C. L’objeu et le blason du « Soleil » en mode mineur

« La Chèvre » offre une reprise, sur le mode mineur, de certains aspects de la poétique proposée dans « Le Soleil ». Et tout d’abord, elle fait de l’animal lui-même une nouvelle et humble figure de l’objeu.

La chèvre, mode mineur de l’objeu

Voici la machine, d’un modèle cousin du nôtre et donc chérie fraternellement par nous, (…) dès longtemps conçue et mise au point par la nature, pour obtenir du lait dans les plus sévères conditions.
Ce n’est qu’un pauvre et pitoyable animal, sans doute, mais aussi un prodigieux organisme, un être, et il fonctionne (P, I, 808). ’

Que la chèvre « fonctionne » nous renvoie à la définition de l’objeu (dans « Le Soleil »), comme moment d’accession à un véritable « fonctionnement ». Le texte est le lieu d’une métamorphose tendre de l’objeu, grâce à son incarnation dans l’humble animal qu’est la chèvre. Une fois encore, les deux pôles de l’écriture, perfection et lambeau coexistent. Dénuement et déchirement ne sont pas incompatibles avec l’accession, parfois, à la plénitude du fonctionnement. Ou, pour reprendre les termes métaphoriques de l’analyse de Jean-Pierre Richard, si « l’animal, toujours en déséquilibre sur sa pente (…), se donne, parmi les rochers et buissons déchiquetés, comme un être essentiellement déchiré, lui aussi », il n’en reste pas moins qu’« au cœur de cet espace catastrophiquement effiloché continue à s’arrondir la lourde mamelle maternelle (…) »773.

Souligner cette coexistence des contraires, c’est encore une façon de prendre le parti de l’humain, dont Ponge relève la proximité touchante avec l’humble animal. La chèvre, rappel de la grandeur et de l’humilité qui caractérisent l’exercice humain de la parole, est dès lors « chérie fraternellement par nous ».

Notes
773.

J. P. Richard, Pages, Paysages, Seuil, coll. Poétique, 1984, p. 220.