La fracturation

Outre la récupération de la moelle diaphysaire par les hommes ou les Carnivores, le piétinement pré-enfouissement peut également entraîner une fracturation typique de cassures sur os frais, avec fractures hélicoïdales et bords lisses. Celles-ci n’ayant pas fait l’objet d’études permettant de les distinguer de celles des prédateurs, je n’ai pu attribuer aucune des fractures sur os frais à cette altération. Notons cependant que les os frais sont moins sujets à la fracturation par le piétinement que des os au stade 1 ou 2 d’intempérisation (Lyman, 1994). Ce phénomène peut également opérer après l’enfouissement de la même façon que la compaction par le poids des sédiments. Il produira dans ce cas des fragments osseux de type cylindrique avec des fractures à bords rugueux (Villa & Mahieu, 1991). Les os plats et les os spongieux sont les plus affectés par le piétinement. Les os calcinés, très fragiles, peuvent même être pulvérisés sous l’effet du piétinement et de la compaction (Stiner et al., 1995).

L’étude morphologique des fractures faite au sein des ensembles supérieur et inférieur de la BAUME DES PEYRARDS montrent, comme dans le site anthropique de Fontbrégoua, une prédominance globale des angles inclinés, des fractures obliques et des bords lisses, avec une légère supériorité de ces derniers au sein de l’ensemble supérieur (fig. 90 et tab. 56). Dans les deux ensembles, la distribution est caractéristique d’une fracturation sur os frais majoritaire. Excepté dans l’ensemble supérieur a, dans tout le reste de l’assemblage, plus des deux-tiers des restes déterminés et des esquilles ≥ 5 cm présentent une ou plusieurs de ces fractures sur os frais (fig. 91 et tab. 57). Ce point, associé à l’intense fragmentation favorisant les pièces diaphysaires courtes et étroites, ferait pencher en faveur de l’hypothèse d’une récupération humaine de la moelle jaune contenue dans les diaphyses. Le dénombrement des marques annexes, traces de boucherie ou de dents de Carnivores (chp. 3.3.2.2. et 3.3.2.3.), nous permet a priori d’attribuer aux hommes la plus grande partie de ces cassures sur os frais. L’étude des points d’impact et de leur répartition dans le chapitre 4.2.2. permettra d’identifier plus sûrement l’auteur principal de cette fracturation. Quant aux petits fragments < 5 cm issus des refus de tamis, l’observation des fractures montre qu’un peu moins d’un tiers des débris diaphysaires ≤ 2 cm et environ la moitié de ceux < 5 cm proviennent d’une fracturation sur os frais (fig. 92 et tab. 58). Il est intéressant de mettre en évidence la diminution du taux de tous petits fragments (L0) fracturés sur os frais des couches supérieures vers les couches inférieures, de 30,3 % en c-d à 10,2 % dans le niveau profond. Plus on descend dans la stratigraphie, moins l’intensité de la fragmentation tient à un concassage intentionnel, attribuant plus de responsabilité à la compaction. Nous avons vu que du fait de leur fragilité et de leurs qualités physiques intrinsèques, les os spongieux rendent plus difficile la distinction os frais/os sec. Néanmoins, un quinzième des petites esquilles spongieuses ≤ 2 cm et moins d’un quart de celles < 5 cm mettent clairement en évidence, par des enlèvements nets et lisses, des débris contemporains des dépôts. Le taux de petits fragments compris entre 2 et 5 cm (L1) avec cassures sur os frais est nettement inférieur dans l’ensemble supérieur a. En ce qui concerne les débris ≤ 2 cm, c’est l’ensemble inférieur qui en compte le moins. L’origine de tous ces petits éléments sera discutée dans les chapitres 5.1.3. et 5.1.4.

L’aspect des fractures observées à la grotte SAINT-MARCEL met en évidence une prépondérance des plans inclinés et lisses ainsi que des profils obliques, critères distinctifs de la fracturation sur os frais (fig. 101 et tab. 68). En ce qui concerne le contour des fractures, de façon générale, les profils obliques sont donc majoritaires, s’apparentant en cela à la distribution observée dans le site de Fontbrégoua, suivis des fractures longitudinales puis, en dernier lieu, des transversales. Ces dernières apparaissent beaucoup moins nombreuses que dans le site néolithique où elles sont classées au second rang devant les fractures intermédiaires, représentant un tiers de l’assemblage. Cette différence s’explique sans doute du fait de la prise en compte d’une catégorie différente rassemblant les fractures longitudinales. Au vu des proportions obtenues, les ensembles supérieur et inférieur sont assez similaires. Ils renferment environ 65 % de profils obliques, quasiment 70 % de plans inclinés et respectivement 76 % et 67,9 % de bords lisses. La couche u, en revanche, semble moins riche en fractures sur os frais. 51,3 % d’entre elles sont obliques, 56,4 % ont des plans inclinés et seules 55,8% ont un aspect lisse. Ces tendances se confirment ici dans les pourcentages en nombre de restes présentant des cassures sur os frais (fig. 102 et tab. 69). Une large majorité de l’assemblage des couches supérieures et inférieures compte une ou plusieurs fractures sur os frais, respectivement 91,8 % et 81 %, tandis que seuls 75,6 % des restes osseux de la couche u ont été brisés de façon synchronique des dépôts. Ceci étant, ces proportions, conjuguées aux degrés de fragmentation observés plus haut ainsi qu’à la quasi-absence des traces de Carnivores (chp. 3.3.2.2.) et à l’abondance des stries de boucherie (chp. 3.3.2.3.), permettent d’imputer ce type de fractures à une fracturation humaine intentionnelle sur os frais. Dans l’ensemble 7 de Saint-Marcel, où la récupération systématique de la moelle des os longs comme des phalanges par les hommes a été mise en évidence, plus de 70 % des restes osseux présentaient des fractures à bords lisses et obliques. Le site de Saint-Marcel ayant été le premier à avoir fait l’objet de mon analyse, il n’a pas bénéficié de l’évolution méthodologique acquise dans les autres gisements pour certaines observations. C’est notamment le cas de l’étude des refus de tamis. Les fragments < 5 cm n’ont pas profité de la distinction diaphyse/spongiosa ajoutée ultérieurement dans l’analyse des fractures sur os frais. Nous ne pourrons donc avoir qu’un large aperçu du taux de débris possédant ce type de fracture, et ce seulement pour les restes > 2 cm (tab. 70). Néanmoins, il est intéressant de noter qu’un large tiers, allant jusqu’à plus de la moitié dans l’ensemble supérieur, est concerné par ce concassage contemporain des dépôts. Les petits fragments issus de l’ensemble 7, étudié encore plus anciennement (Daujeard, 2002, 2003), avaient seulement fait l’objet d’une observation générale de leurs plans de fracture. Seuls les éléments passés au feu avaient été dénombrés.

