CONTEXTE DE L’ETUDE

Contexte environnemental

Le choix des sites que je présente dans ce travail a été en grande partie dicté par les contraintes liées à la disponibilité des collections. Il ne participe donc pas d’un choix délibéré qui aurait eu la liberté de se soucier d’une exhaustivité régionale. Ceci étant dit, l’orientation de mon étude relève d’un intérêt personnel pour le Sud-Est de la France, préalable à la recherche d’un échantillon représentatif. La répartition des sites étudiés n’est donc pas homogène (fig. 2 et 3). La plus grande partie est regroupée en Ardèche méridionale, excentrant au Nord le site de Payre (Ardèche du Nord), et au Sud-Est le site des Peyrards (Vaucluse). Dans la partie aval des gorges de l’Ardèche se situent la grotte Saint-Marcel, l’abri du Maras, la grotte du Figuier et le Ranc Pointu, dans la partie moyenne la Baume d’Oullens et, à quelques kilomètres à vol d’oiseau, la Baume Flandin s’ouvre dans un petit vallon du plateau d’Orgnac, à la limite avec le département du Gard et enfin, plus au Nord, dans la moyenne vallée de l’Ardèche, on trouve la grotte des Barasses à Balazuc. Afin de pouvoir prétendre, au terme de cette étude, à une analyse comparative et à une vision générale de la région englobante, ces sites devront être confrontés aux autres gisements importants du Paléolithique moyen inclus dans ce vaste territoire. Celui-ci appartient à la partie méridionale du Sud-Est de la France, plus exactement à la moyenne et à la basse vallée du Rhône, regroupant les départements de l’Ardèche, de la Haute-Loire, du Gard, de la Drôme, du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône. Cette région couvre quatre grands domaines géologiques bien distincts : le Bas-Vivarais calcaire et les reliefs cristallins montagneux des Cévennes et du Massif Central à l’Ouest, le couloir rhodanien au centre, et à l’Est, les Massifs Sub-alpins de la Drôme et de la Provence (Debard, 1988 ; Buisson-Catil et al., 2004). Sans que le Rhône n’ait apparemment jamais constitué une véritable barrière paléogéographique (Combier, 1967 ; Moncel, 2003), cette zone peut être considérée comme une véritable entité géographique. La vallée du Rhône, grand couloir de circulation Nord-Sud, lieu de passage entre l’Europe du Nord et le monde méditerranéen, a sans aucun doute joué un rôle majeur dans le peuplement de toutes les gorges et vallées affluentes (Moncel, 2003 ; Szmidt, 2003). Sa position charnière entre le domaine continental à l’Ouest (Massif Central) et le domaine montagneux à l’Est (Vercors, Diois et Baronnies) expliquerait son rôle de refuge où les microclimats (Debard, 1988) ont favorisé la persistance des occupations humaines tout au long des périodes glaciaires successives (apparition tardive du renne par exemple). Riche en cours d’eau, gorges et plateaux calcaires renfermant de nombreux abris, cette région fut propice à l’installation des hommes au Paléolithique. Elle concentre en effet un très grand nombre de sites. La plupart des sites moustériens de cette région se trouvent en contexte karstique, sous la forme d’abris-sous-roche et de porches de grottes.

Sur la rive droite du Rhône, la plus grande concentration de sites se trouve aux alentours des gorges de l’Ardèche. Sans oublier que la répartition des sites archéologiques est en grande partie due à l’intensité des prospections, l’intérêt de ce lieu pour des populations de chasseurs-cueilleurs a souvent été souligné :

‘« Les gorges de l’Ardèche constituaient un lieu de vie idéal pour nos ancêtres : nombreuses cavités spacieuses, «microclimats» durant les périodes les plus rigoureuses, eau, proximité des voies de passage, présence de matières premières pour leur outillage… » (Ogel, 1998). ’ ‘« Les gorges de l’Ardèche  sont littéralement criblées de cavernes et d’abris-sous-roche de dimensions diverses » (Combier, 1967). ’

