Outils statistiques utilisés

Dans cette partie je détaillerai les unités utilisées dans l’analyse archéozoologique. Reconstruire l’histoire d’un stock de restes osseux nécessite l’emploi de nombreux outils statistiques à valeur interprétative. Ces instruments d’étude sont communs à toute la discipline et permettent ainsi la comparaison entre différents sites archéologiques. R. L. Lyman (1994) les a divisés en plusieurs catégories dont je me suis inspirées. Tout d’abord, les unités quantitatives d’observation : il s’agit de mesures fondamentales qui sont en relation directe avec le matériel. Les unités quantitatives d’analyse, dérivées des unités fondamentales nourrissent l’interprétation des données. Enfin les unités interprétatives se présentent le plus souvent sous la forme de calculs qui permettent d’accéder directement à des concepts tels que «valeur de survie» ou «taux de détermination».

Le Nombre de Restes Déterminés par taxon (NRDt)est le nombre de restes identifiés par espèce, par genre ou par famille. Nous différencions ici le NRDt du Nombre de Restes Déterminés anatomiquement(NRDa) qui regroupent les restes déterminés seulement selon leur emplacement anatomique. Aucune catégorie taxonomique n’a pu leur être attribuée. Le NRDa est majoritairement représenté par des fragments des squelettes axial et crânien. Le Nombre de Restes Déterminés(NRD) est la somme du NRDt et du NRDa.

Le Nombre Minimum d’Individus(NMI) se calcule selon deux méthodes, celle du NMI de fréquence et celle des appariements (Poplin, 1981). Le NMI de fréquence (NMIf) s’obtient à partir du nombre maximum d’un élément anatomique suivant la latéralité, tandis que le NMI de combinaison (NMIc), plus grand, prend en compte des facteurs d’identité tels que l’âge (usure des dents et degré d’épiphysation pour les éléments post-crâniens), la taille et le sexe 4 . Le NMIc peut donc être compté comme un outil dérivé, c’est celui que nous utiliserons dans ce travail. Du fait des remontages rendus souvent impossibles par la fragmentation, le NMI total des os longs sera estimé selon le NMImax de l’une des trois portions (épiphyse proximale, diaphyse, épiphyse distale). Toutefois, au sein d’une même portion, le décompte des portions anatomiques non recouvrables pouvant appartenir à un même élément peut contribuer à surestimer le NMI réel. J’ai donc tenu compte dans mes calculs des remontages effectués, réévaluant parfois à la baisse le calcul initial. Le NMI est un paramètre à utiliser avec réserve, son défaut majeur étant lié aux problèmes d’agrégation des échantillons osseux (Grayson, 1984 ; Costamagno, 1999a). Il est tributaire de la surface fouillée et des répartitions stratigraphiques ; or dans le cas de gisements contenant des aires spécialisées ou accusant des déplacements au sein des couches, l’interprétation en terme de diversité taxonomique peut s’avérer scabreuse. Il implique également que chaque élément déterminable représente un animal entier, ce qui est loin d’être toujours le cas, notamment pour les gros animaux. Il peut cependant donner une idée de la cohérence d’un assemblage. A ce propos, F. Delpech & P. Villa (1993) nous rappellent que le fait que plusieurs types d’os différents donnent des estimations identiques ou très proches du NMI, suggère un échantillon représentatif de la population totale, et inversement. Enfin, ce paramètre surestime la fréquence d’une espèce représentée par peu de restes. Le NMI doit donc seulement servir d’indication relative.

Le Nombre de Restes Total(NRT) est le nombre total de restes osseux présents dans un gisement, incluant le NRD ainsi que le nombre de restes indéterminés ou esquilles.

Notons que pour affiner leur analyse, les différentes traces laissées par les prédateurs (Carnivores ou hommes) sur les surfaces osseuses des os longs ont été décomptées par région osseuse (Blumenschine, 1988) :

  • EPH : fragment épiphysaire
  • DIAPHext : fragment d’extrémité de diaphyse avec spongiosa
  • DIAPHméd : fragment de diaphyse médiane compacte
  • Unités quantitatives d’analyse :

