6. Une situation de parole inédite : l’exercice de la critique d’art

Dans ses textes de critique d’art, Ponge peut difficilement associer son lecteur à l’engendrement du texte, comme il le fait dans Le Savon, car il s’agit en l’occurrence – on l’a vu – d’un lecteur-amateur d’art qui n’est pas a priori intéressé par la littérature. Puis il ne peut traiter à sa guise son objet, jusqu’à le faire disparaître à la façon du savon, puisque cet objet – l’œuvre d’art qu’on lui demande de commenter – lui est imposé de l’extérieur et ne lui appartient pas. En somme, si habituellement il construit à la fois son objet et son lecteur, ces deux données se trouvent là profondément bouleversées et sujettes à fortes contraintes. L’ensemble des enjeux se ramène peut-être à cette question : comment parvenir à pratiquer en poète la critique d’art ? Dès la première commande d’un écrit sur l’art, même destiné à rester quasiment confidentiel (il s’agit de « Emile Picq », composé au printemps 1944, à l’occasion d’une exposition, à Lyon, de dessins d’Emile Picq), Ponge, pour se préparer à relever ce défi, a relu les Salons de Baudelaire489. Ce recours au grand prédécesseur qu’est Baudelaire manifeste l’ambition de Ponge de lier étroitement, à son instar, sa critique d’art et son propre projet poétique. Cela n’ira cependant pas sans soulever d’importantes difficultés.

Notes
489.

Les manuscrits montrent, note Robert Melançon, qu’« un premier essai de rédaction, tâtonnant, s’interrompt assez vite sur une série de citations empruntées aux Salons de Baudelaire, relus à cette occasion » (notice sur Le Peintre à l’étude, OC I p 932).