Dans l’ensemble F de la grotte de Payre, l’analyse morphologique des fractures met en évidence une grande similarité entre les différents niveaux. La particularité de cet assemblage osseux tient dans le fait qu’il est partout légèrement plus atteint par la fragmentation post-dépositionnelle que par la fracturation sur os frais. Plus de 60 % des restes ont été fraîchement fracturés ou présentent une ou plusieurs fractures sur os sec (fig. 111 et tab. 81). De la même façon, nous pouvons observer dans l’analyse morphologique globale une prépondérance des plans à angles perpendiculaires et des bords rugueux sur les angles inclinés et les bords lisses (fig. 110 et tab. 80). Dans les niveaux Fa et Fc-d, les fractures sur os frais sont moins représentées que dans le niveau Fb. Les hommes et dans une moindre mesure les Carnivores (cf. supra) peuvent être les deux agents à l’origine de la fracturation des ossements contemporaine des dépôts. La proportion des restes diaphysaires et spongieux à fractures sur os frais au sein des petits fragments < 5 cm issus des refus de tamis est quasiment la même que celle observée aux Peyrards (fig. 112, tab. 83 et photo 35). Les fragments de diaphyses compris entre 2 et 5 cm (L1) sont ceux qui rassemblent le plus grand nombre d’éclats frais, avec environ la moitié de l’échantillon pour Fa et Fb et 39,2 % pour Fc-d (photo 34). Dans ce dernier, suivant en cela l’observation faite plus haut pour les grands fragments, la fracturation sur os frais a eu un moindre impact sur ces petits os, toutes catégories confondues. Pour les restes spongieux, leur conformation entravant la reconnaissance des différents types de fractures, le nombre de fractures sur os frais avérées, bien qu’amoindri, n’est pas négligeable et prouve l’intérêt des prédateurs pour les os à moelle rouge.

La figure 121 et le tableau 94 nous montrent que trois sites, parmi les cinq petits sites ardéchois analysés, ont un nombre de fragments présentant une ou plusieurs cassures sur os frais supérieur à la moitié du nombre total de fragments déterminés et indéterminés ≥ 5 cm. Ces sites sont l’abri du Maras, où nous passons de 89 % dans le niveau 1, à 81,8 % dans l’ensemble supérieur et à 71,7 % dans l’ensemble inférieur, le niveau moustérien (fouilles 1953-57) et la couche 3 de la Baume Flandin où ils équivalent respectivement à 67,4 % et 50 % et le niveau 2-3 de Balazuc où ils atteignent 60,2%. Pour les petits échantillons du Figuier, des Pêcheurs et du niveau 1 de Balazuc, ils représentent un peu plus du quart du nombre total de restes. Hormis au Maras, où la quasi absence des Carnivores (1 seul reste de loup dans le niveau 3) et la faiblesse de leurs traces sur les surfaces osseuses font de l’homme le principal acteur de la fracturation, dans tous ces autres sites les hommes et les grands Carnivores peuvent être à l’origine des cassures sur os frais. A Balazuc et aux Pêcheurs, le loup est le prédateur le plus présent. A Flandin, c’est principalement l’hyène qui concurrence l’homme dans le lot des fractures sur os frais, de façon plus importante, en regard des traces de dents (chp. 3.3.2.2.), dans la couche 3 qu’à l’intérieur de la grotte, où les traces de boucherie humaine sont d’ailleurs plus fréquentes (chp. 3.3.2.3.). Au Figuier, hyènes et loups ont habité la grotte, malgré la faiblesse des marques laissées sur les os, ces deux prédateurs ont dû également les fracturer pour leur moelle.

En ce qui concerne les petits fragments issus des refus de tamis, les décomptes obtenus à Balazuc montrent une distribution similaire à celle observée aux Peyrards, à Payre (fragments diaphysaires) et à Saint-Marcel (L1 spongieux et diaphysaires), à savoir, fragments diaphysaires et spongieux confondus, environ 20 % de restes avec fractures sur os frais pour la catégorie L0 et aux alentours de 50 % pour la catégorie L1 (tab. 95). A l’abri du Maras, le tableau 96 met en évidence les mêmes proportions pour les fragments diaphysaires L1, en revanche nous observons des quantités moindres pour les L0, allant de 17,1 % dans le niveau 1 jusqu’à 2,3 % dans l’ensemble inférieur. Là encore, les taux les plus faibles accordent à la compaction, pour les niveaux profonds, le rôle majeur dans l’intensité de la fragmentation. Le même phénomène s’observe pour les petits fragments spongieux (L0), par contre il n’y a pas une telle baisse concernant les fragments spongieux L1 qui restent aux alentours des 15 %.