2. Un nouveau contrat avec le lecteur : la Préface aux Proêmes 

La correspondance avec Paulhan montre qu’en décembre 1946 Ponge est assailli de doutes et de scrupules au sujet de la publication – qui semble alors imminente – des Proêmes. Dans ces circonstances il demande instamment conseil à Paulhan, réactualisant soudain son ancienne position de disciple soumis à son mentor :

‘je traverse une période difficile et j’ai besoin de ton soutien. (…) Je me persuade que j’ai tort de laisser paraître ce livre, comme il est. (…) Je m’en veux (…) de t’ennuyer avec ça (…). Pourtant, tu es mon ami depuis 25 ans, n’est-ce pas ? et vraiment j’ai besoin de ton conseil. Je t’en prie, ne m’en prive pas. (…) Tu sais bien que de me soumettre pieds et poings liés à un censeur (choisi une fois pour toutes) n’est pas le fait, chez moi, d’une âme basse, ou veule, ou paresseuse. Mais d’un embarras extrême au milieu d’une prolifération étouffante d’audaces, de scrupules ( Corr. II, 377, p. 31-32). ’

Il est manifeste que la publication des Proêmes soulève un certain nombre d’enjeux graves, et engage la relation que Ponge entretient avec Paulhan. Rappelons en effet que celui-ci n’a jamais montré d’enthousiasme pour les Proêmes et que la décision de les publier est déjà en elle-même un acte d’indépendance de la part de Ponge. Mais à son imploration pour obtenir l’aval de Paulhan, celui-ci répondra en réaffirmant les raisons initiales de son désaveu à l’égard du recueil, raisons pour lesquelles il n’a pas voté pourlui au prix de La Pléiade527 : « j’étais consterné en songeant à tous ceux près de qui ce petit livre pouvait te rendre ridicule ou odieux » (Corr. II, 378, p. 33).

Certes Paulhan affirme aussitôt que malgré tout il « aime beaucoup » ce livre, et conseille à Ponge de ne rien y modifier ; son diagnostic n’en fait pas moins à Ponge l’effet d’une douche froide. Il renonce à tout projet de modifier le livre, mais en rédige in extremis une préface – qu’il envoie immédiatement à Paulhan. Cette préface témoigne d’une redistribution décisive dans les relations que l’auteur entretient d’une part avec Paulhan d’autre part avec son lecteur.

Notes
527.

Le projet des Proêmes a été présenté en 1945 au prix de La Pléiade, mais Paulhan a refusé de voter pour ce recueil.