Interprétations des altérations dues à l’eau

A la BAUME DES PEYRARDS, la topographie nous indique que l’eau aurait pu agir sur les ossements par l’action de crues de l’Aiguebrun. Aucun réseau souterrain n’a participé au remplissage. L’hypothèse d’un assemblage en position secondaire causé par un transport hydraulique violent est a priori inenvisageable du fait des quelques remontages effectués au sein des couches archéologiques. En outre, plus de 80 % des ossements dans les deux ensembles inférieur et supérieur n’ont aucune de leurs arêtes émoussées (fig. 48, tab. 13). Du reste, seul l’ensemble supérieur « a » montre quelques ossements (1,8 %) sérieusement polis (e2), les autres ne l’étant que très légèrement. Cette faible proportion, inconciliable avec l’hypothèse d’un charriage, conforterait plutôt celle d’une action éolienne abrasive limitée, plus importante lors des périodes de refroidissement climatique (ensemble supérieur a). L’état général des arêtes suggère donc une position primaire. Moins de 5 % des stocks osseux provenant des différents ensembles montrent des restes présentant de courtes stries fines et aléatoires sur leur surface (fig. 52, tab. 17). Un charriage par l’eau entraîne généralement l’apparition de ce type de stries. La desquamation des surfaces osseuses a eu une action différentielle sur les ensembles inférieur et supérieur (fig. 56, tab. 21). Un peu plus de 80 % des ossements du premier sont atteints, dont 49,1 % sérieusement, tandis que seulement un peu plus de la moitié le sont dans le second. En regard des différentes données évoquées précédemment, la desquamation doit trouver une autre origine que celle d’un transport actif par l’eau. L’action chimique lors d’une dissolution in situ peut également entraîner la disparition d’une partie des surfaces osseuses. La dissolution touche d’ailleurs une très grande partie des assemblages, et de la même façon que pour la desquamation, elle atteint plus largement l’ensemble inférieur (fig. 60, tab. 25). Ces deux altérations peuvent donc être associées.

Dans ce gisement, il est très intéressant de noter une augmentation progressive des concrétions des couches supérieures vers les couches inférieures (fig. 64, tab. 29). Celle-ci va de pair avec une circulation d’eau plus importante dans les couches inférieures, d’ailleurs plus affectées par l’action corrosive de l’eau (dissolution).

A la grotte SAINT-MARCEL, l’analyse sédimentologique du remplissage de l’ensemble supérieur (couches u à c) a mis en évidence la présence de ruissellements locaux et de périodes récurrentes de lessivage conduisant à des arrêts de sédimentation (Debard, 1988). Comme nous l’avons vu, un transport actif des restes osseux peut entraîner des modifications majeures telles qu’une orientation préférentielle des os longs, des stries fines et aléatoires, l’émoussé des arêtes osseuses, et la desquamation. Dans tous les niveaux archéologiques, aucune orientation préférentielle des os longs n’a pu être observée sur les relevés de fouilles. La présence de courtes stries fines et aléatoires sur les surfaces concerne moins de 10 % des artefacts (fig. 53, tab. 18). En ce qui concerne l’émoussé des arêtes osseuses et la desquamation des surfaces, ils touchent de façon peu intense respectivement moins d’un quart et environ le tiers des ossements dans les ensembles supérieur et inférieur, tandis que dans la couche u, plus de 60 % sont atteints par ces deux types d’altérations (fig. 49, tab. 14, fig. 57 et tab. 22). Dans l’ensemble 7, le tiers environ du stock osseux était plus ou moins poli et présentait une desquamation des surfaces. La couche u se distingue donc nettement des couches supérieures par l’intensité de ses modifications osseuses. Le nombre important de remontages effectués dans cette couche, ainsi que l’absence d’orientation préférentielle et de stries aléatoires, permettent de rejeter une accumulation par un transport violent. En revanche, des conditions de sédimentation favorisant la détérioration des tissus osseux par une action corrosive indirecte de l’eau (ruissellements) sont envisageables. L’analyse sédimentologique met en effet en évidence un contexte climatique plutôt tempéré et humide (période interglaciaire de l’Eémien). La dissolution concerne 67,1 % des ossements de la couche u (fig. 61, tab. 26). Comme à la Baume des Peyrards, desquamation et émoussé ne seraient donc pas le fait d’une action abrasive causée par le roulage des ossements dans l’eau, mais plutôt ici celui de l’action corrosive exercée par l’eau in situ avant et après l’enfouissement des vestiges. Dans une moindre mesure pour les couches supérieures, la dissolution, observée sur moins de la moitié des ossements, est également en partie à l’origine de ces dégradations.

