Spectres fauniques, paléoenvironnements et biostratigraphie

La diversité des espèces représentées dans les gisements archéologiques nous apporte des données sur les paléoclimats et les paléoenvironnements présents à l’époque du passage des hommes et quelquefois même sur la chronologie des niveaux. Le principal biais de ces associations fauniques mises au jour en contexte archéologique est la sélection exercée par les chasseurs sur la diversité des animaux présents à l’état naturel. Par exemple, comme le précisent F. Delpech et al. (1983), les Carnivores et les grands herbivores tels que rhinocéros et éléphants sont fréquemment sous-représentés. C’est pour cette raison, et ceci vaut aussi pour les gisements paléontologiques, que nous ne ferons aucune interprétation paléoenvironnementale ou biostratigraphique à partir de la seule absence d’une espèce, seules les présences pourront nous apporter des indications climatiques et chronologiques (Guérin, communication orale). Toutefois, des changements climatiques peuvent faire se rencontrer certains herbivores vivant généralement dans des aires géographiques et climatiques nettement distinctes. C’est ainsi que nous pouvons rencontrer par exemple dans certaines couches des associations fauniques rassemblant rennes, cerfs, sangliers et bouquetins. Ceci dit, nous n’avons pas négligé pour autant les informations offertes par les ensembles fauniques tout en discutant leur valeur significative dans certains cas. Nous avons vu que cette étude se concentre essentiellement sur les restes de moyens et grands herbivores et Carnivores (excepté pour l’ensemble F de Payre), toutefois certains sites ont bénéficié de la détermination des petits mammifères tels que les Léporidés, les Mustélidés, les Castoridés et même parfois de celle d’oiseaux (Flandin) ou de reptiles (Peyrards). Ces espèces peuvent quelquefois apporter des compléments d’indications paléoenvironnementales que nous avons pris en compte.

Dans le Pléistocène supérieur du Sud-Ouest de la France, F. Delpech et al. (1983) distinguent trois grands groupes paléoenvironnementaux, dominants, selon les périodes, les faunes d’Ongulés :

  1. Groupe de milieu ouvert arctique dans lequel le renne prédomine et où figurent souvent dans les régions de plaine, le bouquetin et le chamois.
  2. Groupe de milieu ouvert non arctique : prairies, steppes herbeuses, steppes sèches. Il comprend l’aurochs, le cheval, le bison des steppes et l’antilope saïga. Lorsque ce groupe domine, le taux de boisement n’est jamais très élevé. Généralement, la présence de l’antilope saïga exclut celle de l’aurochs.
  3. Groupe de milieu boisé à cerf, chevreuil et sanglier. Chevreuil et sanglier ne sont pas toujours présents aux côtés du cerf mais l’accompagnent presque toujours lors des optimums climatiques.
  4. En ce qui concerne le matériel dont j’ai disposé, le premier groupe est quasiment inexistant. J’ai donc ajouté à ces trois catégories une quatrième, appelée « groupe rupicole », désignant les faunes à milieux rocheux escarpés (bouquetins, tahrs et chamois ; cf. Griggo, 1995).

Lorsque ces associations ont pu être reconnues, elles ont servi à nous donner des indications sur l’environnement qui régnait aux alentours des gisements fréquentés.

En ce qui concerne les Carnivores, bien que pour la plupart ubiquistes, l’étude de plusieurs paramètres éco-éthologiques propres aux espèces présentes dans le site paléolithique moyen de la Caverna delle Fate (Ligurie occidentale, Italie) a permis à M.-P. De Marchi (2003) de circonscrire trois grands groupes. Tout d’abord les Carnivores au comportement social solitaire et pratiquant une chasse à l’affût suggérant plutôt un faciès forestier. C’est le cas selon l’auteur des ours bruns, des chats sauvages, des lynx, des renards, des léopards et des martres. Viennent ensuite les Carnivores à mœurs grégaires, pratiquant la prédation par poursuite, qui exprimeraient un milieu plus ouvert. Il s’agit des grands Canidés, loups et dhôles. Et enfin, le dernier groupe comprend l’hyène et le lion, qui évoquent un faciès encore plus ouvert de prairie à hautes herbes parsemées de bouquets d’arbres.

Pour le site de la BAUME DES PEYRARDS, comme nous l’avons vu dans le chapitre 2.1.5., les déterminations de S. Gagnière avaient permis à H. de Lumley de regrouper l’assemblage faunique en quatre grands ensembles chronologiques. Plus tard, les déterminations de C. Rambert (2000) et d’E. Crégut-Bonnoure (2004) permirent de rectifier certains aspects de cette première évolution biostratigraphique. L’espèce Canis lupus devient Cuon alpinus europaeus et, comme le sanglier, le chevreuil disparaît complètement du Würm II, alors qu’il apparaissait encore à cette période, bien que discrètement, dans la liste de S. Gagnière. En revanche, la prépondérance du bouquetin tout au long de la séquence, y compris au cours du Würm I, est confirmée et les deux analyses s’accordent aussi pour évoquer un refroidissement climatique au cours de la seconde période du Würm ancien, dans les niveaux supérieurs (couches supérieures 9 à 2).

