Degré de fragmentation

La présence d’os longs complets et de diaphyses dont la circonférence est complète (cylindres) est une caractéristique des repaires de Carnivores (Binford, 1981 ; Haynes, 1983 ; Blumenshine, 1986). Dans ces derniers, les esquilles sont souvent plus longues que dans les gisements anthropiques. Dans les sites anthropiques où l’exploitation intensive des ressources animales (viande, moelle, outils, combustibles…) conduit à une fracturation extrême des pièces osseuses, le taux de détermination, de 12 % en moyenne, est beaucoup plus faible que dans les repaires, où il est d'ordinaire supérieur à 50%, l’un des critères de caractérisation d’un repaire d’hyènes étant la très grande majorité d’os déterminables (Klein & Cruz-Uribe, 1984). Comme l’a fait Ph. Fosse (1996) pour le site de Lunel-Viel (Hérault), de façon à quantifier précisément le degré de fracturation des os longs, j’ai utilisé la méthode de H. T. Bunn (1983) qui prend en compte trois catégories de longueur et de circonférence des diaphyses et des épiphyses, à la différence près que je n’ai établi, pour les fragments contenant une épiphyse, que deux catégories, plus vastes : épiphyse complète ou épiphyse fracturée et que j’ai ajouté deux catégories supplémentaires pour les longueurs des diaphyses : L0 et L1. Ceci étant, nos données peuvent néanmoins être comparées à celles de H. T. Bunn en rassemblant les trois premières catégories : L0, L1 et L2. H. T. Bunn a comparé des assemblages modernes issus d’une brève halte de chasse des San du désert du Kalahari (Botswana) et d’une tanière d’hyènes (Kenya). La principale différence réside dans le degré de fragmentation des ossements, ceux provenant du camp des chasseurs-cueilleurs le sont largement plus que ceux provenant de la tanière. L’auteur utilise pour ce faire le rapport entre le NRD et le NMI. En ce qui concerne la fragmentation des os longs et des épiphyses, tous sont plus complets dans la tanière que dans le camp des San.

L’analyse de la circonférence des os longs permet également de distinguer une fracturation humaine d’une fragmentation post-dépositionnelle due à la compaction. P. Villa & E. Mahieu (1991) ont montré à Fontbrégoua que la fracturation anthropique sur os frais produisait une majorité de fragments de diaphyse de circonférence inférieure à la moitié de l’originelle, tandis qu’à Sarrians (Vaucluse), la fracturation post-dépositionnelle sur os sec entraînait une plus grande proportion de cylindres.

Ni les os entiers, ni les os comportant des cassures récentes n’ont été pris en compte et seuls les fragments dépourvus d’épiphyse rentrent dans les décomptes de l’analyse de la fragmentation diaphysaire (Johnson, 1985 ; Villa & Mahieu, 1991 ; Costamagno, 1999a ; Outram, 2001). En plus des fragments diaphysaires d’os longs déterminés, tous les indéterminés (coordonnés, et refus de tamis) ont été décomptés dans les analyses de longueur (comptage rapide des refus de tamis par catégories de longueur) ; en revanche en ce qui concerne la circonférence, seuls les fragments > 2 cm ont été pris en compte. Lors de l’étude du degré de fragmentation des ossements déterminables, j’ai séparé les restes d’herbivores de ceux des Carnivores. Deux arguments motivent ce choix. Tout d’abord, les raisons expliquant la présence de ces deux types d’animaux dans les grottes sont différentes. Les premiers peuvent être considérés comme des proies, certaines bêtes ayant pu tomber accidentellement, et les seconds comme des prédateurs ou des ours venus hiberner. Bien que les diaphyses d’os longs de Carnivores aient pu avoir fait l’objet d’une fracturation par leurs congénères, la récupération de la moelle par les hommes dans un but de subsistance concerne, a priori, seulement le groupe des herbivores. Les os longs de Carnivores seraient donc seulement concernés par la fragmentation post-dépositionnelle et biaiseraient en cela la distinction des multiples causes pouvant être à l’origine de la fragmentation des herbivores. Ensuite, l’analyse comparative du taux de fragmentation des trois principaux sites ne pouvant se faire que sur des bases communes, j’ai donc préféré y omettre les restes de Carnivores pour m’accorder avec l’étude de l’ensemble F de Payre qui ne concerne que les herbivores.

