La fragmentation

Comme nous l’avons vu, l’intempérisation (chp. 3.3.1.1. : stades 4 et 5), la compaction due au poids des sédiments et au piétinement (chp. 3.3.1.3.1. et 3.3.2.1.) et la gélifraction (chp. 3.3.1.4.) peuvent être les trois processus non humains à l’origine d’une fragmentation statique sur os sec. Outre ces phénomènes naturels, le feu peut aussi entraîner une grande quantité de fragments du même type. Le décompte des ossements chauffés nous permettra d’évaluer la part de responsabilité de la combustion dans la fragmentation des assemblages osseux. Ce point sera abordé dans le chapitre 5.1.4.

La fragmentation liée à une exposition trop longue des ossements à l’air libre n’intervient qu’au cours du dernier stade d’intempérisation (stade 5). A ce stade, de grosses esquilles, formées par l’écartement des craquelures longitudinales, commencent à se détacher.

En ce qui concerne les phénomènes de compaction, les conséquences de la fragmentation et de la déformation des ossements sont différentielles. Les os les moins denses et les plus grands seront les plus touchés. De même les os issus de sédiments peu propices à une bonne fossilisation et sujets à des altérations comme la dissolution ou la desquamation seront également plus vulnérables face au poids des sédiments. Les fractures dues à la compaction suivent généralement les lignes naturelles de faiblesse des os : reliefs saillants, parties spongieuses, parties moins ossifiées, etc…. Ces fractures se distinguent en cela des fractures d’origine anthropique situées à des endroits spécifiques. Les plans de fracture d’os déjà fossilisés sont différents de ceux obtenus sur des os frais. La surface fracturée est plus rugueuse et dentelée et son axe est généralement perpendiculaire à celui de la surface de l’os (Villa & Mahieu, 1991). Ces fractures effectuées une fois l’os enfoui peuvent être retrouvées en connexion, contrairement aux éléments issus d’une fracturation d’origine anthropique (Auguste, 1994a). Toutefois, ces dernières considérations étant faites, il faut préciser qu’un remaniement des sédiments post-enfouissement (tassements, ruissellements, etc.) peut disperser considérablement un assemblage.

Enfin, la gélifraction peut également être à l’origine de la fragmentation. Toutefois nous avons vu que celle-ci se départ des autres causes précédemment énumérées par son mode de cassure dit « en assiettes » et par le fait qu’elle épargne les épiphyses. Ce type de fracture a été observé sur environ 4% des restes présentant une fragmentation sur os sec récoltés dans l’ensemble F de Payre (tab. 82). Dans les autres sites son impact est difficile à évaluer. L’alternance des phases de gel/dégel, accusée lors des périodes glaciaires, a certainement eu sa place dans le lot des fissures et cassures osseuses observées dans nos assemblages. Mais en ce qui concerne notamment les restes de juvéniles, en quels termes, sélection ou destruction, pourrons-nous interpréter un déficit de cette catégorie d’âge ?

A la BAUME DES PEYRARDS, environ le tiers des restes déterminés et indéterminés ≥ 5 cm et plus de la moitié des refus de tamis ont connu une fragmentation post-dépositionnelle sur os sec (fig. 91 et tab. 57). Celle-ci a pu être l’œuvre des diverses causes, difficilement distinguables, que nous venons d’évoquer. Sur les 43 remontages effectués dans le gisement, cinq l’ont été à partir de fractures à bords rugueux issues des mêmes niveaux stratigraphiques. Sans planches et carnets permettant d’analyser la répartition des os mis au jour à la fouille, nous ne pouvons pas évaluer la distance séparant ces quelques restes les uns des autres. Néanmoins ils permettent de modérer l’éparpillement des restes osseux au sein de la stratigraphie. Ce qu’il est possible d’avancer concernant cette fragmentation se résume en quelques points. Tout d’abord, les stades ultimes d’intempérisation connus aux Peyrards sont la cause d’une partie des « baguettes » et des fractures longitudinales à bords rugueux. Puis la compaction et les remaniements des sédiments ont dû contribuer à aggraver l’effritement du stock osseux tout en dispersant les éléments. Enfin, l’alternance des phases de gel/dégel a sa part, quoique limitée (peu de « piles d’assiettes » observées) dans le lot des fissures et des cassures. Sur ce point il est intéressant de remarquer des proportions légèrement plus importantes de fractures sur os sec dans les ensembles stratigraphiques ayant connu les phases climatiques les plus rigoureuses (ensemble inférieur et supérieur a). Notons cependant qu’il s’agit également des plus profonds, ces pourcentages pouvant donc aussi dénoter un impact aggravé des phénomènes de compaction. De façon générale, l’ensemble inférieur daté de l’avant-dernière glaciation contient plus de fractures longitudinales, de plans perpendiculaires et de bords rugueux que l’ensemble supérieur.