Mon étude couplée du matériel des fouilles de M. Deydier & F. Lazard, présent au Musée Requien d’Avignon et déterminé par E. Crégut-Bonnoure et C. Rambert, ainsi que de celui des fouilles de H. de Lumley, présent au laboratoire de Tautavel (CERP) et déterminé en partie par C. Rambert, m’a permis d’obtenir, en collaboration avec A.-M. Moigne, N. Boulbes et A. Testu du laboratoire de Tautavel (CERP), une liste faunique générale identique à celle établie par C. Rambert et E. Crégut-Bonnoure (in Crégut-Bonnoure, 2004 ; tab. 97) – renard commun (Vulpes vulpes), dhôle (Cuon alpinus europaeus), ours brun (Ursus arctos), blaireau (Meles meles), hyène (Crocuta spelaea), lynx des cavernes (Lynx spelaea ; photo 36), cheval (Equus cf. germanicus), hydruntin (Equus hydruntinus), sanglier (Sus scrofa), cerf élaphe (Cervus elaphus ; photo 37), chevreuil (Capreolus capreolus ; photo 38), aurochs (Bos primigenius), bouquetin alpin (Capra ibex ; photo 39), chamois (Rupicapra rupicapra ; photo 40), lapin (Oryctolagus cuniculus), taupe (Talpa europaea), et marmotte (Marmotta marmotta) – sauf pour les restes de blaireau des niveaux du Würm I (couche 17) et de l’hyène, non positionnée stratigraphiquement (Rambert, 2000), que nous n’avons pas retrouvée dans nos séries. L’intérêt paléoenvironnemental de cette étude réside essentiellement dans la quantité de restes étudiés, accentuant sérieusement le NRDt et le NMI des études précédentes et dans quelques modifications dans les associations fauniques des différents dépôts (tab. 98 et 99 ; fig. 122 à 131). Notons aussi que les restes de lapins sont très abondants dans ce gisement et qu’une étude archéozoologique des ossements de ce petit mammifère, non réalisée à ce jour, serait très intéressante du point de vue des habitudes alimentaires des Néanderthaliens.

L’ensemble inférieur compte seulement 68 restes déterminés taxonomiquement contre plusieurs centaines issues de l’ensemble supérieur. Néanmoins, cet échantillon se révèle plus fourni que ceux antérieurs, permettant de mettre en évidence un spectre faunique en NRDt d’herbivores plus varié comprenant majoritairement bouquetin et cerf (respectivement 50 % et 35,3 %), suivis du chevreuil, avec 11,8 %, puis du chamois et de l’aurochs, représentant chacun seulement 1,5 % des herbivores. En regard des proportions du nombre d’individus, les écarts s’amenuisent, offrant une répartition identique pour cerfs, chevreuils, aurochs et chamois, à savoir 16,7 % du NMI total d’herbivores (1 seul individu par espèce représentée) et un taux supérieur, de 33,3 %, pour le bouquetin (2 individus). Cette association n’est pas particulièrement révélatrice d’un climat rigoureux comme le suggérait l’étude sédimentologique, bouquetins et chamois représentant les paysages escarpés du Lubéron et cerfs, chevreuils et aurochs un couvert forestier non négligeable. En ce qui concerne les différentes phases de l’ensemble supérieur, on observe une diminution progressive des restes de cerfs au profit des restes de chevaux et de bouquetins, des niveaux du Würm I (ensembles supérieurs a et b) aux niveaux du Würm II (ensemble supérieur c-d). De même, sans être absents, chevreuils et sangliers voient leurs parts respectives nettement diminuées au cours de la dernière phase du Würm ancien (c-d), passant de 4,9 % et 0,5 % dans le niveau a du début du Würm et de 5,5 % et 1,7 % dans le niveau b interstadiaire, à 2,1 % et 0,1 % du NRDt. Ainsi, le réchauffement climatique du niveau b, mis en évidence par des processus sédimentaires, est également attesté par les plus fortes proportions de ces deux ongulés et de celle de l’aurochs (2,1 %), caractéristiques de climats tempérés et humides et de milieux forestiers et semi-forestiers, et enfin par le recul plus prononcé du bouquetin. L’hydruntin, généralement associé à une faune plutôt tempérée et forestière, disparaît complètement du spectre au Würm II. Toutes ces données confirment le refroidissement climatique déjà évoqué dans les analyses précédentes (cf. supra) des niveaux du Würm I (a) et de l’interstade Würm I-II (b) vers les niveaux supérieurs du Würm II (c-d). La présence exclusive de la tortue d’Hermann dans l’ensemble supérieur a, ainsi que celle de la marmotte dans les couches superficielles c-d, corrobore ces données, en donnant pour la première une note tempérée et pour la seconde une note froide. Les spectres fauniques exprimés en NMI, tout en conservant les mêmes indications paléoenvironnementales, atténuent l’importance de ces évolutions. Dans l’échantillon non localisé, le classement des herbivores est similaire, plaçant le bouquetin largement en tête, avec 82,1 % du NRDt des herbivores, suivi du cerf et du cheval (8,1 % et 5,4 %) puis, dans l’ordre, du chevreuil, du chamois, de l’aurochs, de l’hydruntin et du sanglier (2 % ; 1,9 % ; 0,4 % ; 0,08 % et 0,05 %).

Au sein des Carnivores, absents de l’ensemble inférieur, les espèces plutôt forestières représentées par le dhôle, le lynx, le renard et l’ours brun se développent particulièrement au cours de la phase a, disparaissant complètement pour le second dans les couches supérieures les plus rigoureuses (c-d) et pour le troisième à la fin du Würm I et au Würm II (couches b et c-d). Le dhôle, quant à lui, est seulement absent au cours de la phase tempérée du niveau b. Bien mieux représenté en NMI qu’en NRDt, de manière générale l’ordre des Carnivores reste anecdotique, ne dépassant pas 1,9 % de la liste faunique (NRDt).

