B. « Mon prochain livre : PRATIQUES » 

Bernard Beugnot souligne, à propos du Grand Recueil 669, que « l’idée d’un nouveau recueil, destiné à faire oublier Le Parti pris des choses » apparaît dès la fin des années quarante. En tout cas, dès 1950, Ponge en est très préoccupé, comme en témoigne sa correspondance670. En octobre 1951, le projet semble se préciser : Ponge note qu’il a « préformé » la « composition de [s]on prochain livre PRATIQUES » (PE, II, 1030). Le travail qu’il a engagé sur l’œuvre de Malherbe est l’un des facteurs de son désir d’établir son œuvre face à la postérité – j’y reviendrai. Une certaine euphorie provocatrice semble, dans un projet d’adresse au lecteur pour « Pratiques », mêlée à ce désir :

‘C’est tout de même bien de pouvoir publier un livre. (…)
Pourquoi est-ce bien, un livre ? Parce qu’on y est tout seul. Qu’on peut s’y enfoncer671 à son aise, y faire ce qu’on veut.
LIT POUR LA POSTERITÉ (PAT, 278). ’

Pour comprendre ce désir d’un « livre », il faut se souvenir que Ponge, à cette époque, n’a publié qu’un petit nombre de recueils, par rapport à la masse considérable de ce qu’il a écrit, dont une grande partie reste inédite. Il n’est guère connu du grand public, sa notoriété restreinte se limite souvent au Parti pris des choses. Comme le souligne Jean-Marie Gleize,le caractère de « monumentalité » de son œuvre reste « invisible à l’œil nu, du fait (…) dans une certaine mesure, de sa volonté d’agir en marge, en retrait »672. Ponge aspire à donner à voir la totalité de son travail, à en faire connaître et reconnaître toutes les facettes. Le projet conçu en 1951, et qui n’aboutira que dix ans plus tard, est la première étape d’un travail de récollection de ses écrits, qui sera caractéristique des années soixante et soixante-dix.Mais il est significatif que ce soit à travers la notion de « pratiques » que Ponge conçoive ce recueil, dont il refuse de faire un florilège.

Notes
669.

Dans la notice du Grand Recueil, OC II, p. 1052.

670.

« Je médite depuis de longs mois, près de deux années, le prochain recueil que je donnerai à Gallimard », écrit Ponge à Jean Tortel en décembre 1952 (Correspondance Francis Ponge-Jean Tortel, op.cit., p. 110).

671.

Variation sur le thème de l’enfoncement.

672.

J. M. Gleize, Lectures de Pièces, op. cit., p. 20. Cette situation perdurera jusqu’à la parution du Grand Recueil : « Au début des années soixante, Francis Ponge est surtout connu comme l’auteur du Parti pris des choses (…). A cette époque encore, il a beaucoup plus écrit qu’il n’a publié, et beaucoup plus dispersé son travail dans des revues, de luxueux ouvrages en collaboration avec des peintres, qu’il n’a donné de livres dans des éditions courantes chez de grands éditeurs. Le Grand Recueil, en 1961,constitue le premier acte d’un "redressement" de son image » ( ibid., p. 19).