Interprétations des marques d’intempérisation

A la BAUME DES PEYRARDS, l’analyse des altérations dues aux phénomènes d’intempérisation des ossements permet d’observer de façon générale la même tendance au sein des grands ensembles stratigraphiques inférieur et supérieur a, b et c-d, à savoir d’excellentes conditions de conservation pré-enfouissement (fig. 44 et tab. 9). Excepté dans l’ensemble supérieur b, les deux premiers stades d’altérations 0/1 et 1 regroupent partout plus de 80 % des ossements. Ces proportions mettent en évidence une durée d’exposition assez courte de la majorité des assemblages osseux. Toutefois, deux ensembles présentent des nuances qui peuvent êtres relevées. Le premier concerne l’ensemble inférieur. Celui-ci montre en effet, comme on l’a vu, le meilleur taux de conservation avec environ 64% d’ossements dépourvus de toute fissuration. Cet ensemble, représenté par un épais dépôt de cailloutis cryoclastiques, correspond aux premiers passages des hommes sous l’abri. Le deuxième, l’ensemble supérieur b, met en revanche en évidence une conservation plus mauvaise avec moins de 40 % de fragments non fissurés (stade 0/1) et les taux les plus importants dans les stades les plus avancés de la fissuration et de la desquamation. Il est intéressant de corréler ces informations aux données stratigraphiques propres à cet ensemble b. En effet, la médiocrité de la conservation pourrait s’expliquer par le dépôt des ossements durant une phase plus tempérée et humide liée à de plus mauvaises conditions de sédimentation. Celles des ensembles supérieurs a et c-d apparaissent quant à elles tout à fait similaires. Les couches de ces ensembles se sont déposées lors de périodes climatiques plus rigoureuses et ont été marquées par des apports éoliens (cf. chp. 2.1.4., Lumley, 1969). Il est intéressant d’observer à ce propos que dans l’ensemble supérieur, ce sont justement ces niveaux qui sont les plus touchés par l’érosion des reliefs osseux (fig. 48, tab. 13). Cet émoussé serait peut-être dû à une exposition prolongée au vent. La topographie de cette Baume, largement ouverte sur l’extérieur, serait propice à cette forme d’altération.

A la grotte de SAINT-MARCEL, l’analyse des stades d’intempérisation dans l’ensemble 7 avait permis de mettre en évidence un enfouissement rapide des vestiges avec plus de 70 % des restes appartenant aux deux premiers stades de weathering (stades 0/1 et 1). Les conditions de conservation pré-enfouissement des autres couches u, inférieures et supérieures, sont à l’image de celles observées dans l’ensemble 7, à savoir qu’environ 80 % des ossements appartiennent aux deux premières étapes de la détérioration (fig. 45, tab. 10). Notons pour la couche u un léger décalage des proportions vers les stades les plus avancés 3, 4 et 5. Peut-être pourrions-nous relier cet état de fait à l’attribution probable de la couche u au dernier interglaciaire et donc à des conditions de sédimentation différentes de celles des couches supérieures, rejoignant en cela les observations faites pour l’ensemble supérieur b des Peyrards. L’analyse sédimentologique décrit la couche u comme une période de transition caractérisée par une diminution du cryoclastisme et par l’effondrement du plafond par gros blocs. Le remplissage des couches sus-jacentes est essentiellement composé de petits cailloutis provenant de la gélivation (Debard, 1988). Quand la majorité d’un assemblage a atteint un même stade de weathering, cela suggère un enfouissement synchrone. Cette remarque, ajoutée au très bon état de conservation des restes osseux, permet de conforter l’hypothèse de l’enfouissement rapide. Dans son rapport de 1976, R. Gilles évoque le fameux orage de 1975 qui avait eu pour conséquence la formation d’un cône d’éboulis de un mètre de hauteur à l’aplomb de l’auvent. Ce dernier avait dirigé le ruissellement à l’intérieur du porche et une épaisse masse de boue s’était donc amoncelée. Il est utile de rappeler ici les propos que l’auteur tint sur cette intempérie : « L’orage qui a provoqué l’inondation peut donner une idée de la masse d’éboulis qu’une pluie exceptionnelle peut amasser en une seule journée, la grotte a pu donc être obstruée rapidement après son occupation ». L’automne 2001 a été le théâtre d’un scénario similaire, désastreux pour le gisement puisque, fragilisé par les coupes stratigraphiques, il fut entièrement raviné par les ruissellements extérieurs et surtout par la vidange du réseau souterrain. Ce scénario pourrait expliquer la bonne conservation de la plupart de ces ossements. Sous ce porche de grotte, bien protégé des intempéries, l’usure éolienne n’est sans doute pas à l’origine de l’émoussé des arêtes osseuses.