La faune de la grotte SAINT-MARCEL a fait l’objet d’une étude paléontologique par E. Crégut-Bonnoure en 1982. Celle-ci a abouti à une première liste faunique (tab. 100) – ours des cavernes (Ursus spelaeus), cheval (Equus germanicus), hydruntin (Equus hydruntinus), sanglier (Sus scrofa), cerf (Cervus elaphus ; photo 41), daim (Dama dama ; photo 42), chevreuil (Capreolus capreolus ; photo 43), mégacéros (cf. Megaloceros giganteus), aurochs (Bos primigenius), bouquetin (Capra caucasica), tahr (Hemitragus cedrensis ; photo 44) et chamois (Rupicapra rupicapra) – ainsi qu’aux interprétations paléoenvironnementales et biostratigraphiques décrites dans les chapitres 2.2.4. à 2.2.6. (Crégut-Bonnoure, 1982 ; Crégut-Bonnoure in Defleur et al., 2001). L’analyse archéozoologique du matériel osseux que j’ai entreprise en 2002 comprend les fragments indéterminables coordonnés et les fragments issus du tamisage systématique. Sans modifier cette première liste faunique, cette étude m’a notamment permis de majorer le nombre des restes déterminés de 1982, dans un premier temps pour l’ensemble 7 (tab. 101 ; fig. 132 et 133), puis dans un deuxième temps pour tous les autres ensembles archéologiques (tab. 102 et 103, fig. 134 à 139).

L’analyse de la faune de l’ensemble 7 avait mis en évidence un climat tempéré et humide dans un environnement forestier entrecoupé de prairies et de roches escarpées grâce à l’association de cerfs, de chevreuils, de bouquetins, de sangliers, d’hydruntins, d’aurochs, de mégacéros et de daims (fig. 132 et 133, Crégut-Bonnoure, 1982 ; Daujeard, 2004). Grâce à la présence du bouquetin du Caucase, E. Crégut-Bonnoure (in Defleur et al., 2001) estime cet ensemble 7 plus récent que le dernier interglaciaire, le situant lors d’un interstade tempéré du Würm ancien (I ou II). La présence d’une petite forme de cerf (cf. Cervus elaphus simplicidens) dans la couche g et d’un cerf de grande taille dans les couches sous-jacentes h, i et j (Crégut-Bonnoure, 1982 ; Daujeard, 2003) pourrait témoigner en effet d’une période de réchauffement climatique qui aurait favorisée cette diminution de taille. Nous disposons par ailleurs d’une indication biostratigraphique plus précise fondée sur l’attribution chronologique d’autres sites où a été reconnu ce petit cerf (Combe-Grenal, Adaouste et Madonna dell’Arma) dans lesquels les niveaux sont attribués au début du Würm ancien inférieur. Toutefois, comme nous l’avons vu (chp. 2.2.5.), en l’absence de datations absolues ces données nous permettent seulement d’attribuer cet ensemble 7 à une phase tempérée du Würm ancien (stades isotopiques 4 et 3).

Au vu de l’analyse faunique conduite sur les autres ensembles de ce gisement, il apparaît que les couches supérieures et inférieures à l’ensemble 7 (a à f et k à t) ne se distinguent pas particulièrement par leur liste d’espèces (fig. 134 à 139). Tout au plus, nous observons une diminution dans les couches inférieures de la proportion de restes de cerf au profit du daim, tendance qui s’accentuera très nettement dans la couche u. Chevreuils, bouquetins du Caucase, mégacéros et cheval accompagnent partout, en moindre quantité, le cerf. Toujours en ce qui concerne les herbivores, nous pouvons également noter que le daim disparaît dans les couches supérieures et que le sanglier et l’aurochs ne sont quant à eux présents que dans l’ensemble 7. E. Crégut-Bonnoure déterminait en 1982 deux restes de chamois dans la couche l (ensemble inférieur) que je n’ai pas retrouvé dans les séries étudiées. Pour ce qui est des autres ordres, aucun Carnivore n’est présent dans ces couches et seuls un reste d’aigle (une troisième phalange, photo 45) et un autre reste d’oiseau indéterminé s’ajoutent aux restes d’herbivores. Quant aux proportions, le cerf est toujours largement dominant, supérieur à 80 % du NRDt des herbivores dans l’ensemble 7 et les couches supérieures et égal à 61,8 % dans les couches inférieures. Vient ensuite le chevreuil, en proportions équivalentes dans l’ensemble 7 et les couches supérieures (9,1 % et 8,3 %) et plus largement représenté dans les couches inférieures (15%), dans lesquelles le daim et les Equidés prennent aussi de l’importance avec 10,4 % et 7,6 % du NRDt. Les autres espèces sont plus exceptionnelles, présentes seulement par moins d’une dizaine de restes.

La couche u se différencie clairement des autres couches, particulièrement par la prépondérance du daim sur le cerf, qui devient une espèce secondaire, au même titre que le chevreuil. Ces trois espèces représentent respectivement 63,9 %, 17,3 % et 15,1 % du NRDt des herbivores. Mais cette couche se particularise aussi par sa liste faunique, à laquelle il faut ajouter de nouvelles espèces comme l’ours des cavernes, le tahr et un Rhinocérotidé indéterminé (fragment d’émail). On retrouve par ailleurs l’aurochs et le sanglier (ce dernier n’est présent que dans la liste d’E. Crégut-Bonnoure, 1982), absents des couches supérieures et inférieures. Toutes ces nouvelles espèces restent très rares, leur taux ne dépassant pas 1,6 % du NRDt total. A cette liste, il faut ajouter également le bouquetin du Caucase, équivalant à 1,8 % du NRDt des herbivores.

Exprimées en NMI, les espèces secondaires sont surestimées aux dépens du cerf, moins largement représenté. Dans les couches inférieures, celui-ci perd même sa prépondérance sur les autres herbivores. Il en va de même pour le daim dans la couche u. Par ailleurs, dans cette dernière, la proportion de cerf se démarque plus nettement de celle du chevreuil, passant des 17,3 % et 15,1 % du NRDt aux 25 % et 12,5 % du NMI des herbivores.

