Altérations d’origine biologique et humaine

Le piétinement

Le piétinement peut être l’œuvre d’animaux comme les ours des cavernes, les loups ou les hyènes, mais également celle des hommes. Ce processus est une cause importante de la dégradation anté-enfouissement d’un assemblage. Les principales conséquences du piétinement sont la fragmentation des os (cf. ch. 3.4.2.1.), leurs déplacements, l’abrasion et la production de fines stries à leur surface (Olsen & Shipman, 1988).

Les déplacements peuvent être horizontaux, verticaux ou en rotation. Ils sont directement liés à la nature du sédiment (fin, mou, compact). La fracturation anthropique des carcasses peut, dans certains sites, aggraver le phénomène de dispersion dû au piétinement. Afin d’évaluer les remaniements et les déplacements d’éléments osseux au sein des gisements, j’ai effectué des remontages (cf. chp. 3.2.4.).

Des va-et-vient, engendrant roulements et écrasements récurrents, peuvent également être à l’origine de l’abrasion des ossements.

A propos des stries de piétinement, S. J. Olsen & P. Shipman (1988) se sont attachées à énumérer des critères servant à les distinguer de celles produites par la boucherie. Cinq points principaux permettent de les différencier facilement :

  1. Tout d’abord, les stries produites par le trampling concernent de façon aléatoire tous les éléments anatomiques, tandis que celles produites par les activités de boucherie touchent seulement une faible partie de l’assemblage.
  2. Le décompte des stries est aussi un critère important. La connaissance de l’emplacement des tissus mous est nécessaire à l’interprétation. Les stries de boucherie sont localisées à des endroits précis sur un os et ne recouvrent pas toute la surface comme c’est le cas pour le trampling. Il s’agit d’un critère d’intentionnalité directement lié aux contraintes anatomiques imposées par la carcasse au boucher (tendons et muscles).
  3. L’orientation des stries dues au piétinement est très variable, alors que pour chaque activité différente de boucherie, les stries ont une orientation particulière. Elles sont généralement transversales au niveau des articulations en ce qui concerne la désarticulation, et longitudinales et obliques le long de la diaphyse pour les opérations de filleting.
  4. A propos de la morphologie des marques, elles sont fines et superficielles pour le trampling, tandis qu’elles sont plus marquées dans le cas des activités de boucherie.
  5. Un des critères de distinction est également l’association des stries de trampling avec le poli de la surface de l’os, on peut ici parler d’abrasion sédimentaire.

Ainsi, pour les deux auteurs, peu de marques de trampling peuvent être confondues avec des marques de boucherie. En définitive, le principal problème du piétinement est son impact sur la distribution spatiale de l’assemblage. Les conséquences du piétinement seront donc prises en compte dans nos observations, autant en ce qui concerne les stries et la fracturation que la répartition spatiale des éléments osseux.

Dans tous les gisements étudiés, les stries fines et aléatoires présentes sur les surfaces osseuses sont globalement assez anecdotiques. Dans l’ensemble supérieur de la BAUME DES PEYRARDS, ces stries sont de plus en plus fréquentes des niveaux superficiels vers les niveaux profonds (de 0,8% en c-d à 4,3 % en a), dans l’ensemble inférieur elles sont très rares (0,9 % ; fig. 52, tab. 17). A SAINT-MARCEL, ce sont au contraire les niveaux supérieurs qui sont les plus affectés par ces rayures superficielles, 10 % de l’assemblage dans l’ensemble supérieur contre 2,9 % dans la couche u (fig. 53, tab. 18). Dans les différents niveaux de l’ensemble F de PAYRE, leur répartition est assez homogène, de l’ordre de 3 % (fig. 54, tab. 19). Enfin, les sites de BALAZUC et de la BAUME FLANDIN se détachent très nettement des autres petits gisements ardéchois par leurs proportions très importantes d’ossements striés (fig. 55, tab. 20). Avec 27 % du stock affecté, le niveau 1 de Balazuc est le plus touché. Puis vient la couche 3 de Flandin (fouilles 2005), 21,6 % de son assemblage est strié, et le niveau 2-3 de Balazuc, qui compte quant à lui une proportion non négligeable de 12,9 %.

A Flandin, sans écarter la possibilité d’une action modérée du piétinement dans la couche 3 fouillée sur la terrasse, la confrontation troublante des 21,6 % d’ossements striés de cet assemblage aux 0% observés dans la couche archéologique fouillée à l’intérieur de la grotte, associée à la présence du fémur d’ours retrouvé en position verticale et aux données sédimentologiques (Puaud, in Moncel et al., 2005a, soumis 2007), établit le déplacement gravitationnel des sédiments en direction du vallon comme cause principale des stries aléatoires. A Saint-Marcel, mouvements de terrain et piétinements peuvent tous deux avoir strié les restes osseux. Aux Peyrards, la configuration du site, la rareté des Carnivores et une sédimentation parfois lente (apports éoliens fréquents dans l’ensemble supérieur) rendent probables des dégradations causées par un piétinement humain. En ce qui concerne Balazuc, les conditions archéologiques et topographiques (petite grotte fermée donnant sur une terrasse plane) favorisent nettement l’hypothèse du piétinement, qu’il soit animal ou humain. D’ailleurs, notons que le niveau 1, dit « niveau à ours », est le plus affecté par les stries. La présence abondante des Carnivores dans les deux niveaux, associée aux nombreux artefacts lithiques du niveau 2-3, en fait alternativement un repaire pour les Carnivores et un lieu d’habitat pour les hommes. Les fréquentes venues dans ce milieu clos et restreint (petite salle), engendrant roulements et déplacements des vestiges osseux, ont dû participer à l’abrasion des arêtes osseuses et à l’apparition des fines stries aléatoires sur les cortex. Un contexte topographique et archéologique similaire permet d’envisager le même scénario pour les 2,9 % d’ossements rayés de l’abri des Pêcheurs et les 3 % environ de l’ensemble F de la grotte de Payre.