L’abri des Pêcheurs (Casteljau)

L’abri des Pêcheurs se situe sur la commune de Casteljau, à trente kilomètres à l’Est de Vallon-Pont-d’Arc, dans la vallée du Chassezac, principal affluent de l’Ardèche (fig. 32). Cette petite cavité allongée (15-20 m²) s’ouvre à une trentaine de mètres au-dessus du lit actuel de la rivière, sur la rive gauche, au pied d’une falaise creusée dans les calcaires kimméridgiens du Jurassique supérieur (photos 15, 16 et 17 et fig. 33). Le porche, à la faveur d’une diaclase verticale, atteint cinq mètres de haut et est orienté vers le Sud-Est. L’abri est longé par la seule vire qui permet d’atteindre le sommet du plateau, bordé par un éperon rocheux qui surplombe la rivière à plus de quatre-vingts mètres de haut (Lhomme, 1978 ; Debard, 1988).

Cet abri a été découvert en 1973 par deux spéléologues, H. et P. Bayle. Des fouilles programmées ont été entreprises par G. Lhomme de 1974 jusqu’en 1988 (Lhomme, 1978, 1979, 1983 et 1984 ; Lhomme et al., 1980). Un ravivage des coupes a été entrepris en 2005 par M.-H. Moncel et son équipe de façon à prélever plusieurs échantillons qui serviront à replacer chronologiquement et environnementalement la séquence (Moncel et al., 2005b ; fig. 36).

La séquence s’étend sur sept mètres de hauteur, du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur dans lequel ont été identifiés des niveaux de l’Aurignacien (très rare dans la région), du Gravettien (anciennement Périgordien supérieur) à burins de Noailles, du Solutréen et du Magdalénien final. La partie supérieure du remplissage renferme également des traces d’occupations datées du Néolithique final, de l’âge du Bronze final et du Moyen-Age (sépulture). Ce site est important en ce qui concerne la transition Paléolithique moyen/Paléolithique supérieur et la connaissance des comportements humains au stade isotopique 5 pour ses niveaux inférieurs (Lhomme, 1978, 1983, 1984 ; Debard, 1988 ; Moncel et al., 2005b).

Plus d’une trentaine de couches archéologiques ont été identifiées à la fouille, 10 à 11 pour le Paléolithique supérieur et 14 à 16 pour le Paléolithique moyen. La plupart des couches présentent un pendage Nord-Ouest de cinq à dix degrés environ vers le fond de l’abri (soutirage dû à une galerie descendante). La cavité a été divisée en trois secteurs. Le secteur A ou S1, le plus vaste, est situé à l’entrée et a été en partie remanié par les occupations protohistoriques et historiques. Le secteur B ou S2-3, plus étroit, correspondait au fond de l’abri lors de sa découverte. Le secteur C ou S4, découvert en 1978 lors de l’élargissement des fouilles, a un remplissage de plus de cinq mètres de haut qui se prolonge par une galerie d’érosion descendante dans le fond de la cavité. C’est lors de la découverte de ce réseau que les fouilleurs découvrirent qu’il ne s’agissait nullement d’un simple abri-sous-roche, mais d’un véritable porche de grotte (fig. 34 et 35). Pour accéder à ce fond, les hommes contemporains du Paléolithique moyen, ont dû descendre « une marche » faite par un plancher stalagmitique subvertical de plus de quatre mètres de haut pour les premières occupations et de près de deux mètres pour les dernières, donnant à la grotte l’aspect d’une fosse. C’est également dans ce secteur, à la base du remplissage, qu’un foyer ainsi que de nombreux os brûlés ont été découverts (Lhomme, 1978, 1983, 1984 ; Debard, 1988 ; Prucca, 2001).

La fouille a été réalisée en décapages successifs. Les décapages F3 à F10 sont rattachés au Paléolithique supérieur et les décapages F11 à F26 au Paléolithique moyen. Ces décapages renferment plusieurs couches archéologiques ou « sols d’occupation humaine distincts » interstratifiés avec des niveaux à Carnivores et des phases d’effondrement de la paroi (Lhomme, 1978, 1983, 1984 ; Debard, 1988 ; Moncel et al., 2005b). Au niveau des interprétations sédimentologiques, le remplissage est complexe en raison des nombreux ravinements, des remaniements anthropiques et du soutirage. La section grossière s’est mise en place par cryoclastisme au sein d’une matrice sablo-limoneuse amenée du plateau par ruissellements (Debard, 1988).

Les datations obtenues par radiocarbone sur des ossements des niveaux du Paléolithique moyen donnent un âge maximum d’environ 31 000 ans (Evin et al., 1985). Cependant, ces dates, à la limite de la méthode de datation du C14 et peut-être contaminées par les niveaux supérieurs ont nécessité de nouvelles datations faites par la méthode plus appropriée de l’U-Th. Neuf ossements issus des décapages F14-F15 et F20-F21 et deux échantillons de zones bréchifiées provenant de la base de la séquence ont été datés entre 39 000 et 118 000 ans (Masaoudi et al., 1994). La formation des niveaux indurés de la base, datés entre 83 000 et 118 000 ans, se serait effectuée pendant le stade isotopique 5, tandis que les niveaux paléolithiques moyens se seraient mis en place durant un climat doux et humide laissant la place, vers le sommet de cette séquence d’occupation, à un froid sec puis à un froid humide (stades isotopiques 4 et 3).

