C. L’enfouissement au sein de la terre.

On l’a vu,« Joca Seria » inaugure le motif de la plongée au plus profond de la terre, celle-ci étant conçue comme lieu du cheminement des « germes », au sein de la pourriture. L’image du cheminement souterrain de ces germes hante les textes écrits en 1951 et 1952650. Si l’artiste doit accepter d’être « le lieu où les sentiments se confondent et où se détruisent les idées », comme le suggérait « Le Murmure », il lui faut rejoindre le niveau profond où s’élabore cette alchimie.

La nécessité de l’enfouissement apparaît dès le premier fragment du Malherbe (écrit simultanément à « Joca Seria ») dans lequel Ponge note que « nos sociétés » sont « d’une prétention telle qu’elles imposent à chaque individu le déni et la dérision du principe même de vie : l’harmonie avec ce monde muet qui est notre seule universelle patrie ». « Dès lors », poursuit-il,

‘nous ne savons plus comment vivre… Sauf, dans ce trente-sixième dessous que je viens de dire, à nous enfoncer froidement, en y enfonçant la poésie avec nous. C’est là que nous voyageons ou végétons tour à tour (PM, 35). ’

Très vite, l’image de la descente en profondeur se doublera de l’évocation concrète de l’épaisseur de la terre :

‘Voilà ce contre quoi651, plongeant dans le trente-sixième dessous, chaque poète authentique aujourd’hui par sa seule présence agit. Nous cheminons au niveau des racines, nous menons la vie noire des vers dont chacun remue des tonnes de terre végétale. Voilà où nous devons enfoncer la lyre qui n’est plus à placer au fronton des superstructures, mais doit pourrir dans l’infraordinaire (PAT, 286).’

Le thème de l’enfouissement est en relation étroite avec le motif récent du « trente-sixième dessous » et avec ceux, plus anciens, de l’aventure organique et de la nuit.

Notes
650.

Dans « Le monde muet est notre seule patrie» : « nous avons à nous féliciter d’être logés plutôt de ce côté, du fait que la plaisante anarchie qui y règne permet du moins que les germes vivent, s’enfoncent (d’ailleurs le plus souvent dans la misère), mais enfin vivent, et viennent en surface parfois » (M,I, 629). Dans « Entretien avec Breton et Reverdy » (octobre 52) : « par-dessous  la pseudo-civilisation finissante  cheminent, depuis près d’un siècle déjà et viennent en surface parfois, les germes d’un événement – ou avènement – plus sérieux » (M, I,687).

651.

Il s’agit de la dogmatisation qui conduit immanquablement à la mort des civilisations. Ponge écrit ceci en novembre 1951.