5. La poésie comme art et artisanat

Dans l’après-guerre, les artistes jouent un rôle moteur dans l’évolution de la pratique poétique de Ponge. On a vu qu’ils lui fournissaient des modèles d’indépendance et de prise en compte de la matière. Mais, allant plus loin, Ponge en arrive à repenser la conception même de son œuvre à la lumière des leçons des artistes, et à se définir lui-même comme artiste, choisissant ce camp contre celui des intellectuels. Ce sont en effet les artistes et non les intellectuels qui sont à ses yeux les véritables porte-drapeaux des avancées intellectuelles, comme il le souligne lorsqu’il revient, dans les Entretiens avec Philippe Sollers, sur le rôle qu’ont joué les peintres dans sa vie :

‘Comme ces gens nous donnent les drapeaux (…) de l’offensive actuelle, il y a là quelque chose de fascinant, quelque chose que l’on suit comme on suit un drapeau. (…) J’ai souvent dit qu’un peintre pouvait être actuellement plus utile (…) plus efficace dans l’ordre de la révolution ( …) ou dans l’ordre de l’offensive intellectuelle (…) que n’importe quel philosophe ou n’importe quel religieux ou n’importe quel maître (EPS, 94, 93). ’

C’est surtout cette efficacité supérieure de l’artiste que Ponge tient à établir, en ces années où il lui importe vivement de se démarquer du discours intellectuel et des idéologies. On a vu que l’appartenance au groupe des intellectuels communistes lui semblait aliénante pour sa parole. Pour mieux s’opposer au discours et au règne des idées, il va progressivement se réclamer d’une appartenance au camp des artistes, en opposition avec celui des intellectuels. Cette nouvelle (et transitoire) appartenance le conduit à une redéfinition des principaux objectifs de son travail.