Impacts de la fragmentation

La compaction par les sédiments opérant sur des ossements déjà fragilisés par des fissures liées à l’intempérisation et à l’alternance des phases de gel/dégel a fragmenté les stocks osseux initiaux, créant dans des proportions diverses des fractures sur os sec.

De l’analyse des trois grands assemblages osseux, nous pouvons relever quelques similarités et/ou différences dans leur degré de fragmentation. Tout d’abord, l’ensemble F de Payre se distingue particulièrement par ses faibles taux de détermination, oscillant autour de 5-6 %, tandis que dans les deux autres sites les proportions de restes déterminés sont plutôt de l’ordre de 20 % du total des assemblages. Les restes post-crâniens sont partout environ trois fois plus nombreux que les restes crâniens. Dans les trois gisements, la fragmentation des diaphyses d’os longs observe le même état de concassage, à savoir une supériorité des restes inférieurs ou égaux au quart de la longueur diaphysaire initiale (plus de 80 %) et inférieurs à la moitié de la circonférence d’origine (plus de 90 %). Les os longs entiers sont toujours extrêmement rares. L’intensité de la fragmentation est la plus forte dans l’ensemble F de Payre, mettant en évidence la prééminence des petits fragments indéterminables ≤ 2 cm, et ce dans tous les niveaux. Ce degré de fragmentation se retrouve également dans la couche u de Saint-Marcel ainsi que dans l’ensemble b des Peyrards. Excepté dans l’ensemble inférieur des Peyrards, les longs fragments diaphysaires étroits (L2-4/C1) sont partout égaux au quart du nombre total de diaphyses d’os longs, les petits fragments fins (L0-1/C1) étant majoritaires. Pour ce qui est des épiphyses, leur présence est plus importante à Payre et dans la couche u de Saint-Marcel (variant autour de 20 % du nombre total d'os longs) qu’aux Peyrards et que dans les ensembles supérieurs de Saint-Marcel où elles représentent respectivement environ 10 % et 4-5 %. A Payre et à Saint-Marcel elles sont intensément fracturées puisque les pourcentages d’épiphyses complètes évoluent seulement entre 15 % et 20 %. Dans l’ensemble supérieur des Peyrards, elles sont mieux conservées, étant donné qu’à peu près le tiers d’entre elles a été retrouvé entier. L’ensemble F de Payre est le seul assemblage ayant fourni des taux de fragments présentant des fractures sur os sec supérieurs à ceux présentant des fractures sur os frais. Ces derniers représentent néanmoins plus de 60 % des ensembles osseux Fa, Fb et Fc-d, ce qui n’est pas négligeable. A Saint-Marcel et aux Peyrards, les proportions en fragments fraîchement fracturés dépassent même 70 %. Pour ce qui est des fragments avec fractures sur os sec, les taux augmentent généralement des niveaux superficiels vers les niveaux profonds. Ils comptent un peu plus du tiers des échantillons aux Peyrards, les deux-tiers pour Payre, tandis qu’ils varient plus à Saint-Marcel, passant de 31,3 % à 60,9 % des couches supérieures à la couche u.

Au vu des données de ces trois principaux gisements, une origine exclusivement post-dépositionnelle du concassage, comme c’est le cas dans les sites de Sarrians et Bezouce (Mahieu & Villa, 1991), n’est pas envisageable. Exception faite de l’ensemble F de Payre, à Saint-Marcel et aux Peyrards, bien qu’intempérisation, gélifraction et compaction aient leur part de destruction (cf. pourcentages donnés plus haut), l’essentiel s’est opéré de façon synchronique aux dépôts. Dans ces deux sites, du fait de la déficience en traces laissées par les Carnivores et de l’abondance des stries de boucherie sur les surfaces osseuses, l’homme apparaît comme étant le premier agent responsable de la fracturation, et de fait comme le principal accumulateur d’ossements (chp. 3.3.2.2. et 3.3.2.3.). Pour l’ensemble F de Payre, où la part des Carnivores dans l’assemblage est plus importante (chp. 3.3.2.2.), nous discuterons dans le chapitre 4.2. d’autres critères permettant d’identifier l’acteur principal de l’agglomérat osseux et de la fracturation.

De tous les petits sites ardéchois, l’abri du Maras est celui qui rejoint le plus le type de fragmentation que l’on a découvert dans les précédents gisements des Peyrards et de Saint-Marcel (Payre faisant exception du fait de ses taux plus faibles en fractures sur os frais et plus élevés en os entiers) : fragmentation intensive (abondance de fragments ≤ 2 cm et majorité de fragments de taille ≤ au quart de Li et de circonférence < à la moitié de Ci) ; taux non négligeables (aux environs de 15-20%) en longs fragments diaphysaires étroits (L2-4/C1) et majorité de petits fragments étroits (L1/C1) ; faibles rapports épiphyse/diaphyse ; majorité d’épiphyses fragmentées ; supériorité des fractures sur os frais sur les fractures sur os sec. Mis à part le niveau moustérien de l’intérieur de la grotte à Flandin, dans tous les autres gisements, les ossements fragmentés après leurs dépôts sont équivalents ou plus nombreux que ceux fraîchement fracturés, dépassant même les 60 % dans le niveau 2-3 de Balazuc et dans la couche 3 de Flandin, rejoignant en cela l’ensemble F de Payre. Pour ce qui est du degré de fragmentation, le décompte de la totalité des fragments osseux à Balazuc met en évidence un concassage intensif responsable, pour environ 80 % de la catégorie L0 et environ 50% et plus des restes diaphysaires supérieurs à 2 cm (L1-4), d’une fragmentation sur os sec, et pour 21,8 % de L0 et 30,6 % d’une fracturation sur os frais. Pour le même degré de fragmentation atteint au Maras, les cassures post-dépositionnelles concernent également plus de 80 % des petits fragments (L0) mais seulement 33,3 % à 58,3 % des ossements supérieurs à 2 cm (L1-4) et la fracturation sur os frais est beaucoup plus répandue pour la catégorie L1-4, allant jusqu’à 91,3 % de l’assemblage dans le niveau 1. Pour les autres gisements, les ossements inférieurs ou égaux à la moitié de Li et de Ci sont prépondérants. Ce qui individualise définitivement la fragmentation de l’abri du Maras par rapport à celle des autres petits gisements, c’est la pénurie en os entiers (moins de 5 % du squelette post-crânien) et en épiphyses (autour de 10 % et moins), rapprochant une fois de plus ce site de Saint-Marcel et des Peyrards. Dans les autres assemblages, la présence de quelques cylindres, de pourcentages d’os entiers oscillant entre 14 % et 48 %, et une présence importante d’épiphyses au sein des os longs d’herbivores (22 % à 52 %), excluent l’hypothèse d’une fracturation systématique des stocks osseux, minimisant ainsi l’impact des hommes.