8. La parole revendiquée aussi sur son mode mineur : « Chèvre » et « Figue »

La poétique de Ponge ne repose jamais sur des principes monolithiques : après avoir établi dans le Malherbe une parole en majesté, douée d’une glorieuse force ascensionnelle, il revendique aussi, avec « La Chèvre » (achevée en 1957) et « La Figue » (composée pour l’essentiel en 1958-59) les formes humbles de réalisation de la parole. Ces deux textes ont été plusieurs fois rapprochés756. La chèvre et la figue de Ponge ont en effet maints points communs, dont celui d’incarner la parole dans une humilité, une féminité, et une savoureuse imperfection qui contrastent avec la magnificence virile de la parole malherbienne. Elles offrent un contrepoint sur le mode mineur à la Parole majuscule.

« Poésie n’est point caprice si le moindre désir y fait maxime  » écrivait Ponge en 1926, à propos de Mallarmé757 (PR, I 182, je souligne). Voici que trente ans plus tard, avec « La Chèvre », les caprices entrent de plein droit en poésie, en même temps que « faire maxime » reçoit sa traduction caprine sous l’aspect de l’ascension de la chèvre, « parvenue pas à pas jusqu’aux cimes », ce qui ne s’accompagne chez elle d’aucun « emportement triomphal » : au contraire,

‘il semble plutôt qu’elle s’excuse, en tremblant un peu des babines, humblement.
Ah ! ce n’est pas trop ma place, balbutie-t-elle ; on ne m’y verra plus ; et elle redescend au premier buisson (P, I, 807). ’

Cet attendrissement de Ponge face à la parole humble qu’incarne la chèvre (« notre tendresse à la notion de chèvre », tels sont les premiers mots du texte) est révélatrice de son désir d’établir la dignité de la parole jusque dans ses réalisations mineures et imparfaites, ce qui sera repris et confirmé un peu plus tard avec « La Figue ».

Notes
756.

Notamment par B. Beugnot (« Poétique de l’oxymore : La Chèvre » in Poétique de Francis Ponge, op. cit.) et par J.P. Richard (« Fabrique de la figue » in Pages, Paysages, Seuil, coll. Poétique, 1984).

757.

Par ailleurs il notait en 1928, dans « Caprices de la parole », la difficulté d’obtenir « un texte qui se soutînt » à partir des phrases dictées d’abord par les « caprices de la parole » (PR, I, 185).