Le Nombre Minimum d’Eléments(NME) est une estimation du nombre minimum d’éléments de chaque partie anatomique au sein d’une espèce (Binford, 1984). Le processus est identique à celui du NMI mais concerne les éléments du squelette. Il est donc soumis aux mêmes difficultés méthodologiques. Je l’ai calculé en ajoutant les éléments gauches et droits pour les os latéralisables et en prenant en compte tous les éléments pour les os non latéralisables (crâne, vertèbres, côtes et phalanges). Ce choix peut amener à sous-estimer les parties difficilement latéralisables, comme les diaphyses des canons par exemple et à surestimer en revanche les parties non latéralisables souvent très fragmentées comme les côtes et le crâne. De la même façon que pour le NMI, le NME des os longs est divisé selon les trois catégories suivantes : épiphyse proximale, diaphyse, épiphyse distale (tout fragment de diaphyse contenant une extrémité a été compris dans la catégorie épiphyse, les éléments entiers ont été enregistrés dans une seule des trois catégories, la plus riche, de façon à obtenir un NME optimal). Le NME total de chaque os long a été établi selon le NME maximum obtenu dans l’une des trois portions. L’impossibilité récurrente d’établir des remontages entre ces dernières ne m’a pas permis de les additionner. En effet, comme nous l’avons vu avec le NMI, l’absence de remontage dans des sites intensément fragmentés ne suffit pas à distinguer les différentes parties les unes des autres. Pour des fragments appartenant au même côté ou pour les éléments non latéralisables, seuls ceux contenant une portion anatomique identique devraient nous donner une estimation au plus proche du NME. Toutefois, le nombre trop important des restes et le temps d’analyse limité imparti à chacun de nos gisements ont rendu la plupart du temps cette observation inenvisageable. J’ai donc conscience d’avoir calculé non pas un nombre minimum d’éléments mais une valeur relative s’en rapprochant le plus possible. Une fois encore, de la même façon que pour le calcul du NMI, j’ai pris en compte les remontages effectués, ce qui m’a également permis parfois de diminuer le résultat du calcul initial. Dans cette étude, 9 fragments diaphysaires d’humérus droits et 4 gauches donnent un NME de 13 et un MAU de 6,5 (cf. infra). Si les NME des extrémités distale et proximale sont inférieurs à 13, alors le NME total pour l’humérus reste 13.

Le Minimal Animal Unit (MAU) est une conversion du NME prenant en compte l’anatomie de l’animal. En effet, le MAU se calcule en divisant le NME par le nombre de cet élément présent dans le squelette de l’espèce considérée. L’abondance relative des différentes parties squelettiques retrouvées dans un gisement peut ainsi être comparée à l’abondance relative de ces mêmes parties présentes au sein de l’animal. Binford (1984) démontra l’utilité du MAU en déclarant que ce qui était intéressant de prendre en compte dans une étude archéozoologique n’était pas l’animal entier (représenté grâce au NMI) mais les segments anatomiques de ce dernier. Il était alors possible de réfléchir aux stratégies de découpe et de transport des carcasses employées par les hommes préhistoriques. Directement lié au NME par son calcul, le MAU subit donc les biais inhérents à cette autre unité interprétative. Par exemple, la fragmentation fréquente du crâne entraînera, du fait d’un NME exagéré, une estimation à la hausse du MAU, et ce d’autant plus que les fragments de voûte crânienne sont seulement divisés par 1 (1 seul exemplaire). De façon à atténuer ce travers méthodologique, le MAU a été calculé en ajoutant les MAU des morceaux de voûte divisés par 1 aux MAU des parties latéralisables du crâne divisées par 2. Les diaphyses de métapodes, souvent très nombreuses car facilement déterminables, souffrent également d’une mauvaise représentation une fois converties en MAU. Difficilement latéralisables, leur NME est beaucoup trop faible par rapport à leur NRDt, et de fait leur MAU est sous-évalué.

L’indice d’utilité ou Food Utility Index(FUI) est un indice de rendement qui a été mis au point à partir du poids en viande, en graisse et en moelle de chaque partie anatomique (Metcalfe & Jones, 1988). J’ai préféré utiliser les indices obtenus par D. Metcalfe & K.T. Jones plutôt que ceux de R. L. Binford (1978) car les premiers ne prennent pas seulement en compte dans leurs calculs les épiphyses mais également les portions diaphysaires des os longs.