L’abondance du daim dans la couche u, associée à une liste faunique caractéristique de milieu tempéré et forestier, atteste d’une période climatique très favorable. L’étude paléontologique de la faune ayant permis d’identifier le tahr, Hemitragus cedrensis, E. Crégut-Bonnoure (in Defleur, 2001) associe la couche u au dernier interglaciaire et plus précisément au stade isotopique 5e. C’est en effet au cours du dernier interglaciaire (Riss-Würm) que l’on assiste à la raréfaction du tahr, dont la disparition sera effective au début du Würm ancien dans le Sud-Est de la France. C’est justement au cours de cette période que prend place l’immigration du bouquetin du groupe du Caucase (Brugal & Crégut-Bonnoure, 1994).

Dans l’ensemble F de PAYRE, je n’ai effectué que l’étude des restes d’herbivores. j’ai bénéficié pour l’identification de ces derniers, d’une part d’un premier regroupement par famille des restes déterminés effectué par les membres du laboratoire d’archéozoologie de l’Institut de Paléontologie Humaine du Muséum National d’Histoire Naturelle et d’autre part de leur liste faunique livrant le nom de chacune des espèces présentes (tab. 104 ; Auguste et al., in Moncel et al., soumis 2006) : ours des cavernes (Ursus spelaeus), ours brun (Ursus arctos),dhôle (Cuon sp.), loup (Canis lupus), renard (Vulpes vulpes), lion des cavernes (Panthera (Leo) spelaea), panthère (Panthera pardus), chat (Felis silvestris), lynx (Lynx sp.), hyène (Crocuta spelaea), blaireau (Meles meles), marte (Martes martes), Proboscidien indéterminé, rhinocéros de prairie (Dicerorhinus hemitoechus), rhinocéros de Merck (Dicerorhinus mercki), cheval (Equus sp.), cerf (Cervus elaphus ; photo 46), daim (Dama dama), chevreuil (Capreolus capreolus), tahr (Hemitragus bonali), chamois (Rupicapra rupicapra), sanglier (Sus scrofa ; photo 47), castor (Castor fiber), lièvre (Lepus sp.) et lapin (Oryctolagus cuniculus). J’ai pu accroître le NRDt des moyens et grands herbivores de la liste faunique de ces premiers travaux (NRDtherb=1193) de 757 restes provenant des centaines de sacs d’esquilles qui ont fait aussi l’objet de mes investigations, ce qui m’a permis d’aboutir à un NRDt total de 1950 (tab. 105). L’attribution des petits Bovidés à l’espèce Hemitragus bonali et de quelques ossements de Cervidés à l’espèce Dama dama a été également préalable à mon travail (Crégut-Bonnoure, in Moncel et al., soumis 2006). C. Guérin m’a permis de distinguer les deux espèces de Rhinocérotidés à partir des restes dentaires dont je disposais.

Cette liste (tab. 104) nous a permis dans un premier temps de nous intéresser aux proportions de Carnivores, très abondants, et d’herbivores. Les premiers représentent 46,8 %du NRDt, contre 52,1% pour les herbivores. D’autres espèces complètent le spectre : le castor, le lièvre et le lapin, avec un taux global de 1,1 % du NRDt. A la dent de castor que j’ai pu déterminer, il faut ajouter neuf autres restes dentaires appartenant à un crâne d’adulte et une phalange proximale. Six restes de lapin (deux humérus, un radius, une phalange proximale et deux dents appartenant à un adulte) et quatre de lièvre (un tibia et trois os de l’autopode appartenant également à un adulte) ont également été identifiés par l’équipe de l’IPH. Parmi les Carnivores, l’ours des cavernes est prédominant, constituant à lui seul 43,1 % du NRDt (986 restes appartenant à au moins 22 individus). Viennent ensuite des prédateurs tels que le loup et l’hyène, respectivement 1,6 % et 0,5 %, puis d’autres espèces en moindre quantité (moins de 0,3 %) telles que le renard, le dhôle, la panthère, le lion des cavernes, l’ours brun, le chat sauvage, le lynx, le blaireau et la marte. Durant la période de remplissage de l’ensemble F, l’habitat fonctionnait encore comme une grotte dans laquelle les ours des cavernes venaient régulièrement hiberner, ce qui explique leur abondance, et où de grands prédateurs y trouvaient également un refuge occasionnel. Tous ces habitants partageaient cet abri en alternance avec les hommes (niveaux intercalés), qui laissèrent de nombreuses stries sur les ossements, témoins de leurs passages (Auguste et al., in Moncel et al., soumis 2006 ; chp. 3.3.2.3.).

