« Note sur "Les Otages", Peintures de Fautrier » : labilité des positions

Dans ce premier grand texte de critique d’art, Ponge s’adresse peu à son nouveau lecteur, si l’on excepte une prise à partie qui, sous couvert de familiarité quasi-mondaine, ne fait que souligner une distance : « Ni vous, monsieur, (cher amateur), ni moi ne sommes des sauvages. Pourtant la sauvagerie est là, elle inonde le monde. Cher amateur, nous vivons en pleine sauvagerie » (PAE, I, 102). Cette distance ironique est relayée, à partir de la troisième partie, par une posture didactique : Ponge engage un développement sur les formes variées que peut prendre la destruction de la personne humaine, et il rythme très pédagogiquement ce développement, à l’intention de son lecteur, par des connecteurs logiques et des adresses464. Cependant, avec la partie IV, le lecteur se voit de nouveau ignorer. Dans un progressif échauffement lyrique, marqué par une fragmentation extrême du propos, comme s’il s’agissait d’une série d’intuitions ou de saisies en éclairs, Ponge semble avoir oublié son lecteur. Il ne s’adresse pas à lui, le plaçant plutôt devant une scène conversationnelle qui se joue avec lui-même, comme il le faisait dans certains passages de La Rage. Il met le lecteur en position de spectateur-témoin des interrogations465 ou des admonestations466 qu’il s’adresse à lui-même pour tenter de cerner la cause profonde de son émotion face à la peinture de Fautrier.

Cetexte est en somme comme l’essai et le déploiement, dans ce nouveau contexte énonciatif qu’est la critique d’art, de postures variées face au lecteur. Par là même il révèle un flottement quant au lien à établir avec ce lecteur.

Notes
464.

« Pour continuer, nous découvrirons encore… », « voyez Goya, etc. » (ibid. 101) ; « pour mémoire, je citerai encore…. » ; « enfin venons-en à… » (ibid., 102).

465.

« Comment se fait-il que je reconnaisse là ( …) l’horreur, le remords et en même temps la volonté de vaincre, la résolution ? » (ibid, 108).

466.

« Fautrier (…) s’est trouvé seul (…) ayant tout aboli. Non ! Que dis-je ? Il en est à abolir encore » (ibid., 114).