Difficultés dues au contexte énonciatif du Malherbe

C’est la première fois que Ponge s’adresse en tant que lecteur (de Malherbe, en l’occurrence) à son propre lecteur739. C’est une situation qu’il connaît mal et dont l’inconfort est d’autant plus grand qu’elle paraît en contradiction par rapport au désir affiché à cette époque d’élire comme seule patrie le monde muet. D’où le besoin – dont j’ai parlé plus haut – de fonder cela en légitimité. Et pourtant c’est bien la fonction de lecteur assumée par Ponge dans le Malherbe qui va devenir l’une des pièces essentielles de la relation nouvelle à son propre lecteur.

De plus, comme dans le cas de la critique d’art, Ponge est confronté à un lectorat qui ne lui est pas acquis, et dont il a même à se méfier, car une grande partie de ce lectorat (universitaires, critiques) désavoue Malherbe. D’emblée Ponge est en position défensive-offensive. Il sait qu’il risque d’être critiqué : comme dans Le Savon de 1946, il se produit une surimpression du critique (censeur) par rapport au lecteur. D’où le choix de la provocation immédiate. « Malherbe d’un seul bloc à peine dégrossi », publié dès 1951, commence comme une déclaration de guerre à l’endroit de l’intelligentsia littéraire (professeurs et critiques en particulier), supposée lectrice de ce texte :

‘Sans doute tenons-nous en lui [Malherbe] le plus grand poète des temps modernes et peut-être de tous les temps (…). Voilà pour faire hurler ou s’esclaffer à leur guise les crétins et les pitres qui se figurent (…) que les mouvements de leur cœur nous intéressent. Et pour étonner un peu les professeurs et les potaches qui (…) font les fiérots dès qu’ils peuvent dans les principales salles de rédaction et les plus célèbres comités de lecture de la Capitale740 (PM, II, 34). ’

Notes
739.

Exception faite de quelques courts articles.

740.

Ces déclarations se ressentent du désir de retrait de Ponge, à cette époque, par rapport aux « publicistes » et « concierges » de la littérature, et de sa brouille avec Paulhan.