Le spectre faunique des herbivores est très varié (fig. 140 à 145), rassemblant un grand nombre d’espèces de différentes familles. Tout au long des trois grands niveaux d’occupation de cet ensemble, la liste faunique ne varie pratiquement pas, si ce n’est par l’absence du chamois, des Proboscidiens et du rhinocéros de prairie dans le niveau archéologique Fb et celle du mégacéros en Fc-d. On trouve donc en F (par odre général d’importance) : du cerf, du cheval, des Grands Bovidés indéterminés parmi lesquels du grand bison des steppes (Bison priscus) et de l’aurochs (Bos primigenius), des Rhinocérotidés tels que le rhinocéros de Merck (Dicerorhinus mercki) et le rhinocéros de prairie (Dicerorhinus hemitoechus), du chevreuil, du tahr, du daim, du sanglier, du chamois, du mégacéros et des Proboscidiens, déterminés comme éléphants antiques (Palaeoloxodon antiquus). Cette liste faunique est synonyme d’un climat tempéré et humide et révèle l’existence de différents biotopes : le milieu forestier des plateaux environnants, illustré par les cerfs, chevreuils, daims, sangliers et rhinocéros de Merck ; les environnements clairsemés de type prairie-parc, révélés par l’aurochs, le rhinocéros de prairie et le mégacéros ; les abords abrupts et rocailleux de la petite gorge de la Payre d’où viennent tahrs et chamois ; et enfin les grandes vallées ouvertes comme celle du Rhône, à quelques kilomètres, habitées par les chevaux et les Proboscidiens. Le castor, présent en Fa, témoigne quant à lui de la présence de cours d’eau à proximité du site (Payre et Rhône). En ce qui concerne les indications biostratigraphiques, le tahr (Hemitragus bonali) donne une limite d’âge située au Riss final (Crégut-Bonnoure & Guérin, in Guérin & Patou-Mathis, 1996). Les deux espèces de rhinocéros apparaissent quant à elles au début du Pléistocène moyen et disparaissent comme de nombreux autres herbivores (mégacéros, bisons, éléphants antiques) à la fin du Pléistocène supérieur. Quoiqu’il en soit, ces données ne vont pas à l’encontre des âges absolus obtenus par les datations U-Th et ESR (Masaoudi et al., 1997) pour G et F, soit des âges échelonnés entre 200 000 et 120 000 ans (stade isotopique 6), ce qui correspondrait plus précisément pour F à la fin de l’avant-dernière glaciation.

Pour ce qui est maintenant des proportions des herbivores obtenues à partir de notre association faunique (tab. 105 et 106 ; fig. 140 à 145), dans les niveaux Fa et Fb, le cerf est assez nettement majoritaire en % du NRDt (47,2 % et 44,1 %), ce qui n’est pas le cas pour les niveaux profonds Fc-d où il rivalise avec le cheval, ces deux espèces constituant respectivement 32,3 % et 27,6 % du spectre. Le cheval dans les deux autres niveaux sus-jacents équivaut à environ 10 % du total des herbivores. Les mêmes taux sont observés pour les Rhinocérotidés avec un pic de 13,7 % en Fb. En Fa, Fb et Fc-d, les grands Bovidés (bisons et aurochs confondus) représentent 14,3 %, 22,4 % et 18,8% tandis que les proportions de chevreuils et de daims diminuent des niveaux supérieurs vers les niveaux profonds, passant pour les premiers de 8 % en Fa, à 3,1 % en Fb et à 2 % en Fc-d et pour les seconds de 1,7 % à 0,6 % et à 0,3 %. Le tahr est illustré en quantités similaires en Fa et Fc-d, avec des proportions de 6,7 % et de 5,7 %, tandis qu’il est plus rare en Fb avec 3,7 %. Les principales disparités entre ces trois niveaux tiennent tout d’abord dans l’augmentation importante des chevaux et la diminution des cerfs dans les niveaux profonds, témoignant soit d’un changement climatique favorisant les milieux ouverts aux dépens des forêts (ce qui confirmerait les données sédimentologiques, cf. chp. 2.3.4.), soit d’un choix intentionnel de la part des hommes. Par ailleurs, le niveau Fb se distingue nettement des deux autres par l’absence de certains herbivores comme le sanglier, le rhinocéros de Merck, le chamois et les Proboscidiens. Les deux premiers amenuisent a priori la part du milieu forestier dans l’environnement, ce qui va de pair avec la diminution du cerf, du daim et du chevreuil. Il est également envisageable de mettre ces absences sur le compte du moindre nombre de restes dans ce niveau. Les données paléoenvironnementales offertes par la sédimentologie traduisent dans le niveau Fb un contexte humide et tempéré et en Fa, un contexte qui reste humide avec un retour du froid. Ce réchauffement en Fb n’est pas remarqué au niveau de l’évolution des ensembles fauniques, qui indique plutôt un repli des milieux boisés et des espèces de contexte tempéré.

Exprimées en NMI, les proportions des espèces majoritaires, cerfs et chevaux, sont écrasées au profit de celles des autres herbivores.

A BALAZUC, les travaux de J. Combier permirent d’établir une première liste faunique qui fut ensuite complétée et précisée, notamment grâce à la reconnaissance du rhinocéros laineux et de la panthère par C. Guérin et à l’attribution du bouquetin à la sous-espèce Capra ibex cebennarum (morphotype des Pêcheurs) par E. Crégut-Bonnoure. Tout en m’appuyant bien entendu sur la variété du spectre ainsi établi, j’ai procédé à la détermination anatomique et taxonomique de chaque reste osseux de l’assemblage de Balazuc (tab. 107 et 108 ; fig. 146 et 147). Le NRDt s’est élevé à 1307.

La liste des Carnivores est assez variée, associant le loup (Canis lupus ; photo 48), l’ours des cavernes (Ursus spelaeus ; photo 49), la panthère (Panthera pardus ; photo 50), le chat sauvage (Felis silvestris), le renard (Vulpes vulpes), la marte (Martes martes) et l’hermine (Mustela erminea). Ces quatre dernières espèces sont plutôt typiques d’environnements forestiers et humides. Quant aux trois premières, leur caractère trop ubiquiste ne nous donne pas d‘indications paléoenvironnementales (Crégut-Bonnoure, in Guérin & Patou-Mathis, 1996).