En Ardèche, la plupart des sites étudiés, porches de grotte ou abris-sous-roches, font en effet partie du domaine karstique des formations calcaires du Crétacé à faciès urgonien, dans lequel se sont creusées les gorges de l’Ardèche (Oullens, Saint-Marcel, Ranc-Pointu, le Figuier), et du Jurassique. A la périphérie des gorges, des petits vallons affluents, la plupart actuellement asséchés, offrent quelques abris-sous-roche et porches de grottes occupés pendant le Paléolithique (abri du Maras, Baume Flandin, Balazuc, abri des Pêcheurs). Au Nord du département, les sites en grotte ou abri-sous-roche de Payre et de Soyons (abri Moula et grotte Néron) offrent d’excellents points de vue grâce à leur situation en promontoire le long de la vallée du Rhône. Malgré leur rareté apparente, les sites en avens ou en habitats de plein-air ont sans aucun doute joué un rôle tout aussi important pour le peuplement. Les plateaux calcaires ardéchois offrent en effet des abris de type avens effondrés, plus difficilement repérables, qui furent régulièrement habités, comme en témoigne le site d’Orgnac 3. Les habitats en plein-air, soumis au hasard des travaux de creusement des sols, font également partie des sites d’habitat paléolithique. Le campement paléolithique supérieur de La Rouvière, dans la région de Vallon-Pont-d’Arc, en est un bon exemple (Combier, 1967 ; Combier & Thévenot, 1976). A propos de la répartition des sites moustériens, J. Combier (1967) notait qu’il est étrange qu’aucun des abris et porches de grotte de la vallée de la Cèze (Gard), plus au Sud, n’ait révélé d’occupations moustériennes. La moyenne montagne du Massif Central, au Nord-Ouest, a également livré des sites de cette période. C’est notamment le cas des sites de Saint-Anne 1 et de la Baume Vallée (Haute-Loire) qui appartiendraient respectivement à la fin du stade 6 et au début du stade isotopique 4, autrement dit à la fin du Riss et au début du Würm ancien (Raynal et al., 2005, 2007, sous presse). Enfin, du côté droit du Rhône, le site de l’Hortus (Hérault), plus excentré, est incontournable pour la connaissance de l’occupation du grand Sud-Est à cette période du Paléolithique.

Le long de la rive gauche du Rhône, la répartition des sites moustériens est plus homogène et régulière. Ils peuvent être regroupés, pour les plus importants, selon deux grandes zones géologiques. Au Nord, ils appartiennent aux calcaires récifaux du Secondaire. Il s’agit des habitats en porche, abri et plein-air des sites de la grotte Mandrin, du Bau de l’Aubesier et de Bérigoule. Et au Sud, les deux abris de la Combette et des Peyrards se trouvent en contexte de calcaires gréseux du Miocène (Texier, 2004b). Des deux gisements hors Vaucluse pris en compte dans cette étude, la grotte Mandrin (Drôme) est le plus isolé. En effet, au Sud, dans les Bouches-du-Rhône, le gisement de l’Adaouste, situé sur la rive droite de la Durance, n’est éloigné de la Baume des Peyrards que d’une dizaine de kilomètres. Ajoutons enfin à cette liste le site de la Grotte des Cèdres qui, bien qu’appartenant au département du Var, se situe à la frontière avec celui des Bouches-du-Rhône et fait encore partie du même territoire qui longe de part et d’autre le Bassin du Rhône.

Au Nord, la région s’étendant entre Valence et Lyon est quasiment vierge de sites du Paléolithique moyen. Dans la zone septentrionale de la vallée du Rhône, au-delà de la « région glaciaire » lyonnaise, J. Combier (1967) note d’ailleurs une réelle coupure dans le peuplement et les cultures. Récemment, le peuplement néanderthalien d’habitats en altitude a été mis en évidence dans le Massif du Vercors (Bernard-Guelle, 2001, 2002).

Pour J. Combier (1967), les affinités culturelles semblaient donc s’orienter vers le Sud. La notion qu’il soutient pour les influences culturelles du Paléolithique d’Ardèche, comme pour celui d’autres régions, tempère celle de grandes voies de migrations humaines, et appuie : « celle de peuplements stables et de séquences de civilisations dont l’évolution, régulière et sans à-coups, s’est trouvée déterminée à l’intérieur de chaque province par tout un ensemble de facteurs climatiques et géologiques. » Cette hypothèse sera bien entendu mise à l’épreuve au cours de cette étude. Mettant de côté les occupations périphériques de moyenne montagne, particulières par leur position en altitude et leur environnement géologique, nous concentrerons notre attention sur le couloir sud-rhodanien et ses bordures calcaires accidentées, nettement similaires dans leur topographie.

Comme le souligne P.-J. Texier (2004b) au sujet des sites vauclusiens, le potentiel en ressources minérales, animales et végétales utiles, était primordial et discriminant dans le choix de l’installation des hommes du Paléolithique au sein du territoire. Je présenterai donc plus loin chacun des sites étudiés de façon à recenser les richesses environnementales offertes aux Néanderthaliens venus y habiter.