Méthode et description des altérations dues à l’eau

  • L’action de l’eau avant l’enfouissement

Le transport des os est l’action la plus évidente de l’eau sur un assemblage. Le flux peut provoquer la perte de certains éléments osseux ou au contraire leur concentration dans un même endroit. L’important est d’évaluer le degré de modification de la répartition spatiale d’un assemblage. En ce qui concerne le transport d’un assemblage par l’action d’un courant, l’orientation préférentielle des os longs ainsi que leur pendage sont de bons indicateurs. La présence de connexions anatomiques peut témoigner de l’absence ou de la faiblesse d’un transport par l’eau. Mais c’est surtout l’étude de la distribution des parties anatomiques des carcasses qui peut donner une idée des modifications subies par des dépôts osseux. Certains chercheurs ont établi pour cela des regroupements de parties anatomiques prenant en compte leur degré de transportabilité en milieu fluviatile. Selon M. Voorhies (1969) le groupe I renferme les parties les plus facilement et rapidement emportées (squelette axial), le groupe II les os longs des membres à transport graduel et enfin le groupe III regroupe les os du crâne, peu ou pas transportables. Ainsi, un assemblage contenant les trois types d’ossements n’aurait a priori pas connu de transport actif par l’eau et refléterait correctement le dépôt initial.

L’abrasion mécanique lors d’un transport violent est produite par l’impact des particules sédimentaires abrasives transportées par le courant sur les surfaces osseuses et par le choc des os entre eux et sur les cailloux. Les expérimentations de P. Shipman en 1977 conduisent aux observations suivantes : l’abrasion mécanique entraîne l’enlèvement de fines couches osseuses jusqu’à l’exposition de l’os spongieux (desquamation). Elle émousse les arêtes osseuses et laisse de nombreuses stries fines à directions variées, généralement distinguables des stries anthropiques, mais plus difficilementde celles dues au piétinement. Là encore l’action de l’eau peut participer activement à la détérioration des structures osseuses par l’action du temps. A ce propos, les expérimentations de P. Andrews (1995) nous apprennent que les os ayant subi l’action de l’intempérisation sont plus enclins au phénomène d’abrasion que ceux qui ont été enfouis directement. Il est également difficile de différencier un processus abrasif causé par le charriage, d’un processus corrosif, les deux pouvant conduire à la formation de «galets osseux» (Brugal, 1994) En revanche, l’abrasion humaine volontaire effectuée lors de la confection d’outils en os, également à l’origine de ce type d’altération, peut quelquefois être clairement identifiable. Des observations au MEB mettent dans certains cas en évidence (ébauches ou artefacts peu utilisés par exemple) des séries de fines stries parallèles témoignant de gestes répétitifs à caractère nettement intentionnel (Shipman, 1977). Toutefois, après des utilisations récurrentes, ces stries peuvent disparaître pour laisser place à un lustré indissociable d’un poli naturel.

En l’état actuel des connaissances, établir les causes exactes de l’abrasion ou de la desquamation des restes osseux apparaît délicat. Je me suis donc limitée dans cette partie à évaluer leur degré d’altération tout en discutant de leur éventuel transport par l’eau.

  • Les altérations liées à l’action chimique de l’eau avant et après l’enfouissement

Les deux principales altérations dues à l’action chimique de l’eau sur un stock osseux sont la fragmentation et la dissolution, que cette dernière agisse avant ou après l’enfouissement via les sédiments encaissants.

  1. La fragmentation est un processus dans lequel l’eau joue un rôle majeur. La décomposition des tissus mous et le couple dessiccation/hydratation entraînent la formation de fissures longitudinales sur les diaphyses d’os longs et l’écaillage du cortex. Ainsi cette fragmentation due à l’eau peut se superposer et accélérer celle liée à l’action naturelle du temps définie plus haut (Brugal, 1994).
  2. La dissolution est un processus chimique qui corrode les surfaces osseuses. Des expérimentations (Hare, 1980) ont montré qu’au bout de trois jours, des ossements placés dans une eau à pH neutre et à température élevée perdaient plus de la moitié de leur contenu en protéines, cette désagrégation pouvant conduire à la dissolution du périoste. Ces mécanismes de dissolution peuvent rappeler l’action du suc gastrique de Carnivores comme le loup et l’hyène. L’eau peut avoir une action corrosive avant l’enfouissement (eaux stagnantes) ou après l’enfouissement (ruissellements, infiltrations). Il est fondamental de relier les conséquences de l’action de l’eau sur un assemblage avec celles des sédiments. D’une part, ces deux agents perturbateurs peuvent avoir des impacts similaires sur les assemblages : fragmentation, dissolution, déplacement, etc... D’autre part, l’eau joue également un rôle majeur dans le processus post-enfouissement de fossilisation et cela en concomitance avec les sédiments encaissants. Les premiers travaux de G. Payne (1937) consacrés à la fossilisation ont démontré que la minéralisation secondaire des os est fonction de la perméabilité du sédiment plutôt que de l’âge du fossile. Cette étude révéla l’importance de la circulation de l’eau dans le sol, apportant les minéraux nécessaires à la fossilisation. La nature des sédiments et leurs propriétés physico-chimiques jouent un rôle important dans le processus de fossilisation. Les dépôts argileux, comme nous en observons souvent dans les milieux karstiques, limitent l’oxydation et une circulation trop importante de l’eau, mais en revanche sont de mauvais protecteurs contre les attaques acides. Les limons fluviatiles ainsi que les sédiments calcaires constituent quant à eux d’excellents milieux pour la fossilisation. Enfin les milieux sableux, plus grossiers et à forte acidité naturelle, sont des matrices plutôt destructrices. Le sol n’étant pas un milieu inerte, il va subir de nombreuses transformations au cours du temps selon les variations climatiques, l’évolution de la végétation, l’activité biologique souterraine. Ces modifications pédologiques vont avoir des conséquences directes sur les ossements, intervenant sur leur état de conservation. Les trois agents d’altération principaux qui interviennent au cours de la dissolution sont l’eau, l’oxygène et les acides minéraux et organiques. Dans tous les cas c’est la valeur du pH qui conditionnera de la façon la plus importante la préservation des os. Ainsi un pH acide, inférieur à 6, provoque la dissolution du tissu osseux. Au contraire, un pH neutre, possédant un pouvoir tampon important, permettra la conservation des os (Auguste, 1994a,b). Quelle que soit l’origine de la dissolution, j’ai classé les surfaces osseuses selon quatre catégories :
  • aucune trace de dissolution (s0)
  • présence de cupules de dissolution de la taille de la tête d’une épingle (s1)
  • plages dissoutes éparses de taille moyenne (s2 ; photo 23)
  • surface entièrement dissoute (s3)
  • Les concrétions de CaCO3

Les concrétions indiquent une circulation d’eau chargée en carbonate de calcium (CaCO3) puis un assèchement par évaporation ou infiltration profonde (Avias, 1956). J’ai regroupé les différents degrés de concrétionnement en quatre catégories :

  • aucune concrétion (c0)
  • petites surfaces concrétionnées (c1)
  • couches importantes de concrétions (c2)
  • surface entièrement recouverte de concrétions (c3 ; photo 24). Ce degré d’altération sera pris en compte lors de la lecture des surfaces osseuses.

Au vu de ces observations, il apparaît clairement que seul le croisement des données taphonomiques peut permettre de montrer dans quelle mesure l’action de l’eau a joué un rôle sur les assemblages osseux.