Destruction différentielle ?

Fragments de voûte crânienne, germes dentaires, dents déciduales, restes de fœtus, cartilages costaux et disques vertébraux sont autant d’éléments fragiles qui, retrouvés dans un assemblage, sont garants du bon état général de conservation. Tous sont présents dans l’ensemble F de Payre (fœtus, germes dentaires et cartilages costaux faisant défaut au niveau Fb), dans les ensembles supérieurs des Peyrards, dans l’ensemble inférieur et la couche u de Saint-Marcel, à Balazuc (2-3) et aux Pêcheurs. Nous avons vu qu’en ce qui concerne l’analyse de la conservation différentielle dans les quatre premiers gisements (chp. 3.3.3.), seules les couches profondes Fc-d de Payre attesteraient réellement d’une destruction osseuse post-dépositionnelle ayant touché de façon significative les éléments les plus fragiles. A Saint-Marcel les relations significatives entre les % MAU et les indices de densité révéleraient, plutôt qu’un impact de la conservation différentielle, un effet de l’action humaine sur les stocks osseux (traitement différentiel des parties les plus fragiles). Aux Peyrards et à Balazuc la relations entre les % MAU et les indices de densité ne sont pas significatives. Conjugué au très bon état de conservation des surfaces osseuses, ces données sont très importantes en terme de validité des interprétations archéozoologiques dans ces quatre sites.

Là où au contraire la plupart de ces parties anatomiques manquent sérieusement, assemblages du Maras, du Figuier, de l’ensemble inférieur des Peyrards, de Flandin et des couches supérieures de Saint-Marcel, il est légitime de se demander quelle en est la cause : conservation différentielle, faiblesse des échantillons ou transport sélectif ? L’histoire taphonomique vécue par ces échantillons et relatée dans ce chapitre est seulement un premier élément de réponse. L’analyse de la représentation anatomique, abordée seulement dans le chapitre 4.6., sera le deuxième volet de ce débat. Nous pouvons seulement dire à ce stade de l’analyse que les faibles taux de destruction osseuse (cf. supra) alliés au bon état général de conservation des surfaces osseuses observé dans l’ensemble supérieur de Saint-Marcel, l’ensemble inférieur des Peyrards et du Maras, ainsi que dans la couche 3 de Flandin font pencher pour les deux dernières options, écartant a priori l’hypothèse d’une destruction différentielle de ces parties fragiles. La présence de germes dentaires dans le premier site, d’un os hyoïde dans le second et de dents de juvéniles dans le dernier valideraient ce postulat. Au Figuier et dans la couche de Flandin fouillée en 1954-57, c’est la petitesse des échantillons qui serait en cause, les forts taux de dents isolées étant dus à la sélection lors des fouilles. De plus, dans ces deux derniers sites, fragments crâniens, disques vertébraux et dents de juvéniles sont représentés. C’est donc à l’abri du Maras que la conservation différentielle est la plus probable, notamment dans le niveau 1 et dans l’ensemble supérieur qui ne renferment aucun de ces restes, ou un seul pour le second (un fragment d’os hyoïde de cheval). La récupération des ossements dans ce site fut systématique et nous avons vu que les taux de destruction osseuse y sont très importants, les plus forts dans le niveau 1 et l’ensemble supérieur (tab. 85). Ces couches ont été déposées sous un climat aride rigoureux (sédiments éoliens), contrairement aux couches inférieures déposées à la faveur d’un réchauffement climatique (sédiments argileux) (Debard, 1988).