La liste des herbivores rassemble les espèces rupicoles avec le bouquetin (Capra ibex cebennarum ; photo 51) et le chamois (Rupicapra rupicapra), les espèces forestières illustrées par le cerf (Cervus elaphus ; photo 52), le chevreuil (Capreolus capreolus) et le mégacéros (Megaloceros giganteus ; photo 53), les espèces de prairie-parc avec l’aurochs (Bos primigenius ; photo 54) et les espèces de steppe froide avec le renne (Rangifer tarandus), le cheval (Equus sp.) et le rhinocéros laineux (Coelodonta antiquitatis ; photo 55). Il faut ajouter à cet inventaire le castor (Castor fiber), représentatif de la proximité de la rivière en contrebas et la marmotte (Marmotta marmotta), caractéristique d’un environnement froid. Cette liste témoigne donc de trois biotopes distincts présents au moment des occupations humaines : l’environnement boisé des plateaux et fonds de vallées environnants, le milieu plus escarpé des abords immédiats du site, et le milieu steppique plus ouvert de la haute et moyenne vallée de l’Ardèche et de la vallée du Rhône présente à une dizaine de kilomètres seulement à l’Est. En ce qui concerne le climat, la faune témoigne d’un environnement froid et sec, modéré par la persistance d’environnements forestiers habités par les cerfs et les chevreuils.

Pour ce qui est maintenant de la répartition de ces espèces, les Carnivores représentent 55 % du NRDt dans le niveau 1 et 10 % dans le niveau 2-3 (respectivement 50 et 34 % du NMI). Dans le niveau 1, appelé « niveau à ours » par J. Combier, les ours des cavernes sont largement majoritaires, représentant 47,5 % du NRDt total. Dans le niveau 2-3, ce sont les renards qui sont les Carnivores les plus nombreux, suivis par les ours et les loups, les autres espèces n’apparaissant que de façon très rare. Les herbivores sont largement dominés par le bouquetin qui représente 89,8 % du NRDt des herbivores. Les autres animaux apparaissent en quantité à peu près équivalentes avec, par ordre d’importance, le cerf (4,2 %), le renne (2,1 %), l’aurochs (1,9 %), le cheval et le chamois (0,7 %), le rhinocéros laineux (0,4 %), le chevreuil (0,2 %) et le mégacéros (0,1 %). Exprimés en NMI d’herbivores la distribution de cette association est différente. Le cerf et l’aurochs, les plus importants, ont des taux identiques, ils sont suivis par le renne et le rhinocéros laineux, puis de façon égale, par le cheval, le chevreuil, le mégacéros et le chamois.

Pour la BAUME FLANDIN, la révision de la faune issue des premières fouilles (1954-1957, tab. 109) a permis d’identifier vingt-quatre espèces (tab. 110 et 111 ; Daujeard, in Moncel et al., 2005a ; Crégut-Bonnoure, Daujeard & Boulbes, in Moncel et al., soumis 2007) : ours de Deninger (Ursus deningeri ; photo 56), loup (Canis lupus ; photo 57), renard (Vulpes vulpes), panthère (Panthera pardus), chat (Felis silvestris), lynx (Lynx pardinus), hyène (Crocuta spelaea ; photo 58 et 59), blaireau (Meles meles), loutre (Lutra sp.), cheval (Equus cf. taubachensis ; photo 60), hydruntin (Equus hydruntinus ; photo 61), sanglier (Sus scrofa), cerf (Cervus elaphus), daim (Dama dama), chevreuil (Capreolus capreolus ; photo 62), renne (Rangifer tarandus ; photo 63 et 64), bison (Bison priscus mediator ; photo 65), bouquetin (Capra ibex cebennarum), chamois (Rupicapra rupicapra), castor (Castor fiber), taupe (Talpa sp.), lièvre (Lepus sp.) et lapin (Oryctolagus cuniculus). A cette liste, il faut ajouter la présence du grand tétra (Tetrao urogallus).

La panthère, le renne, le daim et le grand tétra n’avaient pas été reconnus en 1957 (tab. 109, 110 et 111). Le statut du Boviné n’avait pas été précisé : il s’agit de la forme forestière du grand bison des steppes. En ce qui concerne les Equidés, le cheval peut être rattaché avec prudence à la forme éémienne de Taubach sans écarter la possibilité qu’il s’agisse d’une forme de passage à Equus germanicus datant du stade isotopique 4. La présence d’Equus hydruntinus envisagée à l’époque par S. Gagnière est définitivement admise tout comme celle de Rupicapra rupicapra. Le bouquetin est de type alpin et les proportions de l’unique troisième molaire supérieure sont en accord avec la lignée du Capra ibex cebennarum reconnu à l’abri des Pêcheurs (Crégut-Bonnoure, 1992c, 2002, in Moncel et al., 2006; cf. infra). Le spectre faunique de cette couche fouillée dans les années cinquante à l’intérieur de la salle est dominé par les grands et moyens herbivores qui totalisent 78 % du NRDt. Les cervidés (35,2 %) et les équidés (30 %) sont les mieux représentés. Les Carnivores constituent 12,1% du NRDt.

La couche 3 (archéologique) a livré un assemblage osseux qui compte 104 restes déterminés (86 post crâniens et 18 crâniens), dont 13 le sont seulement anatomiquement. La liste des grands mammifères est très semblable à celle des premières fouilles (tab. 109, 110 et 111). Le bouquetin et le sanglier, faiblement représentés dans les fouilles anciennes, sont absents. La loutre et le castor sont par contre de nouvelles espèces pour le site. On remarque enfin chez les Carnivores l’existence de l’ours de Deninger ainsi que celle du lynx, du blaireau et de la loutre. Ces espèces s’ajoutent à la première liste qui rassemblait l’hyène, le loup, le renard, un ours indéterminé et la panthère. Les proportions des différentes espèces sont assez proches de celles des anciennes fouilles. Les seules différences résident dans la plus faible proportion des Equidés (11 %) par rapport aux Cervidés (47 %) et dans la meilleure représentation des Carnivores (24 %).