  • Circonférence de diaphyse :
    • C1 : la circonférence est partout inférieure à la moitié de la Circonférence Initiale (Ci).
    • C2 : la circonférence est supérieure ou égale à la moitié de l’initiale dans au moins une partie de la longueur de l’os.
    • C3 : la circonférence est complète dans au moins une partie de l’os (cylindre).
  • Longueur de la diaphyse :

Etant donné que la plupart des vestiges osseux sont intensément fragmentés, j’ai employé la classification détaillée de P.Villa & E. Mahieu (1991) en rajoutant toutefois une catégorie de taille applicable aux esquilles de moins de deux centimètres issues du tamisage. Les catégories de taille précisées entre parenthèses sont celles appliquées aux esquilles, ainsi qu’aux fragments d’os longs déterminables attribués aux herbivores de taille moyenne, comme le cerf et le bouquetin, espèces majoritaires dans tous les sites (longueur initiale de la diaphyse ou Li = 20 cm). Pour les fragments de diaphyse déterminables attribuables à des animaux de la taille du chevreuil et du chamois, j’ai pris comme longueur originelle de la diaphyse : 15 cm, et pour les grands herbivores, chevaux et grands Bovidés : 25 cm.

  • L0 : longueur de la diaphyse inférieure ou égale à 2 cm (seulement fragments issus des refus de tamis).
  • L1: longueur de la diaphyse inférieure au quart de la longueur originelle et supérieure à 2 cm (entre 3 et 5 cm, fragments issus des refus de tamis et des pièces coordonnées).
  • L2 : longueur comprise entre le quart et la moitié de la longueur initiale (entre 6 et 10 cm, pièces coordonnées).
  • L3 : longueur comprise entre la moitié et les trois-quarts de la longueur originelle (entre 11 et 15 cm, pièces coordonnées).
  • L4 : longueur supérieure aux trois-quarts de la longueur originelle (plus de 16 cm, pièces coordonnées).

J’ai utilisé également la méthode de P. Villa & E. Mahieu (1991) pour l’étude du degré de fragmentation des diaphyses d’os longs dans les trois principaux sites. Celle-ci croise dans les graphiques longueur et circonférence afin de mettre en relation allongement et étroitesse des pièces. Les catégories requises pour cette analyse sont, pour les circonférences, les mêmes que les trois déjà énumérées et, pour la longueur, celles incluant les fragments diaphysaires strictement supérieurs à 2 cm (L1 à L4).

  • Fracturation des épiphyses :
    • ec : épiphyse complète.
    • ef : épiphyse fracturée.

A la BAUME DES PEYRARDS, les taux de détermination (indice 1, chp. 3.1.6.), partout inférieurs à 20 % (ensembles médian et supérieur non localisé mis à part), indiquent un degré important de fragmentation (tab. 49). Ils sont plus proches des valeurs habituellement rencontrées dans des sites anthropiques que de celles des repaires (cf. plus haut). Dans les sites d’habitat en grotte du Paléolithique moyen du Lazaret (Alpes-Maritimes) et de Mandrin (Drôme), les taux de détermination sont respectivement de 13,6 % (Valensi, 1994) et entre 3,5 % et 12,1 % (Giraud et al., 1998). A Moulin-Neuf, site d’habitat magdalénien où une fragmentation intensive a été mise en évidence, les pourcentages sont similaires (entre 7,1 % et 20 % ; Costamagno, 2000). Les proportions observées à la Baume des Peyrards sont cohérentes avec un tamisage de la totalité des sédiments et une récolte systématique du matériel osseux. De façon générale, les restes post-crâniens sont à peu près trois fois plus nombreux que les restes crâniens (indice 3 ; tab. 49). Les ossements mis au jour lors des fouilles de F. Lazard & M. Deydier (début du XXème siècle) issus de couches non localisées de l’ensemble supérieur sont les seuls à montrer un taux de détermination largement supérieur, de 87,2%, ainsi que des restes crâniens presque trois fois plus nombreux que les restes post-crâniens. Ces fortes proportions tiennent plus ici d’une probable sélection à la fouille des ossements déterminables, ainsi qu’à une absence de tamisage, plutôt qu’à une moindre fragmentation ou à une prédominance initiale des restes crâniens. La présence d’os longs complets et de diaphyses dont la circonférence est complète (cylindres) est une caractéristique des repaires d’hyènes (Klein & Cruz-Uribe, 1984). Un seul os long entier a été enregistré dans tout l’assemblage, il s’agit d’un radio-ulna gauche d’un jeune bouquetin mis au jour dans l’ensemble supérieur a (couche 2 de M. Deydier & F. Lazard). Sur les 90 autres ossements entiers répertoriés dans ce gisement, 85 sont des os courts et cinq des os du squelette axial ou des ceintures (tab. 49). Seuls cinq fragments d’os longs appartenant à des Carnivores, dont quatre diaphysaires, ont été exclus des décomptes.