Impacts des altérations météorologiques et géologiques sur les assemblages

L’impact des dommages dus à l’intempérisation sur les assemblages des trois principaux gisements (Peyrards, Saint-Marcel et Payre F) est sensiblement le même (fig. 45). La figure 45 nous montre que plus de 80 % des ossements de tous les ensembles appartiennent aux deux premiers stades d’altération. Les ossements plus endommagés (20 % restant), laissent entrevoir, outre des conditions d’enfouissement plus médiocres ou des inégalités des éléments squelettiques et des taxons face aux dommages du temps, une multiplicité de dépôts à des périodes d’occupation différentes. La plupart des ossements ne sont donc pas fissurés ou seulement légèrement. Excepté dans les couches supérieures de Saint-Marcel, partout les proportions d’ossements non fissurés du stade 0/1 sont supérieures à celles des ossements légèrement fissurés du stade 1. L’esquillage, atteint au cours des stades 4 et 5, ne représente qu’un faible pourcentage. Seul l’ensemble F de Payre montre une plus grande proportion d’ossements sérieusement détériorés. L’ensemble inférieur des Peyrards est le mieux conservé de tous. L’enfouissement a donc été relativement rapide pour la grande majorité des vestiges de ces trois grands sites, caractérisés par de bonnes conditions de conservation pré-enfouissement. Dans la plupart des petits gisements, les deux premiers stades de la détérioration (1 et 2) sont plus fréquents que dans les trois gros assemblages. Seuls les ossements du niveau 1 et de l’ensemble supérieur du Maras et ceux des deux assemblages Flandin ont été largement épargnés, appartenant pour plus de 40 % d’entre eux au stade 0/1. Au Figuier, à Balazuc, aux Pêcheurs et dans l’ensemble inférieur du Maras, ce sont les os fissurés qui dominent (stades 1 et ultérieurs).

La dissolution des surfaces osseuses liée à l’action corrosive post-enfouissement des sédiments et des ruissellements est l’une des altérations les plus destructrices avec le concrétionnement. Les gisements les plus atteints (plus de 80 %) sont les Peyrards, le Maras et le Figuier et, pour les deux premiers, de façon aggravée des couches supérieures vers les couches profondes. Respectivement 25 % et 38,9 % des ossements dans les ensembles inférieurs du Maras et des Peyrards sont sérieusement dégradés (s3), rendant leurs surfaces illisibles. De façon générale, dans les autres sites, les restes dissous représentent entre 50 % et 70 % des assemblages et à peu près 5 % seulement le sont au stade 3. Nous avons vu que la dissolution est en grande partie responsable de la desquamation et de l’émoussé des surfaces, altérations généralement liées à la première. Le polissage des reliefs osseux reste cependant partout assez discret, affectant plus de 30 % des ossements seulement dans la couche u de Saint-Marcel, où précisément 62 % sont polis dont 3,6 % sérieusement. Rappelons que les conditions froides et arides rassemblées dans les niveaux würmiens c-d et a des Peyrards et du niveau 1 du Maras, abris par ailleurs largement exposés aux vents, sont favorables à une usure éolienne des ossements, pouvant expliquer une partie des émoussés observés.

Quant à la desquamation, elle est plus ravageuse, parvenant quasiment aux mêmes proportions que les plages de dissolution.

L’autre action indirectement liée à l’eau est le concrétionnement des restes. Quant elle est recouvrante (c3), cette altération empêche notre analyse. Toutefois, excepté au Figuier où 8,7 % des restes sont illisibles, ce stade avancé concerne moins de 5 % des autres séries. Les concrétions sont largement présentes (aux environs de la moitié et plus) dans les ensembles supérieur a et inférieur des Peyrards, à Payre, dans l’ensemble inférieur du Maras et la couche 2-3 de Balazuc. Dans les couches supérieures de Saint-Marcel et des Peyrards, aux Pêcheurs, dans l’ensemble supérieur du Maras et le niveau 1 de Balazuc, les restes concrétionnés représentent aux alentours de 20 % du nombre de restes. Enfin, les échantillons de la couche u de Saint-Marcel, de la Baume Flandin et du niveau 1 du Maras en renferment très peu, de l’ordre de 5 %, allant même jusqu’à 0 % pour le dernier.

