Bilan en 1961

Au début des années soixante, au seuil de la période où l’œuvre de Ponge est enfin, avec la parution du Grand Recueil, sur le point de connaître une consécration, elle est fermement établie sur ses fondements définitifs. Le murmure, par son passage symbolique au plus profond du monde muet et de la nuit du Logos, s’est fortifié en poussant ses racines et s’est fondé en légitimité. Il a acquis les moyens de son audience dans une littérature où Ponge se reconnaît désormais une patrie. C’est aussi à ce niveau de profondeur, où mort et renaissance se confondent, que la question de l’articulation de la parole au devenir humain a trouvé, après vingt ans de recherche, sa formule. La méditation de l’auteur sur la civilisation l’a conduit à définir une pratique d’écriture grâce à laquelle, étant elle-même dans un devenir permanent qui intègre l’abolition cyclique de ce qu’elle élabore, elle est devenue capable à ses yeux de s’établir face à l’Histoire et de lui résister. Cette résistance est emblématisée par la notion d’objeu, qui témoigne aussi, en tant que fonctionnement proprement verbal, que Ponge est parvenu à s’émanciper du modèle de l’artiste.

Ponge est devenu pleinement et publiquement auteur, car il s’est approprié, avec son travail sur Malherbe et sur « Le Soleil », la notion d’autorité778. Il s’est véritablement autorisé la parole. En effet, en cette période où il a annoncé son retour au « monde muet », ce sont pourtant moins les objets qui ont été mis sur le devant de la scène que l’exercice même de la parole. « Le Soleil » est le premier texte à être à la gloire non d’un objet mais de la parole – glorification dont le Malherbe, à partir de sa section VI, prend ensuite le relais. Là est l’événement – ou avènement – essentiel de cette période : la parole est établie en gloire, même quand elle murmure, car elle ne tient son pouvoir que d’elle-même. Elle s’est élevée au niveau du Verbe et elle est devenue capable de se donner sa propre définition.

Notes
778.

Une fois de plus, Ponge se retrouve là à rebours des modes intellectuelles de son époque : il devient pleinement « auteur » et revendique son « autorité » au moment où, dans les années soixante, la notion d’auteur entre précisément en crise (rappelons notamment que l’article de Barthes, « La Mort de l’auteur » paraît en 1968).