L’analyse de la longueur des fragments diaphysaires d’os longs a compris, pour les principaux ensembles stratigraphiques, les restes déterminés de diaphyse d’os longs d’herbivores, les fragments diaphysaires indéterminés ≥ 5 cm et les refus de tamis. L’absence des esquilles dans le grand ensemble des restes déterminés non localisés explique la faible proportion (61,2 %) des fragments inférieurs ou égaux au quart de la longueur diaphysaire initiale par rapport à celles des autres niveaux, la première catégorie n’étant pas du tout représentée (fig. 84 et tab. 50). Dans les ensembles supérieur et inférieur, les deux premières catégories de taille (L0 et L1) représentent partout plus de 80 % des échantillons. Selon les niveaux, des variations sont cependant observées au sein même de ces deux premières catégories de taille. Dans l’ensemble supérieur b par exemple, la proportion des petits fragments ≤ 2 cm est plus importante, ils dominent largement le stock osseux avec 74,5 %, tandis que dans les ensembles supérieurs c-d et a, ils représentent respectivement 57,8 % et 54,2 %. L’ensemble inférieur de l’avant-dernière période glaciaire présente également un assemblage moins esquillé. La première catégorie de taille ne concerne que 37,8 % des ossements. La domination des petites esquilles ≤ 2 cm est typique de sites d’habitat paléolithiques. Elle est bien illustrée par exemple dans les sites moustériens de la grotte Mandrin (Drôme ; Giraud et al., 1998) et de l’abri des Canalettes (Aveyron ; Patou-Mathis, 1993b). Dans ce dernier, elles représentent par exemple 54,3 % de l’assemblage osseux déterminé et 91,2 % des esquilles dans les niveaux moustériens de l’abri des Canalettes. M. Patou-Mathis parle à ce propos d’une fragmentation secondaire d’origine climato-édaphique intervenue sur des fragments préalablement fragilisés par une fracturation humaine. Dans notre cas, nous évaluerons, dans le prochain paragraphe, ce qui revient à l’un et l’autre de ces facteurs grâce à la distinction cassure sur os sec/cassure sur os frais et nous discuterons plus avant des pratiques humaines pouvant être à l’origine d’un tel morcellement dans les chapitres sur la récupération de la moelle et de la graisse osseuse (chp. 5.1.2. et 5.1.3.).

Comme nous l’avons dit, l’analyse des circonférences des diaphyses d’os longs ne concerne que les restes déterminés et les esquilles > 2 cm. A la Baume des Peyrards, dans tous les niveaux, les cylindres (C3) restent exceptionnels, affichant des proportions oscillant entre 0 % et 1 % dans les grands ensembles (fig. 85 et tab. 51). Au sein de l’échantillon des os déterminables non localisés, 3,9% des os longs ont une circonférence dépassant les trois-quarts de l’originelle ou sont entiers. Une fois de plus, cette moindre fragmentation s’explique par l’exclusion des esquilles dans ce décompte. Ceci étant, dans toute l’accumulation osseuse, les diaphyses d’os longs ayant une circonférence inférieure à la moitié de l’initiale culminent avec plus de 90 %. Là encore, ces forts pourcentages se retrouvent dans des sites où la récupération par l’homme de la moelle des os longs fut intensive. C’est le cas du site Paléolithique supérieur de Saint-Germain-la-Rivière, où la catégorie C1 oscille entre 71,2 % et 100 % (Costamagno, 1999a).

De façon à évaluer l’allongement et l’étroitesse des pièces selon la méthode de P. Villa & E. Mahieu (1991 ; cf. supra) j’ai pris le parti de mettre en relation longueur et circonférence des pièces pour les deux principales périodes d’occupation de la Baume, l’ensemble inférieur d’une part et l’ensemble supérieur d’autre part (fig. 86, tab. 52, et fig. 87, tab. 53). Les deux figures 86 et 87 mettent en évidence la prépondérance des petits fragments étroits (L1/C1) dans les deux assemblages. Les proportions de longues esquilles étroites (L2-L4/C1) varient de 16,2 % dans l’ensemble inférieur à 22,6 % dans l’ensemble supérieur, ce qui s’approche de celles observées par P. Villa & E. Mahieu (1991) dans le site d’habitat néolithique de Fontbrégoua (25,2 %). En revanche, dans les sites à fragmentation post-dépositionnelle des sépultures collectives néolithiques de Sarrians (Vaucluse) et de Bezouce (Gard), étudiés par les mêmes auteurs, cette classe est quasiment inexistante, renforçant les proportions de fragments cylindriques. Une origine essentiellement post-dépositionnelle de la fragmentation aux Peyrards est donc d’emblée à rejeter. A la grotte du Lazaret, l’analyse de la fragmentation des métapodes de cerf, herbivore le plus exploité par l’homme, a montré le même type d’esquillage, à savoir une majorité de longueurs et de circonférences inférieures à la moitié originale. Même si cette prédominance d’esquilles allongées est l’une des caractéristiques des sites d’habitat humain, elles peuvent être l’œuvre de l’homme comme celle des Carnivores (Binford, 1981). Les faibles proportions des marques de Carnivores enregistrées dans ce gisement (chp. 3.3.2.2.) permettent, à ce stade de l’analyse, d’imputer a priori à l’homme l’intense morcellement des diaphyses.