A l’inverse de ce que l’on a pu observer à la Baume des Peyrards,la proportion d’ossements concrétionnés à Saint-Marcel diminue du haut vers le bas de la séquence, avec une exception pour l’ensemble 7 qui compte 10 % de restes concrétionnés (fig. 65, tab. 30). La faible proportion des concrétionnements dans la couche u s’oppose à l’importance des dégradations causées par les ruissellements pré et post-dépositionnels dans cette couche. L’analyse sédimentologique (Debard, 1988) met en évidence la présence ponctuelle des concrétions de type « matrice » dans les couches f et e, expliquant peut-être les 20,4 % des couches supérieures. De façon générale, E. Debard parle d’un assèchement progressif des couches inférieures vers les couches supérieures, représenté par la raréfaction des concrétions « chou-fleur » vers le sommet du remplissage. Cette tendance pourrait se refléter dans la diminution des proportions de l’ensemble inférieur (13,8 %) à l’ensemble 7 (10 %), exception faite des 6,1 % de la couche u pour laquelle l’analyse sédimentologique montre un pourcentage relativement faible de concrétions « chou-fleur ».

Sous le porche de la grotte de Payre , l’ensemble F, sédimenté par l’éboulement progressif des voûtes et par des apports endokarstiques, est soumis à l’action des ruissellements (Debard & Dubois, in Moncel et al., soumis 2006). Etant donné la situation de la terrasse sur laquelle se sont déposés les assemblages, à l’aplomb de la falaise, un transport actif des ossements par un courant d’eau violent est inenvisageable. L’absence d’orientation préférentielle vient d’ailleurs appuyer cette observation. En revanche, de même qu’à Saint-Marcel et aux Peyrards, l’eau, par l’action des ruissellements directs ou indirects (pré ou post-enfouissement), a participé à la désagrégation des ossements, desquamant et émoussant les surfaces osseuses. Son action a cependant été assez limitée. La dissolution a atteint un peu moins de la moitié des assemblages en Fa et Fb, respectivement 48,2 % et 46,9 %, et légèrement plus en Fc-d, exactement 54,4 % (fig. 62, tab. 27). La desquamation a entraîné la disparition d’une partie des surfaces osseuses de moins de la moitié du dépôt osseux (42,5 % en Fa, 37,3 % en Fb et 47,2 % en Fc-d ; fig. 58 et tab. 23), et très peu de vestiges, un peu plus de 10 %, ont leurs arêtes polies (fig. 50 et tab. 15). Ces proportions ne correspondent pas à ce que l’on peut observer au niveau sédimentologique. Nous avions vu dans le chapitre 3.3.1.1.2. qu’E. Debard & J.-M. Dubois (in Moncel et al, soumis 2006) remarquaient dans le dépôt F3 (niveau archéologique Fb) l’abondance des ruissellements à l’origine de l’apport de limons argileux (lentille sans cailloux). Or aucune action corrosive prépondérante de l’eau n’est remarquée en Fb, tout au contraire, dissolution et desquamation y sont observées en moindre quantité. Les stries aléatoires sont toujours présentes de façon anecdotique (moins de 4 % ; fig. 54, tab. 19).

De même qu’à la Baume des Peyrards, dans l’ensemble F de Payre on note une augmentation progressive des concrétionnements des couches supérieures vers les couches inférieures (fig. 66, tab. 31). Exception faite du niveau Fb, cette hausse correspond à celle observée pour les différentes dégradations causées par l’action de l’eau.