Lors de son séjour chez les Nunamiut, R. L. Binford (1978) a pu notamment observer que seules les parties les plus nutritives étaient récupérées au cours du transport des carcasses. Cet indice permettrait donc de mieux comprendre les modalités du transport humain des segments de carcasse. Aux même fins, P. Auguste (1995) a divisé les FUI de chaque partie anatomique d’un animal en trois parties :

  • FUI 20 = éléments à faible valeur nutritive
  • FUI 20-40 = éléments à valeur nutritive moyenne
  • FUI 40 = éléments à haute valeur nutritive

Cependant il ne faut pas oublier qu’il existe un biais à l’utilisation de cet indice en terme d’utilité pour l’homme. En effet, le FUI ne prend pas en compte la peau qui peut, tout autant que la viande, la moelle et la graisse, être utile. Ainsi les extrémités des membres, dont le FUI est faible, peuvent être apportées dans le but de dépouiller les animaux sur le lieu d’habitat.

L’appréhension du transport sélectif des carcasses par l’homme se fait en corrélant MAU et FUI. Cependant R. L. Lyman (1985) nous met en garde contre des interprétations abusives en nous rappelant que les os les plus riches sont également les os les moins denses. De fait, deux scénarios s’annoncent possibles à la lecture d’une courbe significativement positive entre MAU et FUI. Ainsi, une corrélation entre les deux pourrait signifier non pas un transport sélectif anthropique mais une conservation différentielle in situ. Il faut donc ajouter à nos outils l’indice de densité des segments anatomiques de façon à pouvoir mettre en parallèle MAU et densité (Lyman, 1994). Ainsi, dans un site d’habitat, l’abondance de segments anatomiques denses au sein de l’assemblage révélerait une conservation différentielle. Sur le plan statistique, dans le cas d’une destruction différentielle très accusée, la corrélation est non significative entre MAU et FUI tandis qu’elle est significative et positive entre MAU et indices de densité (Grayson, 1989). Enfin, revenons sur le problème des fragments de diaphyse d’os long des segments supérieurs à forte valeur nutritive soulevé par C. W. Marean et ses collaborateurs dans les années quatre-vingt-dix (Marean & Spencer, 1991 ; Marean & Frey, 1997 ; Bartram & Marean, 1999). Plus épargnés des altérations post-dépositionnelles et de l’action des grands Carnivores que les épiphyses, leur prise en compte dans les profils squelettiques est indispensable pour un meilleur examen des comportements humains et d’éventuels modes de transport des carcasses fondés sur des stratégies utilitaires.

  • Unités interprétatives :
    • Le pourcentage MAU est établi en attribuant 100 % au MAU le plus élevé :

Cet outil sera notamment utilisé pour représenter l’abondance relative d’un élément (e) dans les courbes de corrélation avec les indices de densité et de rendement.

  • Le pourcentage de valeur de survie d’un élément se calcule comme suit (Brain 1969, 1976 ; Lyman, 1994) :

(NMImax) (Nbre de portions anatomiques e) = NMEe attendu

Ce pourcentage de survie peut être ainsi obtenu pour chaque élément anatomique et ainsi donner une idée du taux de destruction (naturel ou anthropique) lié au site. Il peut également être utilisé à la place du MAU dans les courbes de corrélation avec les indices de densité et de rendement. Il est en effet, comme l’a montré S. Costamagno (1999a) proportionnel au MAU. Une fois la formule ci-dessus simplifiée, il peut aussi se calculer comme suit :

  • Les indices utilisés dans ce travail seront :
    • Indice 1. L’indice général d’intensité de la fragmentation du matériel ou taux de détermination :
    • Indice 2. Le taux de complétude du squelette post-crânien est un indice qui vise à donner un aperçu de la fragmentation de cette partie de la carcasse. Il ne peut être calculé que lorsque les restes entiers ne sont pas de l’ordre de l’exception au sein des assemblages. Cet indice peut aussi être calculé pour chaque segment osseux afin d’avoir une idée de l’état de fragmentation de chaque élément (Morlan, 1994 ; Outram, 2001) :
    • Indice 3. Un autre rapport, effectué sur chaque espèce d’herbivore (Klein & Cruz-Uribe, 1984), pourrait aider à distinguer un repaire d’hyène d’un site d’habitat. Ce rapport peut aussi révéler une sélection des ossements à la fouille :
    • Indice 4. Nous avons calculé le taux de destruction osseuse général d’un site grâce à l’indice :
    • Indice 5. L’indice de disparité du spectre faunique des herbivores peut être appréhendé par ce calcul :
Notes
4.

Pour ce qui est du NMI de combinaison ou d’appariement concernant le squelette post-crânien, il est difficilement utilisable dans le cas d’assemblage intensément fragmentés, comme ce sera souvent le cas dans cette étude.