Articulation avec l’ « aventure organique »

« Nous poursuivons actuellement, nous formons (ah ! puissions-nous le réussir, réussir à le former ! ) une sorte de songe organique » écrit Ponge dans « Sur notre Recueillement actuel au fond des Calices de l’Objeu » (PAT, 292). Dans le même passage il note : «Titre pour un recueil : NOTRE SONGE ORGANIQUE TOUJOURS ACTUEL » (ibid., 293). Le thème de l’enfouissement sous la terre correspond en effet à un « songe organique » qui apparaissait déjà dans « Abrégé de l’aventure organique », composé fin 1947. Dans ce texte on voit les arbres, découragés par trop de cycles les reconduisant toujours à l’automne, finir par s’abattre sur le sol. Alors survient une nouvelle « péripétie » :

‘La terre, une nuit ou l’autre, d’un grand geste opportun et discret, accompli subrepticement, les recouvre ; et ramenant sur eux son bras et la couverture, les engage en elle à de plus en plus profondément s’enfouir.
Mais aussitôt, que se passe-t-il là dessous ? Réconfortés par cette sollicitude qu’elle leur témoigne, une nouvelle énergie leur vient et un nouveau cœur à l’ouvrage en vue d’une nouvelle sorte de perfection, symétriquement opposée (NNR II, II, 1220 ). ’

Cette « nouvelle perfection », explique Ponge, sera celle, « synthétique », du diamant, alors qu’auparavant les arbres tendaient, par leur « vain » déploiement, à une « perfection symétriquement opposée » (ibid, 1220). Dès 1947, l’enfouissement au sein de la terre, symbole d’une intériorisation accomplie, est condition (pour le poète-arbre) d’un passage à un état supérieur de la parole.

Si l’on remonte encore un peu plus avant, on trouve déjà dans « La Terre », dont la rédaction commence en 1944, l’image du « chaos nourricier » du sous-sol, parcouru de « germes » :

‘Ce mélange émouvant du passé des trois règnes, (…) tout cheminé d’ailleurs de leurs germes et racines, de leurs présences vivantes : c’est la terre. (…) Passé, non comme souvenir ou idée, mais comme matière (P, I, 749).

Du reste Ponge faisait déjà là de la terre le lieu même de l’exercice de son travail654 :« Si parler ainsi de la terre fait de moi un poète mineur ou terrassier, je veux l’être ! » (ibid., 749).

L’aventure organique au sein de la terre participe d’une transmutation alchimique qu’évoque Ponge dans l’« Entretien avec Breton et Reverdy », pour expliquer son choix du « trente-sixième dessous » comme lieu de l’« exercice énergique de la parole » : « c’est en partant d’en bas qu’on a quelque chance de s’élever. (…) c’est avec le plomb qu’on fait l’or, non avec l’argent ou le platine… » (M, I, 690). Mais cette descente dans les profondeurs représente peut-être aussi l’accession à une part féminine enfouie. C’est ce que l’on peut entendre dans ce passage du Malherbe où la plongée souterraine est pourtant connotée « virilement » :

‘Nous donnons la parole à la féminité du monde. (…) Nous désirons que les choses se délivrent (…). La parole doit se faire humble, se mettre à leur disposition, pourrir à leur profondeur. Nous suivons leurs contours, nous les invitons à se parcourir, à jouir, à jubiler d’elles-mêmes. Nous les engrossons alors. Voilà notre art poétique, et notre spécialité érotique : notre méthode particulière (PM, II, 59). ’
Notes
654.

Il y reviendra encore en 1953, dans « Réponse à une enquête radiophonique sur la diction poétique », en comparant le travail du poète à celui d’une taupe : « je travaille parmi ou à travers le dictionnaire un peu à la façon d’une taupe, rejetant à droite ou à gauche les mots, les expressions, me frayant mon chemin à travers eux, malgré eux » (M, I, 645).