A la grotte SAINT-MARCEL, les proportions de restes osseux comportant des fractures sur os sec augmentent sérieusement des niveaux les plus superficiels vers les niveaux les plus profonds (fig. 102 et tab. 69). Dans les couches supérieures et inférieures, 31,3 % et 50,8 % des os révèlent une fragmentation post-dépositionnelle, tandis que l’on en chiffre 60,9 % dans la couche u. Dans l’ensemble 7, ce sont 50 % des ossements qui présentent des fractures à bords rugueux. Cette distribution mettrait a priori en évidence l’accentuation des effets du poids des sédiments sur les ossements les plus enfoncés. De plus, les restes gélifractés (piles d’assiettes) sont anecdotiques et les stades les plus avancés de l’intempérisation (4 et 5) ne sont que très peu représentés (entre 0,8 % et 2,3 % ; fig. ). Nous reviendrons dans le chapitre 5.1.4. sur cette fragmentation, étant donné qu’un fort pourcentage de petits fragments présente des traces de passage au feu.

Dans l’ensemble F de PAYRE, outre la supériorité générale de la fragmentation post-dépositionnelle sur la fracturation synchronique des dépôts, on constate une augmentation des fractures sur os sec, confortée par celle des fractures à bords rugueux et à plans perpendiculaires, du niveau Fa vers le niveau profond Fc-d (fig. 111 et tab. 81). Comme pour les deux autres sites, cette augmentation peut révéler l’action grandissante de la compaction sur les ossements les plus profonds. En ce qui concerne la gélifraction, l’ensemble F est très homogène, renfermant dans tous ses niveaux entre 4,6 et 4,8 % d’ossements présentant une fragmentation en « piles d’assiettes » (tab. 82). L’action de l’alternance des phases de gel/dégel est donc minoritaire mais ne doit néanmoins pas être négligée dans la possible disparition d’une partie des restes de juvéniles (dents et spongiosa). Les stades d’intempérisation entraînant un esquillage des ossements (4 et 5) représentent respectivement en Fa, Fb et Fc-d, 4,7 %, 5,9 % et 3,4 % des échantillons (fig. 46 et tab. 11). Au vu de ces proportions la plus grande partie des fractures sur os sec peut être imputée aux conséquences de la compaction sur un assemblage osseux fragilisé par d’autres phénomènes comme la dissolution, d’ailleurs plus conséquente en Fc-d.

Dans les petits gisements ardéchois, à l’exception du Maras et du niveau intérieur de Flandin, les dommages post-dépositionnels ont eu partout un impact sur la fragmentation supérieur ou égal à celui de la fracturation sur os frais (fig. 121 et tab. 94). Les fractures sur os sec sont très fréquentes dans le niveau 2-3 de Balazuc et dans la couche 3 de Flandin, supérieures à 60 %. Il est difficile de faire la part de la gélifraction et de la compaction dans cette fragmentation, si ce n’est la rareté des fractures en « piles d ‘assiettes ». Au Maras, il est intéressant de noter une fois de plus l’augmentation des cassures sur os sec des couches superficielles vers les couches profondes. A ce propos, le degré de fragmentation étant très grand dans le niveau 1 comme dans l’ensemble inférieur, les facteurs à l’origine de ce concassage apparaissent différents. On notait dans le niveau 1, 89 % de fractures sur os frais, tandis que dans l’ensemble inférieur ce taux baissait jusqu’à 71,7 % ; réciproquement, l’augmentation des fractures sur os sec passant de 34,2 % dans le premier à 52,8 % dans le deuxième fait ici de la fragmentation post-dépositionnelle un agent destructeur tout aussi important que la fracturation synchronique des dépôts. De plus, comme nous le verrons par la suite, la majeure partie des petits fragments inférieurs ou égaux à deux centimètres de l’ensemble inférieur présente des traces de chauffe (chp. 5.1.4). L’un des agents responsables de la fragmentation dans cet ensemble serait donc le passage au feu, s’alliant à des processus naturels tels que la compaction par les sédiments. Il est également important de noter ici l’important esquillage en bâtonnets (intempérisation et compaction) particularisant l’assemblage du Ranc Pointu n° 2 ainsi que les très nombreuses fractures en piles d’assiettes observées à la Baume d’Oullens, annihilant les restes déterminables.