Le retour au « il faut parler » initial

En octobre 1951, juste après le voyage de Ponge à Caen, sur les traces de Malherbe et sur les siennes propres, s’exprime un mouvement de colère – en partie dû aux destructions constatées à Caen – dans lequel Ponge voit une précieuse ressource d’énergie, propice à l’exercice de la parole, ceci selon la même logique qui lui fera bientôt considérer le « trente-sixième dessous » comme « seul lieu » de « l’exercice énergique de la parole » (ibid., 35) :

‘Beaucoup de mauvaise humeur pour le maintien de notre énergie peut nous être nécessaire. Nous en sommes capable. (…) Nous profiterons de notre colère des 1er et 2 octobre pour trouver le ton nécessaire à prendre la parole et à la garder » (ibid., 21, je souligne). ’

Comme dans les années vingt, l’enjeu est de « prendre la parole » ; et il se formule avec la même colère – qui offre une alternative précieuse au découragement.

Or, c’est justement le jour qui suit l’expression de cette colère que surgit la première occurrence de ce que je nommerai la parole majuscule, pour désigner la valeur attribuée au mot lorsqu’il se voit conférer un P majuscule. Ponge note que l’Abbaye-aux-Hommes et la maison de Malherbe ont été épargnées par les destructions, mais, ajoute-t-il,

‘eussent-elles été détruites, restait l’œuvre de Malherbe. Voilà la supériorité de la littérature, que cet auteur avait bien en vue. (…) Pour maintenir la Parole, il suffit d’un lecteur pour l’entendre, et la curiosité de l’homme fait qu’il y en aura toujours un (ibid., 22, je souligne). ’

Cette conclusion survient au terme d’un processus que l’on peut décrire ainsi : la réaction de colère face aux destructions des « valeurs », donne l’élan à la prise de parole ; mais le fait de parler fait comprendre aussitôt que dans la parole réside, justement, la seule valeur indestructible – à condition qu’il y ait quelqu’un pour l’entendre. La transmission, intacte, non-affectée par les destructions matérielles, qui s’opère entre Malherbe et Ponge fait envisager à celui-ci la possibilité d’une même transmission à partir de son œuvre, en direction de ses lecteurs. C’est dans le cadre de cette pérennité du lien que la Parole peut prendre une majuscule. C’est là qu’elle acquiert sa dignité.

Ponge trouve dans l’œuvre de Malherbe le modèle d’une parole capable de se maintenir, parce qu’elle se désigne elle-même comme l’essentiel. C’est l’occasion d’une méditation sur la nature et la finalité de la parole.