Chronologie

Comme on l’a vu, l’étude de l’industrie permit à R. Gilles (1986) d’attribuer d’emblée toute la séquence au Paléolithique moyen. Plus précisément, l’absence du renne le conduit à émettre l’hypothèse d’une attribution des occupations au premier stade du Würm ou au début du Würm II (Gilles, in Combier & Thévenot, 1976). Nous disposons d’une datation de la couche e et de considérations climatologiques et chronologiques établies à partir des données sédimentologiques, palynologiques et fauniques. E. Debard met en évidence neuf phases climatiques distinctes. Nous rappellerons seulement ici les phases concernées par les dépôts archéologiques (Debard, 1988, fig. 12).

La troisième phase climatique, qui débute par la première couche archéologique, la couche u, est une phase de transition climatique marquée par un retour du froid qui aboutira en s à un radoucissement. Une première hypothèse, déduite des données sédimentologiques (Debard, 1988), attribuerait les couches inférieures (u à s) à l’Eowürm (extrême fin du stade isotopique 5 et tout début du 4). L’étude palynologique indique quant à elle la présence de taxons de climat continental et l’absence de taxons de climat méditerranéen dans les couches inférieures (Bazile-Robert, 1979), tandis que la faune de petits mammifères des couches u à s traduit un climat tempéré humide (détermination J. Chaline). L’étude paléontologique des restes fauniques, effectuée par E. Crégut-Bonnoure en 1982, distingue nettement la couche u des couches supérieures par l’abondance du daim (tab. 100). De plus, un réexamen de la faune de cette couche en 2000 (Crégut-Bonnoure, in Defleur et al., 2001) montre la présence d’un tahr, Hemitragus cedrensis, et d’un cerf proche de celui du gisement des Cèdres (Var). Ces considérations indiqueraient que la couche u appartiendrait, comme les couches y à v de l’ensemble inférieur, à l’Eémien, stade isotopique 5e et non pas à l’Eowürm, fin du stade 5. Elle serait donc contemporaine des couches interglaciaires XVI et XV de l’abri Moula.

Cette phase de transition climatique débouche sur un réel refroidissement, s’accentuant tout au long de la cinquième phase, qui regroupe les couches r’ à k. La faune est peu abondante et comprend deux espèces principales : Cervus elaphus et Equus hydruntinus, traduisant, l’une des espaces boisés, l’autre des étendues ouvertes. Cette cinquième phase serait encore à attribuer, selon E. Debard (1988), à la fin du stade isotopique 5.

En ce qui concerne la septième phase climatique renfermant les couches archéologiques les plus riches (couches j à g), l’étude palynologique indique dès la couche j la présence de taxons méditerranéens comme le pin de Salzmann (Bazile-Robert, 1979). L’analyse des charbons de bois des couches correspondantes, faite par J.-L. Vernet (in Gilles, 1977), n’a permis de déterminer, sur cent-cinq échantillons, qu’une seule espèce : le pin (Pinus sylvestris). Les dépôts sédimentologiques traduisent quant à eux un climat modérément froid dans un contexte général humide. E. Debard (1988) émet deux interprétations chronologiques pour les couches j à g de cet ensemble 7 : soit elles font encore partie de ce qu’elle appelle l’Eowürm, correspondant à la fin du stade isotopique 5 (début du Würm ancien), soit elles appartiennent à un épisode tempéré plus récent du stade isotopique 3 (fin du Würm ancien). Toutefois ses conclusions penchent en faveur de la seconde hypothèse, compte tenu de l’existence d’une lacune assez importante (Saint-Marcel 6) entre le dépôt de la couche k (Saint-Marcel 5) et celui de la couche j (Saint-Marcel 7).