Les épiphyses ne représentent qu’une petite partie des fragments d’os longs déterminés ou indéterminés ≥ 5 cm, environ 10 % dans la plupart des niveaux (fig. 88 et tab. 54). Seuls deux ensembles (ensemble médian excepté) se démarquent de cette proportion. Il s’agit tout d’abord de l’ensemble supérieur indéterminé des fouilles de M. Deydier & F. Lazard qui montre un pourcentage de 88,9 % d’épiphyses, renvoyant une fois de plus au problème des méthodes de fouilles déjà évoqué à propos du taux important de détermination. En revanche, l’ensemble inférieur présente un nombre très faible d’extrémités, de l’ordre de trois pour cent, en fragments diaphysaires. Pour les échantillons représentatifs, ensembles médian et supérieur non localisé mis à part, les extrémités spongieuses sont partout déficitaires, les rapports épiphyses/diaphyses variant autour de 0,1 (tab. 54). R. J. Blumenshine (1988) a montré que des assemblages expérimentaux ayant subi des dommages par les Carnivores montrent des rapports plus faibles, équivalant à 0,03. Quant à la valeur obtenue sur des ossements ayant été simplement fracturés par les hommes, elle est de 0,33, soit environ trois fois plus importante qu’aux Peyrards. Les résultats observés dans le site paléolithique supérieur de Saint-Germain-la-Rivière sont similaires aux nôtres (Costamagno, 1999a). L’auteur, ayant mis de côté l’action prépondérante de la destruction naturelle in situ ainsi que celle des Carnivores sur l’assemblage osseux, a pu distinguer l’action humaine, démontrant l’utilisation des épiphyses comme combustible et évoquant la possibilité de confection de bouillons gras. C’est dans l’ensemble supérieur a que l’on observe le plus de parties épiphysaires au sein des os longs et le plus d’épiphyses complètes et c’est pourtant dans ce niveau que les proportions en petites parties spongieuses indéterminées ≤ 2 cm dominent les esquilles issues de refus de tamis (fig. 93 et tab. 59). Cette abondance résulterait donc peut-être du broyage d’autres parties spongieuses de la carcasse tel que le squelette axial.

De plus, sur les 431 restes épiphysaires déterminés ou indéterminés ≥ 5 cm enregistrés dans tout le gisement, entre 12 % et 38 % seulement sont complets (fig. 89 et tab. 55), l’ensemble supérieur non localisé faisant une fois de plus exception avec 53,1 % d’épiphyses entières. Aux Peyrards, le broyage des extrémités par les Carnivores ou l’impact d’une conservation différentielle post-dépositionnelle favorisant la destruction des parties spongieuses comme causes principales de cette fragmentation étant à exclure (chp. 3.3.2.2. et 3.3.3.), s’agit-il d’une utilisation de ces parties comme combustible ou d’un traitement culinaire visant à exploiter la moelle rouge des épiphyses ? Pour ces deux hypothèses, de la même façon que pour les petits morceaux de diaphyses ≤ 2 cm, j’ai réparti les fragments d’extrémités d’os longs et les débris de spongiosa < 5 cm selon la présence des stigmates propres à l’un ou l’autre de ces deux dommages anthropiques. Les chapitre 5.1.3. et 5.1.4, traitant du bouillon gras et de la combustion, nous permettront de discuter de ces pratiques.

A la grotte SAINT-MARCEL, les taux de détermination pour les couches inférieures, supérieures et u, sont assez élevés, oscillant entre 18 % et 20 % (tab. 60). Dans l’ensemble 7, du fait de l’intense fragmentation des os, le calcul avait révélé un taux moindre, de 11,2 % (Daujeard, 2004). Une sélection à la fouille des restes déterminables ne serait ni compatible avec ces taux, ni avec la faible représentation des os du squelette crânien par rapport à ceux du squelette post-crânien observée dans ce gisement. Un seul os long a été répertorié dans tout l’assemblage, ensemble 7 compris. Il s’agit d’un deuxième métatarsien de cheval provenant des couches supérieures. Pour ce qui est du squelette post-crânien de tous les herbivores, les seuls os entiers mis au jour sont seize os courts issus de la couche u et treize de l’ensemble 7 (tab. 60). Dans ce dernier, deux os de fœtus ont également été retrouvés intacts. Une troisième phalange d’aigle issue de la couche n a été retrouvée quasi-complète ainsi que deux autres troisièmes phalanges d’ours des cavernes dans la couche u. Aucun os long de Carnivore n’a été répertorié.

