3. Parler à qui ?

En ce qui concerne la relation au lecteur, l’événement majeur sera la rencontre directe avec celui-ci, dans le cadre de la « Tentative orale », en janvier 1947. Cette rencontre permettra de dénouer une certaine « crise » dans la relation au lecteur, crise qui se manifeste dans l’immédiat après-guerre (1944-1946) par un flottement dans la manière dont cette relation s’établit au sein des textes eux-mêmes.

Le modèle de relation érotique tel qu’il s’était élaboré dans les passages du Savon rédigés en 1944 connaît, en particulier, un coup d’arrêt. Dans un grand nombre de textes, on constate un relatif effacement du lecteur, tandis que parallèlementde nouvelles postures sont expérimentées face à lui – la posture pédagogique notamment. A noter aussi l’apparition sporadique d’une certaine agressivité envers le lecteur, qui pour être en partie un jeu n’en est pas moins bien marquée. Sans doute est-ce la conséquence de l’irruption récente, au beau milieu du tête à tête auteur-lecteur, du personnage du critique, qui vient s’interposer dans la relation à la façon d’un écran et la rendre problématique. Devant l’accueil fait à son œuvre, Ponge manifeste, on l’a vu, le sentiment d’un malaise, d’une discordance, voire d’une duperie. Sa façon de s’adresser à son lecteur s’en ressent. La relation à celui-ci est en quelque sorte à reconsidérer, à reconstruire, de façon qu’elle puisse intervenir contre la relation à la critique. Mais un autre facteur, sur lequel je voudrais tout d’abord m’arrêter, vient expliquer ce flottement : Ponge en tant que critique d’art est, dans ses écrits sur la peinture (nombreux à cette époque) confronté à un lecteur nouveau, qu’il connaît mal et qui présente l’inconvénient d’être beaucoup moins son lecteur que – d’abord – un amateur d’art.