Glissements de terrain pour la couche 3 de Flandin, sans doute légère réptation pour les couches supérieures de Saint-Marcel et piétinements aux Pêcheurs et à Balazuc sont les causes des proportions assez élevées de stries aléatoires dans ces quatre gisements, autour de 10-20 %, contre seulement 6 % et moins pour les autres.

Les empreintes de racines ont été seulement très recouvrantes aux Peyrards et à l’abri du Maras. Avec la dissolution, ce sont les dommages qui ont le plus entravé notre analyse archéozoologique dans ces deux sites.

Enfin, si les colorations ont pu parfois être un réel obstacle à la reconnaissance des os brûlés, leur action ne gêne en rien la bonne lecture des modifications de surface telles que les marques de dents ou les stries de boucherie. A Balazuc,le dioxyde de manganèse, très répandu, s’est vite révélé trompeur vis à vis des ossements carbonisés. Dans d’autres sites ce sont les oxydes de fer qui ont pu nous induire en erreur pour ce qui est des premiers stades de chauffe.

Responsabilité des différents prédateurs dans les modifications de surface

Les pourcentages obtenus dans les chapitres précédents en ce qui concerne les modifications de surface observées (agents biologiques) permettent de discerner à ce stade trois grands types de sites en fonction de la part accordée aux divers agents responsables des accumulations :

• Le premier regroupe ceux pour lesquels l’action de l’homme est plus discrète que celle des Carnivores, il s’agit des sites des Pêcheurs et de Balazuc. Dans ces deux sites les loups sont les principaux prédateurs.
• Viennent ensuite les sites où l’action de l’homme (stries de boucherie) est observable sur moins de 14 % des ossements et celles des Carnivores dans des proportions non négligeables, jusqu’à 10 %, c’est le cas de l’ensemble inférieur des Peyrards et des deux niveaux de Flandin et du Figuier.
• Enfin, le dernier regroupe les trois ensembles du Maras, associés aux trois gros gisements de Saint-Marcel, des Peyrards (ensemble supérieur) et de Payre, qui comptent des pourcentages en restes striés largement plus importants (supérieurs à 14 %) que ceux présentant des traces de dents de Carnivores (partout inférieurs à 6 %).

Types d’investigations et conditions de conservation

La représentativité des séries s’évalue non seulement selon l’impact qu’ont eu sur les assemblages les différentes altérations que nous venons d’évaluer, mais également selon les modes d’investigations (méthodes de fouilles, surfaces fouillées) et les conditions de conservation après la mise au jour des vestiges. Les échantillons qui offrent les méthodes et les surfaces de fouilles les plus garantes de la bonne représentativité des dépôts osseux sont ceux des sites de la grotte de Saint-Marcel, de la grotte de Payre (ensemble F) et du niveau 1 de l’abri du Maras. Viennent ensuite les sites qui, du fait de l’insuffisance des surfaces fouillées, ont livré des assemblages trop restreints pour nous permettre de valider nos interprétations. Il s’agit de l’abri du Maras (ensembles supérieur et inférieur), de la grotte des Barasses à Balazuc, de la Baume Flandin (couche 3 : campagne 2005), de l’abri des Pêcheurs (campagne 2005) et du Ranc Pointu n° 2. Enfin, les autres sites fournissent un matériel osseux dont l’intégrité des échantillons est inégale soit du fait d’investigations non exhaustives, c’est le cas de la Baume des Peyrards (sélection des ossements déterminables à la fouille pour l’ensemble supérieur indéterminé et non-localisation des esquilles pour toute la séquence), du niveau moustérien de la salle à la Baume Flandin et de la grotte du Figuier (sélection des ossements déterminables à la fouille), soit du fait de mauvaises conditions de conservation une fois les ossements mis au jour, c’est le cas de la Baume d’Oullens et à nouveau de la grotte du Figuier (éparpillement des collections, pertes, cassures, etc…).