La parole de la sphère littéraire et philosophique n’en est pas une.

Le choix d’une parole murmurée, gardant, de son enracinement dans le monde muet, un caractère de sourdine en contraste avec le vacarme des proclamations idéologiques continue à s’affirmer au début des années cinquante. Dans « Joca Seria » déjà, Ponge signalait la différence entre ceux « qui s’écrient en chœur : allons aux choses » et ceux qui y « plongent vraiment » (AC, II, 616). Dans les écrits qui suivent, il manifeste plus que jamais son désir de retrait par rapport aux discours ambiants de ceux qu’il appelle les « publicistes de la littérature ».

Il reprend les termes de « tréteaux » et d’« échafaud », déjà utilisés dans « Le Murmure » pour opposer la mise en vedette des discours prononcés « du haut d’un échafaud de planches, d’un tréteau actuel » (PAT 275, je souligne) à sa propre volonté de descendre dans la profondeur du monde muet pour y enraciner sa parole : « nous avons choisi : nous vivons (…) à ce niveau, afin de nous assurer un jour dans la société la seule compagnie qui nous convienne, celle de la supériorité d’esprit » (PM, II, 35).

Affirmant son appartenance à cette « seule patrie », il évoque la douleur de la condition mutique dans des termes qui rappellent ceux avec lesquels il décrivait dans sa jeunesse l’aliénation exercée par le flot des paroles ambiantes :

‘Nous naissons muets dans un monde muet. Nous : je parle de moi-même à l’instant même, devant ce micro. Car nous naissons en réalité au milieu d’un brouhaha insensé, celui des paroles de l’ancien ordre, des rengaines de la mélodie mondiale, celui que font ici-même, par exemple, les publicistes et les concierges de la littérature. Bien sûr que (…) nous n’avons rien de commun avec ces gens-là ( PAT, 287). ’

En faisant mention du mutisme propre au jeune enfant (infans), Ponge se met en dehors de la sphère sociale et de ses discours. Le titre même de l’article qui paraît en juin 1952, « Le Monde muet est notre seule patrie » constitue, pour reprendre l’expression de Gérard Farasse, une « déclaration de sécession »648.

Notes
648.

Notice sur le texte, OC I p. 1110.