L’analyse des proportions des différentes catégories de longueur des diaphyses d’os longs affiche une forte fragmentation (fig. 94 et tab. 61). Les fragments inférieurs ou égaux au quart de la longueur diaphysaire d’origine (L0 et L1) sont largement dominants, avec plus de 80 %. La couche u accuse le plus intense concassage avec 93,4 % des diaphyses comprises dans les deux premières classes de taille et 70,4 % de débris ≤ 2 cm (L0). Seul un reste dans la couche inférieure a une longueur de diaphyse supérieure aux trois-quarts de l’initiale. Les ensembles inférieur et supérieur sont moins intensément fragmentés, la première classe de taille ne rassemblant respectivement que 47,4 % et 41,6 % des diaphyses d’os longs. Dans l’ensemble 7, la taille des esquilles révèle la même répartition que dans la couche u, à savoir une écrasante majorité des classes L0 et L1, respectivement 59,1 et 32,5 % (Daujeard, 2004). Pour ce qui est des restes d’os longs déterminés, alors analysés individuellement, plus de 80 % étaient inférieurs ou égaux à la moitié de la taille originale (L1 et L2). Comme pour les Peyrards nous discernerons, dans le prochain paragraphe, ce qui relève d’une fracturation sur os frais ou d’une fracturation sur os sec.

Dans les trois grands échantillons analysés dans ce travail, les cylindres sont anecdotiques, représentant moins de 2 % (fig. 95 et tab. 62). Partout les restes de circonférence inférieure à la moitié de celle initiale dominent avec plus de 90 %. Dans l’ensemble 7, 87,8 % des os longs déterminés entrent dans la catégorie C1.

L’analyse du rapport longueur/circonférence sur les diaphyses d’os longs montre des pourcentages non négligeables en longs éléments fins (L2-4/C1). S’amenuisant des couches supérieures vers la couche u, ils représentent respectivement, 32,8 %, 24,2 % et 21,1 % des restes diaphysaires déterminés et indéterminés > 2 cm (fig. 96 et tab. 63, fig. 97 et tab. 64, fig. 98 et tab. 65). Ces valeurs sont similaires, voire légèrement supérieures (pour les couches supérieures), à celles observées à Fontbrégoua. Réciproquement, les petits fragments fins (L1/C1), partout majoritaires, augmentent de 65,2 % dans les couches supérieures à 76 % dans la couche u, en passant par 70,3 % dans les couches inférieures.

Les fragments épiphysaires ne comptent que 4,2 % et 5,3 % du nombre total de fragments d’os longs dans les couches supérieures et inférieures (fig. 99 et tab. 66). Dans l’ensemble 7, seuls 4 % des restes diaphysaires sont rattachés à une extrémité. A ce titre, la couche u s’individualise une fois de plus, renfermant 17,2 % d’épiphyses.

Par contre, cette catégorie d’os n’est pas plus épargnée dans la couche u que dans les autres par la fragmentation. Seules 15 % sont des épiphyses complètes, tandis que l’on en compte 16,7 % dans les couches inférieures et seulement une sur quinze dans les supérieures (fig. 100 et tab. 67). Pour poursuivre la discussion concernant les rapports épiphyses/diaphyses commencée plus haut, la dégradation des épiphyses dans les couches supérieures et inférieures donnent des valeurs de 0,04 et 0,06 avoisinant celles des sites expérimentaux égalent à 0,03 et 0,02 (tab. 66). Elle est très importante en regard de celle de la couche u qui donne un rapport de 0,21, plus proche du site expérimental à fracturation anthropique où il est de 0,33 (Blumenshine, 1988). De façon générale, la faible représentation des épiphyses n’est pas entièrement liée à leur disparition complète du gisement puisque l’on compte environ un quart de petits ossements spongieux provenant des refus de tamis, peut-être en partie issus de quelques unes d’entre elles (tab. 71). Cette destruction des extrémités d’os longs devra là encore trouver son explication dans divers phénomènes destructeurs comme la compaction, le broyage par les Carnivores ou le concassage par les hommes.

Au sein de l’ensemble F de PAYRE, on constate des taux de détermination très faibles, variant de 5,3 % dans le niveau Fa à 8,5 % en Fc-d, en passant par 6,8 % en Fb (tab. 72). Ces taux sont principalement dus à un nombre écrasant de petits fragments indéterminés issus des refus de tamis et révèlent donc l’intensité de la fragmentation. Les fragments ≤ 2 cm sont partout majoritaires (fig. 103 et tab. 73). Comme aux Peyrards, les restes crâniens sont à peu près trois fois moins nombreux que les post-crâniens (tab. 72). Toutes ces valeurs sont en accord avec une récupération systématique et non sélective des restes osseux dans le gisement. Seuls deux os longs ont été mis au jour entiers, il s’agit d’un métacarpien de jeune cerf dans le niveau Fc-d (diaphyse complète) et d’un troisième métacarpien de cheval dans le niveau Fa. En ce qui concerne le squelette post-crânien dans son ensemble, des trois gros gisements, l’ensemble F de Payre compte les taux les plus importants d’ossements entiers, allant jusqu’à 15,8 % en Fa (tab. 72), limitant ainsi l’impact de la fragmentation sur cet assemblage. Cependant, parmi les 234 restes entiers recensés dans tout l’ensemble F, 217 sont des os courts, 15 appartiennent au squelette axial et donc deux à des os longs. Rappelons que mon étude n’a concerné pour ce site que les restes d’herbivores.

