La dimension testamentaire et son dispositif d’ensemble (pré-able)

La dimension testamentaire des deux textes est marquée, on l’a vu, par le désir de transmettre, plutôt qu’un « avoir », une possibilité d’être et de faire. Ce legs n’en prend pas moins la forme d’un dispositif solidement établi, fondé sur la réduction des deux notions de pré et de table à deux matrices élémentaires de sens : pré et able. En effet « Le Pré » et « La Table », dans le dispositif qu’ils composent, dessinent la figure d’une totalité signifiante en cela que, figurant à la fois le préfixe pré, « préfixe des préfixes », emblème de l’antériorité absolue, de l’origine première, et le suffixe able, celui de « la possibilité pure », ils donnent à voir comme l’alpha et l’oméga non seulement d’une œuvre qui s’achève, mais d’une conception du monde, de la vie, de la création littéraire.

Le dispositif pré-able figure la conjonction ultime d’un retour à l’antériorité et d’une ouverture sur l’avenir : affirmation de l’existence de conditions préalables (pré) d’une part ; affirmation de l’existence des possibles ( able ) de l’autre. Il illustre une fois encore cette acceptation pleine et entière du temps qui caractérise le devenir de l’œuvre après 1945 : avec pré c’est le monde qui se donne dans son origine, dans sa surface vierge ; avec able c’est l’illimité des possibles qui s’ouvre vers l’avenir. Force est de conclure que le legs testamentaire de Ponge à son lecteur se veut essentiellement positif et encourageant. Il offre à ce lecteur, pour reprendre des mots qu’il affectionne, une capacité ou encore un conceptacle, donc moins un contenu qu’un espace à habiter. Le terme de « conceptacle », très présent dans les années cinquante833, fait retour dans La Table : « LES CONCEPTACLES : il y a fort longtemps que j’ai trouvé ce mot et pensé à en faire un titre » (T, II, 920).

Si le legs au lecteur peut se révéler aussi positif c’est que les deux objets ultimes qu’ont été le pré et la table auront été l’occasion d’opérer un bilan pacificateur, qui fait intervenir de nouvelles réconciliations.

Notes
833.

Notamment dans « L’Opinion changée quant aux fleurs » (NNR II, II, 1204).