Articulation avec le « trente-sixième dessous »

« Nous avons choisi la misère », déclare Ponge en 1952 dans l’« Entretien avec Breton et Reverdy », « parce qu’elle est le seul lieu, je ne dirai pas de l’empire de la parole, mais de son exercice énergique dans le trente-sixième dessous » (M, I, 690). Le « trente-sixième dessous », où se conjoignent misère et enfoncement souterrain, est revendiqué orgueilleusement comme condition de la parole. Du reste, l’enfouissement au sein de la terre fournit une garantie d’opposition par rapport aux discours des intellectuels : « aucun amour de la terre » écrit Ponge à propos de L’Essai sur la Révolte de Camus652, « il s’agit de froides déclarations du haut d’un échafaud de planches » (PAT, 275, je souligne).

Cependant, dans un texte écrit en juin 1952, « Sur notre Recueillement actuel au fond des Calices de l’Objeu », la profondeur – transférée de la terre au « calice » – semble coïncider avec le fond de la détresse :

‘Nous sommes au fond du calice.
Nous sommes tout près du suicide.
Relié au sol, au sous-sol (PAT, 292). ’

Le « trente-sixième dessous » est aussi enfoncement dans la solitude et la misère :

‘Personne ne peut nous comprendre. (…) Nous avons par ailleurs touché le fond de la misère. (…) Nous sommes immobiles, immobilisés au fond du monde, du chaos mouvant, du remous du monde par la misère (comme une plante aquatique). La misère. L’amour. La poésie.
Nous ne pouvons plus rien dire. Plus rien que très peu (…). Personne, aucun ami pour le comprendre.
Nous avons touché aussi le fond des vanités de la parole, de l’écriture (PAT, 290).’

Pourquoi cette association du mouvement d’enfoncement avec le motif du « calice » ? Sans doute d’abord parce que le calice connote la souffrance, en tant que motif religieux. Mais peut-être aussi parce que le symbole qu’est la fleur, depuis longtemps plus ou moins censuré653, est associé à une féminité qui, ici, au sein de l’humiliation (au sens propre), se revendique de manière tout à fait surprenante chez Ponge :

‘Nous sommes au fond du calice. (…) Dans une attitude aussi profondément féminine (glorieuse et humiliée, genre gigolo qui attend tout du monde extérieur et de son charme (…). Rien d’offensif) (ibid., 292). ’

Cette féminité est du reste aussitôt contrebalancée par un retour à la puissance virtuelle de la terre :

‘En même temps nous somme reliés par tige et racines au monde du sous-sol, à celui des racines, au monde muet. (…) Gloire à nous ! Nos fleurs, ce sont aussi une production masculine, une production de notre virilité (ibid., 292). ’

Notes
652.

Il s’agit de L’Homme révolté, paru en 1951.

653.

L’année 1954 verra la levée de cette censure, avec la composition de L’Opinion changée quant aux fleurs (qui sera publié en 1968 dans L’Ephémère).