L’abri du Maras (Saint-Martin-d’Ardèche)

L’abri du Maras (commune de Saint-Martin-d’Ardèche) est situé à la sortie des gorges de l’Ardèche, en retrait, le long d’un petit vallon perpendiculaire, anciennement creusé par un affluent de l’Ardèche, Les Granges, aujourd’hui ruisseau temporaire (fig. 26 et photo 13). Vaste à l’origine, cet abri ne représente aujourd’hui qu’un surplomb restreint : douze mètres de long, trois mètres de profondeur et deux mètres de hauteur au-dessus du remplissage (Combier, 1967 ; Debard, 1988 ; photo 14 et fig. 27). De grandes dalles issues du plafond, retrouvées dans différents niveaux, témoignent de son recul progressif. Exposé au Sud-Est, il est creusé dans les calcaires du Bédoulien à faciès urgonien. Il surplombe le vallon des Granges et la sortie des gorges de l’Ardèche à une altitude absolue d’environ cent-soixante mètres, c’est à dire à cent-quinze mètres au-dessus du niveau actuel de l’Ardèche.

Cet abri fut probablement découvert et fouillé anciennement (1894) par L. Chiron sous le nom de l’abri du « Ranc de Banaste » (Combier, 1967). Par la suite, de 1946 à 1950, R. Gilles y entreprit une fouille étendue des niveaux supérieurs renfermant une industrie moustérienne riche en éléments laminaires (Gilles, 1950 ; Baudet & Gilles, 1955). En 1958, J. Combier et M. Ribeyre, lors de nouvelles recherches, mettent au jour sous des dalles effondrées un remplissage épais contenant plusieurs autres niveaux moustériens et permettent de confirmer le caractère « évolué » du niveau supérieur. En 1963, J. Combier et son équipe, étendent les fouilles de ces niveaux inférieurs hors de l’abri. En 1981, E. Debard, avec l’aide de B. Gély et de J.-L. Porte, ravive les coupes stratigraphiques des fouilles de J. Combier afin d’y prélever des échantillons nécessaires à l’étude sédimentologique (fig. 28 et 29). A la faveur d’une coupe qui menaçait de s’effondrer et dans le cadre d’une étude régionale des occupations du Pléistocène moyen et supérieur, un travail de terrain effectué par M.-H. Moncel et C. Gaillard a eu lieu en 1993. Celui-ci a donné lieu à une synthèse pluridisciplinaire (Moncel et al., 1994) ainsi qu’à des datations U-Th sur un silex brûlé et une esquille osseuse (Moncel & Michel, 2000). Enfin, en 2006, M.-H. Moncel et son équipe entreprennent des sondages dans des carrés en avant du site dans le but de préciser la base de la séquence et d’effectuer des prélèvements pour des études paléoenvironnementales et chronologiques (Moncel et al, 2006, fig. 30).

La séquence stratigraphique de ce gisement a permis la mise en évidence de huit niveaux archéologiques répartis sur trois mètres cinquante de remplissage (Combier, 1967, fig. 29). L’étude sédimentologique montre un contexte général froid et plutôt aride entrecoupé de petits épisodes tempérés et humides. L’aridité, caractéristique des gisements du Würm ancien dans la région Provence-Languedoc, permettrait d’attribuer la majeure partie de la séquence du Maras à cette période (Debard, 1988, fig. 31). Les datations U-Th ont été effectuées à partir de matériel archéologique issu du niveau archéologique 5 et ont donné un intervalle chronologique entre 70 et 90 ka, correspondant à une phase finale du dernier interglaciaire ou au début de la dernière période glaciaire (fin du stade isotopique 5, début du stade 4 ; Moncel & Michel, 2000).

L’étude de la faune issue des fouilles de R. Gilles et de J. Combier, confirmerait les données sédimentologiques par la présence majoritaire d’espèces de milieux froids et steppiques comme le renne et le cheval. Dans un contexte général froid et sec, J. Combier (1967) souligne cependant une évolution climatique vers un refroidissement accentué dans les couches supérieures, aboutissant à un réchauffement dans le niveau 1 qui correspondrait selon lui à l’interstade du Würm II-III. De même, la présence du renne lui permet d’émettre l’hypothèse de l’attribution chronologique du reste de la séquence au Würm II. D’autres espèces plus rares comme le loup, le bouquetin, un grand Bovidé et le cerf ont été déterminées. Ce dernier apporterait dans certains niveaux une note plus tempérée et forestière. La rareté des restes osseux n’autorise cependant pas l’auteur à analyser plus précisément leur répartition stratigraphique. L’analyse faunique effectuée par M. Patou-Mathis (in, Moncel et al., 1994) à partir du matériel issu de la campagne de 1993 et du matériel présent au Musée d’Orgnac confirme l’abondance du renne dans les niveaux supérieurs, associé au cheval et au bison, et remarque son apparition à partir du niveau 5 ainsi que son absence totale dans les niveaux profonds, et ceci à l’inverse du cerf. L’auteur observe ainsi une diminution des espaces forestiers et un refroidissement de la base au sommet de la séquence. Ces considérations lui permettent l’interprétation biostratigraphique suivante, à savoir l’attribution de l’ensemble de la séquence au Würm ancien et, plus précisément, la contemporanéité des niveaux 8 à 6 à la fin du stade isotopique 5 et celle des niveaux 5 à 1 aux stades isotopiques 4 et 3. Compte tenu de la pauvreté du matériel osseux, M. Patou-Mathis émet cependant des réserves quant à ces hypothèses (tab. 3).

L’étude de l’industrie lithique réalisée par J. Combier (1967) met principalement en évidence le Moustérien à débitage Levallois et à caractère laminaire des niveaux supérieurs 3 à 1, déjà noté par R. Gilles. Les assemblages lithiques des occupations antérieures appartiendraient à un Moustérien de type Ferrassie classique (Combier, 1967 ; Moncel, 1996a). Pour J. Combier, le niveau 1 serait une forme de transition vers le Paléolithique supérieur. L’étude ultérieure de M.-H. Moncel (1995, 1996a, 2005) révise à la baisse le pourcentage de lames dans les trois niveaux supérieurs et précise que les modes de débitage appartiennent clairement au Moustérien et ne témoignent donc pas d’un passage vers le Paléolithique supérieur. Les deux auteurs s’accordent cependant pour attribuer les occupations de ces niveaux supérieurs à une phase récente du Paléolithique moyen, en faisant un Moustérien final, contemporain des niveaux supérieurs de la grotte Saint-Marcel (Saint-Marcel, Ardèche) et de la grotte Néron (Soyons, Ardèche). C’est seulement dans cette dernière qu’une telle industrie laminaire à débitage Levallois a pu être observée pour ces mêmes périodes en Ardèche (Defleur et al., 1994a). L’analyse de la matière première indique une collecte avant tout locale, avec une fréquentation secondaire de gîtes dans un rayon d’une dizaine de kilomètres au sud.