« Dire signifiant faire »

La dimension d’acte de la parole, ouvertement recherchée dans la « Tentative orale » est formulée explicitement dès« Malherbe III » : « Il [Malherbe] sait (…) ne dire que ce qu’il veut dire. Il sait ce qu’il fait. Dire, pour lui, c’est faire » (ibid., 46). Elle se manifeste également dans la formule « Quelque chose à obtenir, et non quelque chose à exprimer » (ibid., 47) qui situe clairement l’enjeu de la parole en aval et non en amont de sa profération : dans l’effet qu’elle produira, non dans son adéquation à une vérité.

La notion de parole considérée comme acte répond à celle, élaborée à cette époque, de l’œuvre comme ensemble de « pratiques ». C’est dans « Malherbe III » que la dimension pragmatique du langage s’affirme dans toute son ampleur, la « pratique du langage » servant de postulat aux tentatives de définition de l’entreprise poétique :

‘Pratique du langage :
En dehors de l’amour, qu’il vaut mieux faire que dire (…),
Nous avons tout à dire : telle est notre personnalité. (…)
Dire signifiant faire.
Et donc signifiant être.
Notre façon d’être est de pratiquer la langue française (ibid., 63).’

C’est également au nom d’une pratique du langage qu’est formulé dans « Malherbe III », pour la première fois, le choix – qui m’apparaît comme l’un des thèmes majeurs du Malherbe – de la Parole plutôt que de la Poésie :

‘Pratique du langage :
Il s’agit moins pour nous de poésie que de Parole (prosaïsme résolu, mais d’une telle rigueur qu’en naît une nouvelle forme de poésie, l’oraculaire, l’art de la formulation) (ibid., 63). ’

Choisir la Parole, c’est valoriser la dimension pragmatique du langage, affirmer une fois encore que la poésie, telle que l’entend Ponge, doit valoir comme acte. La Parole, en tant que « pratique »716, connaît là sa plus spectaculaire réhabilitation : elle est ce qui tiendra lieu de poésie.

Ce choix de la parole contre la poésie sera réaffirmé et développé dans « Malherbe VI » où la parole connaît véritablement son assomption.

Notes
716.

Rappelons que le grec praktikos signifie « agissant, efficace », et que pratique et pragmatique renvoient tous deux au même étymon praxis, « action ».