L’interprétation paléoenvironnementale déduite du groupe des ongulés permet de mettre largement en valeur le groupe forestier (cerf, chevreuil, daim, sanglier), et cela aussi bien pour les anciennes fouilles que pour celles de 2005. Il faut y associer le lynx, la panthère, Bison priscus mediator et le grand tétra. Le chamois et le bouquetin témoignent de l’environnement escarpé des Gorges de l’Ardèche, tandis que le cheval atteste de milieux plus ouverts. Celui-ci correspond à un morphotype tempéré et son association avec Equus hydruntinus est généralement révélatrice de conditions climatiques peu rigoureuses. En définitive, l’assemblage est nettement forestier et tempéré et seule la présence du renne atteste d’une relative fraîcheur.

Quinze taxons sont présents dans les couches 1 et 2 (déblais et partie remaniée de la séquence archéologique intérieure), communs en partie aux autres couches (tab.). La taupe atteste d’une zone à couverture pédologique importante. Quelques restes de chèvre et de lapin récents confirment le remaniement de ces couches superficielles. Les Cervidés dominent le spectre faunique (64,2 %) et le cerf est l’animal le plus abondant avec 55,2 % du NRDt. Les Carnivores ne représentent que 6,7 % du NRDt. L’assemblage témoigne comme précédemment d’un environnement tempéré.

La comparaison des séquences fauniques ne montre pas de différences notables entre l‘assemblage des premières fouilles et celui de la couche 3 et ne permet donc pas de supposer l’existence de deux niveaux d’occupation distincts. Les résultats de l’analyse palynologique sont difficilement interprétables faute de pollens en nombre suffisant. Les grands mammifères constituent un groupe forestier dominant composé de cerfs, chevreuils, daims, sangliers, panthères, lynx et bisons (forme forestière). L’existence de daim rapproche l’assemblage de celui de la couche u de Saint-Marcel, de la couche XV de Moula et de la couche H du Bau de l’Aubesier, datées elles aussi de l’Eémien. Dans ce dernier site, se trouve aussi Equus taubachensis. Cependant, la présence de bouquetin alpin, en lieu et place du bouquetin du Caucase que l’on observe dans ces trois derniers sites, se situant dans la lignée du Capra ibex cebennarum du Würm ancien, permet clairement de corréler Flandin à la fin de la phase IIb de l’abri Moula, c’est à dire à la fin du stade 5e (Crégut-Bonnoure, Daujeard & Boulbes, in Moncel et al., soumis 2007).

Pour ce qui est des spectres fauniques exprimés en NRDt d’herbivores (fig. 148 et 149), les Equidés sont mieux représentés dans les couches des fouilles anciennes que dans la couche 3 de 2005 avec 38,8 % contre 18,2 % et ceci au profit du cerf et du chevreuil. Ces deux espèces passent de 38 % et 3,9 % dans les couches anciennes à 52,7 % et 20 % dans la couche 3. Daims et rennes augmentent aussi, de 2,3 % et 0,8 % à l’intérieur de la grotte, à 3,6 % et 1,8 % dans l’échantillon de la terrasse. En revanche, comme pour les chevaux, le bison est également en régression entre les anciennes et les nouvelles fouilles, de 9,3 % à 3,6 %. Comme on l’a vu, bouquetins et sangliers, rares dans la grotte, sont absents de la couche 3. Exprimé en NMI (fig. 150 et 151), l’aurochs est beaucoup mieux représenté au sein des couches anciennes, équivalant presque aux taux du cerf, précisément 15,6 % pour le premier et 18,8 % pour le second. Dans la couche 3, c’est le daim qui voit ses proportions augmenter, atteignant celles du chevreuil avec 16,7 %.

A l’abri du MARAS, la liste faunique que j’ai pu établir est la suivante (tab. 112 et 113) : cheval (Equus cf. germanicus), hydruntin (Equus hydruntinus), sanglier (Sus scrofa), cerf (Cervus elaphus), chevreuil (Capreolus capreolus), renne (Rangifer tarandus ; photo 66), bison (Bison priscus) et bouquetin (Capra ibex). Les trois grands ensembles étudiés ne livrent aucun reste de Carnivore. Pourtant un reste de loup avait été signalé par J. Combier (1967) dans le niveau 3 (ensemble supérieur ; tab. 3). Par ailleurs, mes résultats confirment les interprétations paléoenvironnementales énoncées par J. Combier (1967), E. Debard (1988) et M. Patou-Mathis (in Moncel et al., 1994), à savoir un refroidissement accentué des niveaux profonds vers les niveaux supérieurs et une diminution de l’espace forestier au profit des paysages steppiques plus ouverts (fig. 152 à 157). Dans le niveau 1, le renne, le bison et le cheval sont les trois espèces prépondérantes ; puis dans l’ensemble supérieur sous-jacent, seuls le renne et cheval dominent. Dans les niveaux profonds le renne est remplacé par le cerf à côté des chevaux. Dans ces niveaux, la rareté du renne est en effet associée à l’augmentation du cerf et du cheval ainsi qu’à la disparition du bison. Le sanglier apparaît également seulement dans l’ensemble inférieur. Le grand nombre de fragments de diaphyses dépourvus d’extrémités a compliqué la distinction spécifique des deux grands Cervidés, accordant une place trop importante à la catégorie « Cervus/Rangifer ». En ce qui concerne les biotopes révélés par la liste des herbivores, ils regroupent milieux boisés (cerfs, chevreuils et sangliers) et espaces ouverts (rennes, bisons et chevaux). Les premiers dominent dans les niveaux profonds pour reculer au fur et à mesure du refroidissement dans l’ensemble supérieur et le niveau 1.

