Part des accumulateurs dans la fracturation

Je me suis inspirée, pour l’étude de la fracturation des os, des travaux de plusieurs auteurs, notamment L. R. Binford (1981), P. Shipman (1981) et P. Villa & E. Mahieu (1991).

Comme nous l’avons vu plus haut (chp. 3.4.2.1.), la fracturation sur os frais, caractérisée par une majorité de fractures en spirale à bords lisses, peut être produite par différents agents comme le piétinement, les Carnivores et les hommes (A. J. Sutcliffe,1970 ; Binford, 1981 ; P. Shipman, 1981; Villa & Mahieu, 1991 et Villa & Bartram, 1996). Lors de la Table Ronde sur la taphonomie organisée en novembre 2005 à Toulouse, des ossements actuels fracturés par des loups et des hyènes (collectés par Ph. Fosse) m’ont permis, plus précisément peut-être que ne l’avaient fait les photographies de L. R. Binford (1981), de prendre conscience de toute l’insuffisance qu’il y a à se reposer sur le seul critère de la morphologie des fractures pour reconnaître leur auteur. Cependant, la récupération de la moelle par les Carnivores produit le plus souvent des fragments diaphysaires cylindriques à bords déchiquetés, associés à des morsures (Richardson, 1980 ; Binford, 1981 ; Bunn, 1983), tandis que les os percutés par l’homme produisent généralement des esquilles longitudinales à fractures en spirale pouvant être associées à des points d’impact (Villa & Mahieu, 1991 ; cf. photo 33). R. J. Blumenshine & M. M. Selvaggio (1991) ont démontré qu’environ 30 % des éléments fracturés par un percuteur ont un ou plusieurs points d’impact associés. Ces derniers se distinguent par la présence d’une surface d’écrasement sur la partie corticale de l’os (Binford, 1981). Toutefois, là encore, les Carnivores peuvent provoquer des encoches ambiguës (Villa & Bartram, 1996). Bien que nous ne puissions donc pas nous fonder seulement sur cet élément pour reconnaître toutes les fractures sur os frais attribuables à l’homme, j’ai choisi dans les gisements mixtes de lui attribuer seulement les fractures associées à des encoches avec enlèvements corticaux sur des ossements dénués de toute trace de dents à leur surface.

De façon à évaluer la part jouée par les Carnivores et les hommes dans la fracturation et, de fait, dans les accumulations osseuses d’herbivore au sein des gisements mixtes de Payre (ensemble F) et de Balazuc (niveau 2-3), j’ai comparé leurs proportions en restes fraîchement fracturés présentant un ou plusieurs point d’impact associés avec celles d’un site à accumulation humaine quasi-exclusive : l’ensemble supérieur de Saint-Marcel (tab. 128). Rappelons que seules les fractures sur os frais présentes sur les mandibules, os courts (sésamoïdes exceptés) et os longs, aisément reconnaissables, ont été prises en compte. Celles effectuées sur les os plats et spongieux sont beaucoup trop ambigües pour être dénombrées.

Les taux sont nettement dissemblables (tab. 128 et fig. 170). Plus de la moitié des restes fracturés sur os frais de l’ensemble supérieur de Saint-Marcel (67,5 %) ont des points d’impact associés à leurs plans de fractures, tandis que l’on en observe seulement 20,2 % à Balazuc et de 17,7 % à 19,1 % au sein de l’ensemble F de Payre. Ces dernières proportions sont inférieures aux 30 % évoqués par R. J. Blumenshine & M. M. Selvaggio (1991) dans le cas de percussions anthropiques majoritaires.

Pour BALAZUC, ce critère vient s’ajouter à celui du degré de fragmentation pour confirmer la faible responsabilité des hommes dans la fracturation des carcasses d’herbivores. En effet, dans le chapitre 3.4.1., nous avions vu que le taux supérieur d’os entiers et la présence de cylindres à Balazuc contribuaient à démarquer cet assemblage de ceux à accumulations humaines majeures tels que le Maras, les Peyrards ou Saint-Marcel (cf. points n° 2 et 3, chp. 4.6.1.). Associé à l’analyse précédente des divers types de modifications de surface, ces données sur la fracturation permettent d’authentifier les Carnivores, et plus particulièrement le loup, comme principaux agents accumulateurs et modificateurs de l’assemblage osseux de Balazuc.

Dans l’ensemble F de PAYRE, les choses apparaissent différentes. Dans le chapitre 3.4.1., l’étude du degré de fragmentation distinguait également ce site des deux autres gisements anthropiques de Saint-Marcel (exception faite de la couche u) et des Peyrards, mettant notamment en évidence des proportions plus importantes en épiphyses et en ossements entiers. Quelques cylindres étaient aussi recensés, avec un taux légèrement plus accusé en Fb. On vient également de voir que les pourcentages en restes présentant des points d’impact anthropiques restaient faibles en regard de ceux de l’ensemble supérieur de Saint-Marcel. Ceux-ci ne permettent pas de distinguer ici le niveau Fb des deux autres. La fracturation sur os frais des herbivores dans cet assemblage n’est donc pas du seul fait des hommes, leur récupération de la moelle s’avérant moins systématique qu’à Saint-Marcel. Une partie des fractures sur os frais ont pu être engendrées par d’autres agents tels que les Carnivores mais aussi par le piétinement par les ours des cavernes, venus régulièrement hiberner dans la grotte. Les données de la fracturation allant a priori dans le sens d’une histoire taphonomique semblable à celle de Balazuc, le point capital qui permet maintenant de différencier les deux types d’accumulation tient dans leurs proportions et leurs répartitions en stries de boucherie et en marques de dents détaillées dans le chapitre précédent. Rappelons que ces données assignaient à l’ensemble F de Payre la qualification de « dépôts anthropiques majeurs » et à Balazuc de « tanières de loups ».

A la BAUME FLANDIN, contrairement à ce que l’on a pu observer pour les modifications anthropiques de surface, la fracturation sur os frais due à des percuteurs est plus abondante dans les niveaux de la terrasse que dans ceux de la salle. Dans cette dernière, seuls deux restes parmi les 28 présentant des fractures sur os frais comptent des encoches produites par un outil humain. Dans cet assemblage, les hommes ne sont apparemment pas pour grand chose dans les processus de récupération de la moelle. Les Carnivores ont dû avoir un accès relativement rapide aux carcasses, celles-ci ayant connu seulement le décharnement par leurs principaux accumulateurs. Dans la couche 3, un peu plus de restes témoignent du cassage des os par les hommes, mais la faiblesse des échantillons ne permet pas de tabler sur une éventuelle répartition spatiale qui serait liée aux activités de boucherie.

Aux PECHEURS, seuls trois restes, sur les 20 présentant des fractures sur os frais, ont des points d’impacts anthropiques associés, ce qui donne une proportion de 15 %, encore plus faible que celle observée à Balazuc.

Au FIGUIER, un seul reste indique une opération de récupération de la moelle par les Néanderthaliens. Il s’agit d’un tibia de Cervidé indéterminé (probablement de renne).