Les fragments diaphysaires d’os longs d’herbivores se répartissent pour la grande majorité dans les deux premières classes de taille (L0 et L1 ; fig. 103 et tab. 73). L’intensité de cette fragmentation décroît des niveaux supérieurs vers les inférieurs. Ces fragments inférieurs ou égaux au quart de la longueur de la diaphyse initiale représentent 92,1 % en Fa, 85,6 % en Fb et 82,7 % en Fc-d. Partout les restes diaphysaires quasi-complets (L4) sont exceptionnels.

De la même façon que pour les tailles, les ossements présentant des circonférences inférieures à la moitié de celle d’origine sont dominants, régressant légèrement de Fa vers Fc-d (fig. 104 et tab. 74). Seul le niveau Fb comprend un pourcentage de cylindres supérieur à 1 %.

L’analyse de la mise en rapport longueur/circonférence permet de remarquer une augmentation des longues esquilles étroites de Fa vers Fc-d (fig. 105 et tab. 75, fig. 106 et tab. 76, fig. 107 et tab. 77). Elles constituent 20,9 % des fragments diaphysaires d’os longs dans Fa, 29,2 % dans Fb et 30,9 % dans Fc-d, dépassant les proportions obtenues à Fontbrégoua (25,2 %). Rappelons que cette classe, sans être révélatrice d’une fracturation humaine (Binford, 1981), est en revanche quasiment absente des sites à fragmentation essentiellement post-dépositionnelle (Villa & Mahieu, 1991).

Les rapports entre les épiphyses et les diaphyses d’os longs sont équivalents aux valeurs calculées pour la couche u de Saint-Marcel, mettant en évidence une moindre destruction des extrémités spongieuses que dans les sites à Carnivores (Blumenshine, 1988) ou que dans les niveaux des Peyrards et des ensembles supérieurs de Saint-Marcel (cf. supra ; fig. 108 et tab. 78). Dans l’ensemble F de Payre, un peu moins de 20 % des fragments d’os longs comptent au moins une partie épiphysaire. Avec 21,2 %, le niveau Fa est le moins affecté par la disparition des parties spongieuses d’os longs. C’est d’ailleurs ce niveau qui contient les plus faibles proportions de parties spongieuses issus des refus de tamis. Dans ce gisement, les morceaux d’épiphyse manquants peuvent en effet trouver leur explication dans les proportions écrasantes des petits fragments spongieux provenant des refus de tamis (tab. 84). Ils sont ici largement majoritaires par rapport aux diaphysaires. En revanche, parallèlement à l’intensité de sa fragmentation (taux de détermination le plus faible), le stock osseux de Fa contient les plus forts taux d’épiphyses incomplètes (fig. 109 et tab. 79). Ceux-ci baissent des niveaux supérieurs vers les niveaux inférieurs, de 82,8 % en Fa à 79 % en Fc-d en passant par 80,6% en Fb.

L’analyse comparative du degré de fragmentation des petits sites ardéchois sera entravée par la diversité des procédés de fouilles concernant les fragments osseux indéterminables (chp. 3.2.1.). En ce qui concerne par exemple les taux de détermination (indice 1) et de complétude (indice 2) calculés dans le tableau 85, ils font nettement transparaître ces carences en petits fragments et quelquefois même la sélection des belles pièces, surestimant au final le nombre de restes déterminables dans les échantillons. La forte supériorité des restes crâniens (en particulier des dents isolées) sur les post-crâniens (taux de destruction osseuse : indices 3 et 4, tab. 85) dans les niveaux moustériens du Figuier et de Flandin (mis au jour dans la salle) illustreraient selon nous plus une sélection à la fouille que d’éventuels problèmes de conservation différentielle ou de transport sélectif par les prédateurs. A la Baume Flandin l’argument principal pour cette hypothèse tient dans la comparaison avec l’assemblage issu des mêmes sédiments encaissants mis au jour en 2005 (couche 3). Dans la couche 3, le nombre de restes crâniens, et plus particulièrement de dents isolées, est beaucoup plus modeste que celui des post-crâniens. Au Figuier, le bon état général de conservation du squelette post-crânien serait a priori également en faveur de cette supposition. Néanmoins, l’absence d’une partie des collections de ce site ne nous permet pas de nous fier entièrement à cette abondance en restes dentaires.

