention de Sartre que, pour se joindre à l’hommage rendu à son ami René Leynaud, il quitte « la grotte où se donne cours une manie trop pétrifiante dit-on pour qu’[il] ose y convoquer l’homme » (L, I, 465).

Sartre fait de Ponge – et pour longtemps – l’homme des choses. Le titre même de son article induit entre l’homme et les choses un face à face à allure d’alternative. Selon lui l’homme est absent du Parti pris des choses non seulement comme « projet » mais aussi comme sujet : Sartre lit dans la démarche de Ponge un désir de capitulation du sujet, une fuite hors de la douleur d’être homme, une aspiration à exister sur le mode qui est celui de la chose et à atteindre à « l’imperturbabilité insensible du galet », bref un « effort (…) pour se reposer enfin du devoir douloureux d’être sujet »447. Là encore, le hiatus est spectaculaire par rapport à l’aspiration de Ponge, de plus en plus pressante depuis le tournant esthétique qu’a constitué La Rage, à être présent en tant que sujet dans son écriture.

Notes
444.

Jean-Paul Sartre, « L’homme et les choses » (1944), Situations I, repris dans Critiques littéraires, Gallimard, coll. Folio essais, p. 248.

445.

Ibid. p. 264.

446.

Ibid. p. 265.

447.

Ibid., p. 264 et p. 266.