3. La parole portée à l’état fluide : La Seine, « Le Verre d’eau »

Avec La Seine en 1947, puis « Le Verre d’eau » en 1948, Ponge, poursuivant sa reconquête de la parole, parvient à intégrer dans sa réalisation les valeurs métaphoriques du liquide, jusque-là interdites.

Dans le sillage immédiat de la « Tentative orale », Ponge travaille de longs mois (principalement entre février et juin 1947) à la rédaction de La Seine, qui répond à une commande des éditions suisses « La Guilde du Livre ». Cette commande comporte des contraintes564 ; la rédaction ne va pas sans peine : « c’est un gros morceau qu’un fleuve à écrire », écrit Ponge à Paulhan en mars 1947 (Corr. II, 388, p. 42). Un gros morceau en effet quand on songe qu’il s’agit de se consacrer longuement (54 pages, record inédit) à un objet – l’eau – qui depuis l’origine suscite la plus vive répulsion… C’est une étape capitale, (« une de mes œuvres les plus importantes, une de celles qui m’ont coûté le plus de travail », écrira Ponge)565, comparable à la « Tentative orale », dont la rapprochent du reste plusieurs effets d’échos. Ponge parvient, dans le cadre des contraintes d’une commande, à faire de ce texte un défi personnel, en y élaborant de nouvelles « raisons » à son propre usage, notamment celles qui lui permettent de s’approprier, en tant que modèles pour la parole, les qualités des objets non plus seulement solides mais aussi liquides.

Notes
564.

« On m’avait demandé un livre (…) destiné à la large clientèle des abonnés de la Guilde : des instituteurs, des facteurs, aussi bien que des bourgeois, qui reçoivent ces livres, en Suisse. (…) J’avais d’ailleurs une certaine distance à respecter : mon texte devait avoir un assez grand nombre de pages » (EPS, 128).

565.

Extrait d’une lettre à l’éditeur, de décembre 1949, citée par Bernard Beugnot dans sa notice sur La Seine, OC I p. 994.