La faune de cette septième phase climatique, dominée par le cerf élaphe et le chevreuil, et comprenant bouquetin, chamois, et cheval, révèle un environnement tempéré, et des biotopes variés tels que bois, escarpements et prairies. Cette liste faunique, sans s’opposer à l’attribution de l’ensemble 7 au stade isotopique 3, ne permet cependant pas de la confirmer. Associée à la présence de Capra caucasica, cette association faunique délimite la période qui nous intéresse à un interstade tempéré du Würm ancien (Crégut-Bonnoure, in Defleur et al., 2001). Dans son analyse paléontologique comparative des niveaux de Saint-Marcel et de l’abri Moula (Ardèche), E. Crégut-Bonnoure estime en effet les couches g et g’ plus récentes que l’ensemble du dernier interglaciaire de l’abri Moula.

La présence avérée de la sous-espèce Cervus elaphus simplicidens (Guadelli, 1987)dans la couche g, ainsi que celle d’un cerf de grande taille dans les couches h, i et j (Crégut-Bonnoure, 1982 ; Daujeard, 2002, 2003b ; Moncel et al., 2004) témoigne du développement, durant une période climatique clémente, de la forme de petite taille aux dépens du grand cerf des couches sous-jacentes (Guadelli, 1987, 1996 ; Valensi et al., 2004 ; Daujeard, 2002, 2003b). La présence de Cervus elaphus simplicidens dans la couche g pourrait cependant indiquer un âge plus précis, à savoir une attribution au Würm ancien inférieur (fin du stade isotopique 5, début du 4). En effet, les niveaux de Combe-Grenal où a été reconnue cette petite forme de cerf sont datés de la fin du stade isotopique 5 (Prat & Suire, 1971 ; Guadelli, 1987). De plus, par la suite, cette sous-espèce a été reconnue dans les niveaux moustériens du début du Würm ancien de l’Adaouste (Bouches-du-Rhône ; Crégut-Bonnoure, in Defleur et al., 1994b) et dans un site d’Italie du Nord, Madonna dell’Arma, attribué au stade 5 (Valensi et al., 2004).

En l’absence de datations absolues, les données environnementales et sédimentologiques permettent tout au plus d’attribuer l’ensemble 7 de Saint-Marcel à un épisode tempéré du Würm ancien, soit appartenant au Würm I (fin du stade isotopique 5), soit au Würm II (stade isotopique 3).

Enfin, pour les couches f et e, on note une reprise de la gélifraction, donc un retour à des conditions plus rigoureuses. La faune est peu abondante et aucun changement particulier n’est observé. Une datation radiocarbone a été effectuée sur des ossements de la couche e. Elle a donné un âge de 29 330 +/- 650 ans (Evin et al., 1985). Là encore deux hypothèses sont émises quant à la validité de cet âge. D’un côté cet âge serait à rejeter compte tenu de la position en surface des ossements qui ont pu avoir été soumis à un remaniement, d’autre part cet âge serait probable. Dans ce dernier cas la couche e de Saint-Marcel serait contemporaine de la couche R de la Baume d’Oullins, datée de 31750 +/- 583 (Lafont et al., 1984) et du niveau I de l’abri du Maras contemporain du stade isotopique 3, donc de la fin du Würm ancien supérieur ou Würm II (Moncel, 1998). Leur contemporanéité serait d’autant plus sûre que le matériel lithique de ces trois couches a été attribué à un Moustérien tardif (Combier, 1967). Cependant, lors de l’étude du matériel lithique de Saint-Marcel entreprise par M.-H. Moncel en 1996, un doute a été émis sur la validité de la comparaison du matériel trop pauvre des couches f et e avec celui attribué à un Moustérien tardif dans les couches du Maras et de la Baume d’Oullins.

En l’état actuel des connaissances, il est possible de proposer cet intervalle chronologique pour les couches archéologiques : elles seraient comprises entre l’interglaciaire Eémien, correspondant au stade isotopique 5 e pour la couche u, environ 120 000 ans, et la fin du Würm ancien ou début du stade isotopique 3, environ 40 000 ans. Les hommes seraient donc venus à Saint-Marcel à la veille des grandes périodes de glaciation du Würm récent, faisant ainsi partie des dernières populations de Néanderthaliens d’Europe occidentale. Toutefois, en l’absence d’autres datations absolues, ces considérations chronologiques restent à vérifier.