L’intempérisation

Méthode et description des marques d’intempérisation

En 1978, A. K. Behrensmeyer définit ce qu’elle appelle le «weathering», et que F. Poplin (1976) traduit par «intempérisation», en ces termes :

‘«The process by wich the original microscopic organic and inorganic components of a bone are separated from each other and destroyed by physical and chemical agents operating on the bone in situ, either on the surface or within the soil zone. »   ’

Précisons que dans ce travail, j’entendrai par « intempérisation » seulement les altérations ayant eu des impacts sur les ossements avant leur enfouissement. A ce propos, l’auteur précise que les altérations annexes, opérant parfois de façon concomitante avec l’intempérisation, tels que les mâchonnements par les Carnivores, le piétinement, le transport fluvial ou la diagénèse, sont exclus des critères retenus dans ses observations. Il existe plusieurs étapes et plusieurs degrés dans la décomposition naturelle des os et des dents. Ces étapes s’enchaînent plus ou moins rapidement selon des facteurs extérieurs comme les intempéries, la température, la végétation… La mise en évidence de ces étapes a été faite sur des ossements récents de mammifères provenant de savanes d’Afrique orientale, dans le bassin d’Amboseli (Sud Kenya) par A. K. Behrensmeyer & D.E.D. Boaz (1980) et à Fort Ternan (Kenya) par P. Shipman (1977), ainsi que dans des milieux de forêts tropicales par M. Tappen (1994). Pour P. Shipman (1981), les plus gros dommages dus à l’action du temps sont ceux qui opèrent avant l’enfouissement. A. K. Behrensmeyer (1978) a défini six stades à partir de ses observations et de ses expérimentations et leur a associé le nombre d’années d’exposition correspondant. En Afrique orientale, le stade 3, par exemple, est atteint au bout de 4 à 15 ans. Ces données absolues ne seront bien entendu pas exploitées, étant donné qu’elles ne sont pas transposables à des ossements déposés dans des contextes environnementaux et climatiques différents, tel qu’un contexte karstique en milieu glaciaire (Lyman, 1994). Il est donc évident que l’action du temps doit avoir un tout autre impact sur des ossements provenant de gisements paléolithiques européens sous abri ou sous porche de grotte. Toutefois, les différences ne résident que dans la vitesse d’apparition de ces stades, chacun d’entre eux pouvant être reconnu sur tout os ayant commencé le processus de fossilisation. J’ai donc utilisé cette évolution comme référence chronologique relative. Selon la vitesse d’enfouissement des vestiges, l’action du temps peut être limitée aux effets des tous premiers stades. Par exemple, dans le cas d’assemblages fossiles renfermant une majorité d’ossements classés dans les premiers stades d’altérations, le taphonome pourra en déduire un enfouissement relativement rapide. Rappelons à ce sujet le travail de Ph. Fosse et de ses collaborateurs (2004) qui montre que dans un contexte continental froid, un os exposé aux intempéries peut rester classer durant 66 mois dans les tous premiers stades d’altération de A. K. Behrensmeyer. En plus d’appréhender la durée d’enfouissement des vestiges, l’étude des stades de météorisation peut permettre d’approcher la périodicité de l’occupation d’un site dans le cas où plusieurs stades sont observés au sein d’un assemblage. Il est alors possible d’envisager des apports successifs de carcasses.

La fragmentation et la desquamation sont deux altérations qui peuvent être observées durant l’exposition des ossements à l’air libre. La fragmentation a été enregistrée de façon générale selon quatre catégories et seules trois étapes ont été utilisées pour suivre les processus de desquamation :

  • aucune fissure (f0)
  • fissures fines et discrètes (f1)
  • fissures écartées (f2)
  • fragmentation de l’os (f3 ; photo 22)
  • surfaces non desquamées (d0)
  • surfaces légèrement desquamées (d1)
  • surfaces presque entièrement desquamées (d2)

Hormis le premier stade (stade 0), tous sont confirmés par l’étude de P. Shipman (1977) sur les fossiles miocènes de Fort Ternan :

  • stade 0 : aucun signe de détérioration, peau et viande persistent (f0)
  • stade 1 : des fissures parallèles à la structure fibreuse apparaissent (f1 ; d0)
  • stade 2 : des écaillages et des craquelures apparaissent à la surface (f1-f2 ; d0-d1)
  • stade 3 : la surface des os devient rugueuse et fibreuse (f2 ; d1)
  • stade 4 : l’os est de plus en plus fibreux et rugueux, des esquilles se forment, les craquelures s’ouvrent, la surface osseuse se desquame (f2-f3 ; d1-d2)
  • stade 5 : de grosses esquilles se détachent de l’os (f3 ; d2). Ce type de fragmentation longitudinale suit logiquement les fissures naturelles créées au cours des stades antérieurs.

Dans la logique de mes travaux antérieurs (Daujeard, 2002, 2003), j’ai remplacé le stade 0 par le stade 0/1, étant entendu qu’une grande partie des ossements ne présente pas encore de fissures longitudinales et ne sont évidemment plus depuis longtemps attribuables au stade 0.

L’abrasion éolienne est également un type d’altération à situer parmi ces processus d’intempérisation. En climat rigoureux, l’action prolongée du vent, parfois agent principal de la sédimentation, peut avoir un effet abrasif non négligeable sur les ossements. Selon le degré d’émoussé des bords, P. Shipman (1981) distingue trois stades d’abrasion : aucun ou faible, moyen, et fort. J’ai conservé ces trois stades dans mon étude sous la forme :

  • action abrasive très faible voire nulle, arêtes fraîches et anguleuses (e0)
  • action abrasive moyenne, quelques arêtes légèrement émoussées (e1)
  • action abrasive importante, côtés des fractures très émoussés, disparition de la surface osseuse originelle (e2)