L’association du renne et du cheval dans l’ensemble supérieur corrobore donc les interprétations biostratigraphiques et paléoenvironnementales antérieures (Combier, 1967, Debard, 1988, Patou-Mathis in Moncel et al., 1994), à savoir une phase climatique rigoureuse et aride du stade isotopique 4 dans un environnement plutôt steppique. L’attribution de ces niveaux au Würm II par J. Combier du fait de la présence du renne, puis par E. Debard du fait de leur aridité, reste cependant à vérifier par des datations absolues. Quant à l’ensemble inférieur, la présence majoritaire du cerf, ainsi que celle, ponctuelle, du chevreuil et du sanglier, apporte une note tempérée au climat et témoigne d’un environnement plus boisé que celui évoqué par la faune des niveaux supérieurs. Cette liste faunique va donc dans le sens des datations U-Th effectuées dans le niveau archéologique 5 (Moncel & Michel, 2000), le situant entre la fin du stade isotopique 5 et le début du stade isotopique 4, soit entre 70 et 90 ka. L’association faunique des niveaux profonds (6 à 8) indiquerait alors une phase de réchauffement qui pourrait correspondre à une période plus tempérée de la fin du dernier interglaciaire. M. Patou-Mathis avait déjà évoqué cette possibilité en 1994.

Aux PECHEURS, la liste faunique établie à partir de la campagne 2005 révèle la présence importante des Carnivores, ils représentent presque un tiers de l’ensemble faunique exprimé en NRDt (tab. 114 et 115 ; fig. 158 et 160). Au sein de cet ordre, deux espèces principales sont représentées par 11,4 % du NRDt : l’ours des cavernes (Ursus spelaeus), venu hiberner dans la grotte, et le loup (Canis lupus ; photo 67), ayant utilisé la grotte comme tanière ou comme garde-manger. Les nombreuses traces de crocs laissées sur les ossements d’herbivores en témoignent. Le loup est représenté par quatre individus, tandis qu’un seul individu est décompté pour l’ours des cavernes. En plus du loup, l’hyène (Crocuta spelaea) et le renard (Vulpes vulpes) complètent le groupe des carnassiers. 68,2 % des espèces appartiennent au groupe des herbivores. Ce dernier est largement dominé par le bouquetin avec 90 % (photo 68). L’étude d’E. Crégut-Bonnoure sur le bouquetin des Pêcheurs a permis d’établir le « morphotype dentaire » des Pêcheurs qui en fait le plus ancien de la lignée alpine du Würm. Il appartient à la sous-espèce Capra ibex cebennarum qui date du Würm ancien (Crégut-Bonnoure, 1992c, 2002, in Moncel et al., 2006). Vient ensuite la famille des Cervidés représentée par le cerf (Cervus elaphus), le renne (Rangifer tarandus) et le chevreuil (Capreolus capreolus). Cette variété d’herbivores illustre essentiellement la topographie locale, regroupant espèces rupicoles pour le bouquetin, vivant dans les reliefs accidentés des gorges du Chassezac, et espèces forestières pour le cerf et le chevreuil, peuplant les plateaux boisés surplombant le site. Seul le renne atteste de milieux plus ouverts, présents à moins d’une vingtaine de kilomètres du site (haute et moyenne vallées de l’Ardèche et vallée du Rhône). Le voisinage du cours d’eau en contrebas de la grotte est illustré par les nombreux restes de poissons découverts au tamisage et par la présence du castor (Castor fiber). Des ossements appartenant à de gros oiseaux indiquent que la grotte a pu servir de nichoir à certains rapaces.

A la grotte du FIGUIER, la centaine d’ossements provenant des niveaux moustériens présents au Musée d’Orgnac met en évidence une faune de climat plutôt froid et aride, avec une prédominance de rennes (Rangifer tarandus), de chevaux (Equus sp.), de bouquetins (Capra ibex) et de bisons (Bison priscus ; photo 69) (tab. 114 et 115 ; fig. 159 et 161). D’autres espèces plus rares, telles que le cerf (Cervus elaphus) et le sanglier (Sus scrofa) attestent néanmoins d’un climat modérément froid par la présence de milieux boisés. Le chamois (Rupicapra rupicapra), quant à lui, illustre le même biotope que le bouquetin, à savoir les milieux rocheux des gorges de l’Ardèche. La vallée du Rhône, qui se situe à moins de dix kilomètres de l’ouverture de la grotte (sortie des gorges), illustrerait l’environnement ouvert favorable aux troupeaux de rennes, chevaux et bisons. Les Carnivores représentent 22,6 % du NRDt. L’ours des cavernes (Ursus spelaeus) est prédominant (20,3 %), suivi en quantité égale (1 seul reste) par l’hyène (Crocuta spelaea), le loup (Canis lupus) et le renard (Vulpes vulpes).

Au RANC POINTU n° 2, la faune (une trentaine de restes) est tout à fait différente de celle du Figuier (tab. 116). La présence du cerf (Cervus elaphus), du chevreuil (Capreolus capreolus) et du bouquetin (Capra ibex) met en évidence un environnement plus tempéré et humide conduisant à une couverture forestière plus étendue.

Les quelques rares restes (tab. 116) provenant des niveaux moustériens de la BAUME D’OULLENS ont permis de reconnaître des espèces caractéristiques de climats froids et sec et de milieux ouverts et escarpés comme le bouquetin (Capra ibex), le cheval (Equus sp.) et le renne (Rangifer tarandus).