De tous les petits gisements ardéchois en grotte ou en abri-sous-roche, seuls les restes osseux issus des dépôts de la couche j de la grotte du FIGUIER seraient susceptibles d’avoir connu un charriage violent par l’eau. La présence d’une terrasse de l’Ardèche dans les niveaux sous-jacents k et l pourrait suggérer des crues à l’origine d’une position secondaire de l’assemblage. N’ayant pas pu différencier les ossements issus des couches j ou h, ceci ajouté à la faiblesse de l’échantillon, une analyse taphonomique distincte et approfondie s’est vite révélée impossible pour chacune des couches. Ceci étant, certaines modifications liées à l’action de l’eau comme la desquamation et la dissolution sont sérieusement représentées dans ce gisement (fig. 59, tab. 24, fig. 63, tab. 28). Outre des crues post-dépositionnelles possibles, des ruissellements ont également pu être à l’origine de ces altérations. Dans tous les petits sites, plus de 70 % des ossements n’ont pas de reliefs émoussés (fig. 51, tab. 16). Topographies mises à part, ces faibles proportions permettent définitivement d’écarter l’hypothèse d’un transport actif des vestiges par l’eau. Aux PECHEURS, la conformation « en cuvette » de la grotte implique un faible remaniement des vestiges. Le long des parois, le grand nombre d’ossements retrouvés en connexion anatomique va aussi dans ce sens. Seul un soutirage dans la partie centrale pourrait être à l’origine d’un glissement lent des ossements vers le fond de la grotte. Les altérations telles que desquamation, corrosion ou concrétion s’expliqueraient alors par des ruissellements et/ou par des attaques acides des sédiments encaissants. A BALAZUC, comme à Saint-Marcel et dans l’ensemble F de Payre, aucune orientation préférentielle des os longs n’a pu être observée sur les planches de dessin effectuées lors des fouilles (Combier, 1968). En ce qui concerne la desquamation des surfaces osseuses, elle a affecté moins de la moitié des ossements de la grotte Flandin et du niveau 1 de BALAZUC, un peu plus de la moitié de ceux des PECHEURS et des niveaux 2 et 3 de BALAZUC et plus de 80 % de ceux du MARAS (jusqu’à 96,6 % pour l’ensemble inférieur) et du Figuier, dont un bon quart gravement atteints (fig. 59, tab. 24). Une fois encore, cet enlèvement de la matière osseuse semble être en partie dû à l’action corrosive de l’eau (dissolution) puisque nous observons pour les sites du Maras et du Figuier les plus forts taux (, fig. 63, tab. 28). Plus de 80 % des surfaces sont en partie ou totalement dissoutes, toutes le sont dans l’ensemble inférieur du Maras. Pour les autres sites, cette dégradation concerne un peu moins des deux tiers des assemblages. En ce qui concerne les courtes stries fines et aléatoires, elles doivent donc là aussi trouver une autre origine que celle d’un transport par l’eau : remaniements post-dépositionnels et/ou piétinements. Elles sont peu représentées, excepté dans le niveau 3 de Flandin et dans le gisement de Balazuc (fig. 55, tab. 20).

Dans ces petits gisements ardéchois, globalement, les proportions d’os concrétionnés suivent logiquement celles des ossements dissous et desquamés. On note en effet une nette augmentation des concrétionnements des niveaux supérieurs du Maras vers les niveaux inférieurs et du niveau 1 de Balazuc vers les niveaux 2-3 (fig. 67, tab. 32). Les deux ensembles de la Baume Flandin, parmi les moins dégradés par l’eau, sont également ceux qui rassemblent le moins de restes concrétionnés. L’abri des Pêcheurs, modérément affecté par les ruissellements post-dépositionnels, en compte un peu plus du tiers de l’échantillon. En revanche, le Figuier, pourtant sérieusement atteint par l’action corrosive de l’eau, ne compte que très peu de concrétions sur ses ossements.