Au sein de l’ensemble F de PAYRE, on observe une même distribution des proportions des stades d’intempérisation pour les dépôts archéologiques a et c-d (fig. 46, tab. 11). Le niveau Fb se distingue par une plus grande masse d’ossements fragilisés ayant atteint les stades 2, 3 et 4 de l’intempérisation. Précisons à ce sujet que le niveau Fb a connu une phase de sédimentation différente de celle des autres niveaux, caractérisée par de nombreux ruissellements et un apport argileux plus important (lentille dépourvue de cailloutis ; Debard & Dubois, in Moncel et al, soumis 2006). Pour conforter la faisabilité de cette analyse comparative d’échantillons à valeurs distinctes, j’ai vérifié, pour l’exemple, si les proportions des stades 0/1 et 1 des niveaux Fa et Fb différaient de façon significative. Le calcul de l’écart-réduit donnant un chiffre d’environ 3,45, la différence entre les deux proportions est hautement significative au seuil de probabilité de 0,001. A l’époque du remplissage de l’ensemble F, les ossements ont été déposés sur la terrasse sous un porche de grotte abritant une petite salle. Comme pour Saint-Marcel, malgré la situation de la terrasse en éperon rocheux, des dépôts en grotte rendent peu probable l’abrasion des ossements par une exposition prolongée aux vents.

En ce qui concerne les petits gisements ardéchois, exceptés dans la couche 1 du Maras et dans la couche 3 de la Baume Flandin fouillée en 2005, où les os non fissurés sont les plus représentés (stade 0/1) et où les deux premiers stades 0/1 et 1 dépassent à eux deux les 80 %, les dégâts liés à une exposition prolongée des ossements à l’air libre ont endommagé plus sérieusement ces petits assemblages (fig. 47, tab. 12). Dans les sites du Figuier, des Pêcheurs, de Balazuc et dans l’ensemble inférieur du Maras, les ossements légèrement fissurés (stade 1) sont plus nombreux que ceux non fissurés (stade 0/1). Dans l’ensemble supérieur du Maras et dans les ossements issus des anciennes fouilles de Flandin l’inverse est observé, mais en revanche, avec l’ensemble inférieur du Maras, ces deux derniers assemblages rassemblent les proportions les plus importantes du stade 2, au cours duquel les fissures s’écartent et la surface de l’os s’écaille. Partout, les stades avancés de la fragmentation (4 et 5) sont peu représentés. En ce qui concerne la topographie et l’exposition de ces petits gisements, l’abri du Maras, à l’image de la Baume des Peyrards, est sans aucun doute celui qui se prête le mieux à une usure éolienne des assemblages osseux. Les niveaux supérieurs et le niveau 1 se sont mis en place au fur et à mesure du recul du plafond de l’abri (cf. fig. 27) grâce à une sédimentation éolienne dominée par les limons et les sables. Ces conditions environnementales froides et arides ont dû être favorables à l’impact du vent sur des ossements lentement enfouis. En somme, il me semble probable qu’une partie des ossements émoussés des niveaux 1 et supérieurs (respectivement 15,9 % et 26,4 %, fig. 51 et tab. 16) soit la conséquence de l’usure éolienne. En revanche, pour les 23,3 % d’ossements émoussés des niveaux inférieurs déposés sous des conditions plus humides et tempérées (fraction argileuse plus importante), d’autres processus développés plus loin seraient à leur origine.