La première étude faunique a concerné les restes de Carnivores issus principalement des niveaux moustériens. Elle a permis d’établir une liste très variée (Balme, 1984) composée d’Ursus spelaeus, Ursus arctos, Canis lupus, Vulpes vulpes, Crocuta spelaea, Panthera pardus, Panthera spelaea, Felis sylvestris, Cuon alpinus et Lynx sp. L’ours des cavernes et le loup sont les deux espèces les plus abondantes, représentées chacune par une dizaine d’individus, suivis par l’hyène et le renard, qui comptent respectivement cinq et quatre individus, puis par l’ours brun, le dhôle et quelques restes de Félidés. F. Balme (1984) note que les ours et les hyènes, particulièrement massifs, sont typiquement würmiens. Elle souligne également la présence dans les mêmes niveaux des deux espèces d’Ursidés, fait relativement exceptionnel, et soulève l’hypothèse de l’arrivée d’Ursus arctos dans la région à la faveur d’une oscillation climatique. Beaucoup de squelettes appartenant à ces espèces sont retrouvés quasiment entiers et en connexion anatomique. La plupart des restes de loup et de renard ont été retrouvés dans le secteur S4 au fond de la cavité, tandis que ceux d’hyène sur les deux derniers secteurs et ceux d’ours sur les trois secteurs.

La variété des herbivores est tout aussi importante. Ils sont largement dominés par le bouquetin. Mais sont aussi présents, de façon anecdotique, le cerf, le renne, le mégacéros, le chamois, le cheval, le bison, l’aurochs, le sanglier et le rhinocéros laineux. Le rhinocéros laineux est attesté à la fin de la séquence du Paléolithique moyen, soit dans les niveaux F10 à F14. Dans les décapages F11 à F17, l’association du castor, du sanglier, d’un grand Bovidé, de l’hyène des cavernes, du renard, de l’ours et du rhinocéros laineux, a permis à C. Guérin de l’attribuer à la zone MNQ 26, soit au Würm (Guérin, 1980). L’étude des bouquetins sous le décapage F23, effectuée par E. Crégut-Bonnoure, met en évidence le plus ancien morphotype alpin daté du Würm ancien et uniquement présent à l’Ouest du Rhône : Capra ibex cebennarum (Crégut-Bonnoure, 1992c, 2002, in Moncel et al., 2006). De plus, son étude des surfaces osseuses fait état de l’absence de traces humaines et de la présence de marques laissées par les Carnivores. Elle soumet l’hypothèse d’une accumulation d’animaux tombés dans un piège. Ce scénario sera repris et étayé par A. Prucca (2001) qui parle de « piège naturel pour les bouquetins mais aussi peut-être pour les Carnivores ». Les prédateurs, hommes ou Carnivores (principalement le loup), auraient alors profité de façon opportuniste de cette accumulation « naturelle ». Pour les restes de loup retrouvés en abondance en connexion dans le fond de la grotte, elle envisage deux possibilités, soit une population piégée comme dans le cas des bouquetins, soit une utilisation momentanément de la grotte comme repaire par ces Carnivores. Les nombreuses traces de dents observées sur les herbivores de ce secteur témoignent de leur consommation par les loups. L’intervention humaine sur les carcasses d’herbivores, très discrète, reste problématique.

En ce qui concerne les données paléoenvironnementales, l’étude des rongeurs a été faite par M. Jeannet (1980) et celle des oiseaux par P. Vilette (1983). Ces études ont permis de mettre en évidence une grande variété d’espèces. Une étude ultérieure des rongeurs (El Hazzazi, 1998) couplée à celle des pollens (Kalaï, 1998) a permis de révéler une évolution de l’environnement et du climat tout au long de la séquence, et de la rattacher globalement au Pléistocène supérieur (de bas en haut).

Les matières premières les plus abondantes sont le quartz, le grès, le schiste et les roches cristallines. Toutes sont des roches d’origine locale, largement présentes au pied du site, dans le Chassezac, et sur le plateau, dans les alluvions pliocènes. En ce qui concerne le silex plus rare, plusieurs variétés d’origine semi-locale ont été identifiées.

La présence de nombreux micro-éclats de quartz témoigne d’un débitage qui a été effectué dans la cavité. Très peu d’éclats sont retouchés, la plupart sont des racloirs simples à retouches peu transformantes (Moncel et al., 2005b). Lhomme (1983) souligne cependant la présence dans les niveaux moustériens de quelques outils en quartz : pointes Levallois, racloirs, denticulés et couteaux à dos. Le débitage du quartz est sommaire et peu standardisé, on est en présence soit d’un débitage discoïde, soit d’un concassage des galets. Pour le silex, les règles de débitage sont identiques, bien que plus formalisées (Moncel, 2003).