Dans la grotte du FIGUIER, aucun reste d’os long entier n’a été répertorié. Les ossements complets sont des os courts, neuf appartiennent à des herbivores et trois à des Carnivores. Les os entiers représentent donc 32,4 % du NRD post-crânien (tab. 85). Un choix sélectif des éléments aisément déterminables expliquerait plus, selon nous, cette forte proportion qu’un moindre impact de la fracturation. Dans l’abri du MARAS, les seuls os entiers sont issus de l’ensemble supérieur, ce sont cinq os courts d’herbivores. Dans ce site, en revanche, la déficience observée est réellement représentative d’un état de fragmentation de l’assemblage. A la BAUME FLANDIN, dans la couche 3 de la terrasse il n’y a pas d’os long entier, seulement quinze os courts dont neuf sont des os d’herbivores, trois de Carnivores et trois autres de lagomorphes. Un métacarpien gauche entier de bison a été mis au jour dans la salle. Les quatre autres os longs complets de ce niveau fouillé dans les années cinquante sont ceux de trois lagomorphes et d’un oiseau. Six os courts d’herbivores, deux de lagomorphes et un de Carnivore complètent cette liste. Les taux de complétude du squelette post-crânien sont de 17,4 % dans la couche 3 et de 28,6 % dans l’échantillon provenant des fouilles de la salle. L’écart peut s’expliquer ici par les méthodes de fouilles employées pour chacun des ces ensembles osseux. Aux PECHEURS, quatre os longs entiers d’herbivores et cinq de Carnivores ont été découverts lors de la campagne 2005, ce qui n’est pas négligeable. Les autres ossements non fracturés sont 41 os courts, 27 d’herbivores, 12 de Carnivores et deux d’oiseaux, et neuf restes du squelette axial, sept d’herbivores et deux de Carnivores. Même s’il s’agit majoritairement d’os courts, le nombre de restes entiers représente ici les deux-tiers de l’assemblage post-crânien déterminé. Enfin à BALAZUC, le nombre d’ossements entiers d’herbivores mis au jour atteint 121 dans le niveau 2-3, mais seuls 14 sont des os longs, les autres étant 88 os courts et 29 issus du squelette axial. Parmi les 28 restes complets de Carnivores et les cinq de petits mammifères, 10 sont des os longs, le reste étant pour les premiers, deux os de fœtus, 14 os courts et cinq du squelette axial et pour les seconds, un os coxal et une vertèbre. Malgré ces nombres importants, le taux de complétude pour le squelette post-crânien du niveau 2-3 ne dépasse pas les 14 % (NRentiers postcr/NRD postcr = 154/1098). Dans le niveau 1, les 2 seuls os longs entiers sont ceux de Carnivores et on compte 8 os courts complets d’herbivores et deux de Carnivores. En revanche, dans ce niveau assez pauvre, le taux de complétude atteint 48 % du nombre de restes déterminés post-crâniens (12/25, cf. tab. 85).

Observons maintenant les divers degrés de fragmentation obtenus dans chacun de ces gisements (fig. 113 et tab. 86, fig. 114 et tab. 87). Dans la grotte du FIGUIER, la fragmentation des diaphyses d’os longs d’herbivores met en évidence une forte prépondérance d’ossements de taille inférieure ou égale à la moitié de la longueur diaphysaire initiale (Li), 54,8 % sont inférieurs ou égaux au quart de Li et 41,9 % mesurent entre le quart et la moitié. La seule diaphyse atteignant plus des trois-quarts de Li est une diaphyse de Carnivore. Il s’agit d’un radius droit d’ours des cavernes de circonférence complète et de catégorie de longueur L4. Aucun cylindre d’herbivore n’a d’ailleurs été décompté et seuls 3,2 % ont une circonférence supérieure à la moitié de l’originale La fragmentation au Figuier ne serait donc, apparemment, pas seulement post-dépositionnelle. Dans l’abri du MARAS, où un tamisage systématique a été opéré, le degré de fragmentation apparaît très intensif dans tous les niveaux mais plus particulièrement dans la couche 1 et l’ensemble inférieur. L’ensemble supérieur est le seul à ne pas compter plus de 70 % de petits fragments ≤ à 2 cm (seulement 56,9 %) et moins de 4% (7,1 % exactement) de diaphyses de circonférence ≥ à la moitié de celle initiale. A Flandin, les deux premières catégories de longueur prises en compte confondues (L1 et L2), la somme de leurs proportions respectives apparaît égale dans les deux assemblages, la seule différence étant dans la répartition de chacune d’entre elles. Dans la couche 3 on observe une quantité supérieure de restes ≤ au quart de Li, tandis que dans l’autre niveau, les fragments compris entre le quart et la moitié de Li sont largement mieux représentés. Inversement c’est la couche 3 qui compte le plus de diaphyses d’herbivores de circonférence large (C2-3). Dans cette couche, 2 cylindres d’os longs de renards de catégories de taille L1 et L3 ont été relevés. Aux PECHEURS, la fragmentation semble avoir eu un moindre impact sur les os longs d’herbivores que dans les autres sites. 11,1 % d’entre eux ont une longueur supérieure à la moitié de Li, 14,8 % sont des cylindres (C3) et 18,5 % ont une circonférence de catégorie C2. Trois diaphyses de loup, ôtées de ces pourcentages, ont été retrouvées presque entières (C3/L3). Enfin, à BALAZUC, de la même façon qu’au Maras, la récupération de tous les fragments osseux permet d’avoir une vision représentative de l’état global de la fragmentation diaphysaire du stock osseux. Cette dernière est poussée, créant une masse prédominante de fragments de catégories L0 et L1. Une fois ajoutés, ceux-ci atteignent des proportions similaires à celles observées pour le Maras. La distinction apparaît dans la part de chacune de ces catégories, la première rassemblant à Balazuc un moindre taux de fragments qu’au Maras. L’autre point de démarcation, en ce qui concerne le degré de fragmentation, réside dans la présence de cylindres à Balazuc, manquants dans l’assemblage du Maras.

Ces deux sites sont par ailleurs les seuls à avoir pu bénéficier d’une analyse mettant en rapport longueur et circonférence des diaphyses (fig. 115 et tab. 88, fig. 116 et tab. 89, fig. 117 et tab. 90, fig. 118 et tab. 91). Cette approche permet d’apparenter le niveau 1 et l’ensemble inférieur du Maras avec le niveau 2-3 de Balazuc en ce qui concerne leurs proportions en longs fragments étroits (C1/L2-4) avoisinant les 15 %, et en petits restes de longueur et de circonférence 1, rassemblant respectivement, 83 %, 78,4 % et 82,9 % des échantillons. En revanche, l’ensemble supérieur du Maras affiche des pourcentages de 24,1 % pour les premiers et de 69,6 % pour les seconds. De la même façon qu’à Fontbrégoua (Villa & Mahieu, 1991), il compte donc plus de ces longs fragments étroits et un moindre taux de tous petits fragments (C1/L1).

Dans les trois autres sites illustrés sur la figure 114, l’absence des fragments < 5 cm habituellement récupérés au tamisage, a contribué à surestimer les plus grandes catégories de longueur. On peut néanmoins observer que le Maras est le site qui a connu la fragmentation la plus intensive et que les quelques cylindres récupérés dans les sites de Flandin, des Pêcheurs et de Balazuc indiquent une récupération moins systématique de la moelle jaune par les prédateurs, laissant à la fragmentation post-dépositionnelle une plus grande part de responsabilité.

J’ai choisi de présenter les proportions de restes épiphysaires et de restes diaphysaires des herbivores et des Carnivores sur une même figure dans les sites où ces derniers ne sont pas négligeables (fig. 119 et tab. 92). De cette mise en perspective il ressort que les fragments de diaphyse rattachés à une extrémité sont beaucoup plus fréquents chez les Carnivores que chez les herbivores, chez les premiers ils dépassent partout 70 % du lot des os longs. La figure 119 met d’ailleurs en évidence la rareté des fragments épiphysaires d’herbivores dans le site du Maras, et particulièrement dans le niveau 1 où ils ne représentent que 1,4 % des restes de diaphyse d’os longs. Dans les autres sites, cette catégorie d’ossements oscille entre 22 % à Flandin et 52 % au Figuier.

Pour ce qui est du taux de fragmentation de ces parties spongieuses, deux types d’assemblage se distinguent (fig. 120 et tab. 93). Tout d’abord, les assemblages où les épiphyses fragmentées d’herbivores constituent plus de la moitié des échantillons, c’est notamment le cas du Maras, de la couche 3 de Flandin et du niveau 2-3 de Balazuc. Puis les assemblages contenant plus d’épiphyses d’herbivores complètes que d’incomplètes, il s’agit du site des Pêcheurs, du niveau de l’intérieur de la grotte à Flandin et du Figuier. Dans ces deux derniers gisements, la sélection des ossements opérée à la fouille (choix d’ossements déterminables avec extrémités complètes) a dû contribuer à accentuer ces taux. Enfin, la catégorie des lots osseux dans lesquels les épiphyses de Carnivores comptent une grande majorité d’éléments complets en regard de celles des herbivores permet de limiter le rôle de la conservation différentielle sur cette disparition et de mettre plutôt en évidence une récupération alimentaire de ces parties riches en graisse. C’est notamment ce que l’on observe dans le niveau 2-3 de Balazuc, aux Pêcheurs et dans la couche 3 de Flandin.