AGE DES ANIMAUX

Détermination de l’âge

L'estimation de l'âge des Artiodactyles et des Périssodactyles rencontrés dans cette étude s'effectue par l'examen de la denture de lait jusqu'à l’apparition de la M3 et des prémolaires définitives (âge adulte), puis au-delà par l'usure des molaires et des prémolaires définitives (Payne, 1973 ; Grant, 1982 ; Klein & Cruz-Uribe, 1984). Réalisées en laboratoire, la coupe dentaire et l'observation des dépôts de cément permettent une bonne estimation de l'âge. L’usure des canines qui subsistent sur le maxillaire supérieur des cerfs (mâles et femelles), appelées «craches», peut également apporter une indication sur l’âge de l’animal (D’Errico F. & Vanhaeren M., 2002). Néanmoins ces deux dernières méthodes nécessitent pour la première une forte investigation de la part du chercheur ainsi qu’une destruction partielle du matériel, et pour la deuxième une quantité significative de restes dentaires. Or dans la plupart des sites étudiés le nombre de craches est trop peu important pour l’utilisation d’une telle méthode. Je me suis donc cantonnée à la première, en enregistrant pour chaque dent prise isolément la classe d’âge identifiée. Puis, j’ai évalué au sein de chacune des classes établies le NMI correspondant en terme de fréquence, pour un type de dent latéralisé, et par combinaison en m’aidant des degrés d’usure.

L’âge adulte peut être établi grâce aux dates d’éruption des prémolaires et de la M3. Ainsi, les D2, D3 et D4 ont été automatiquement attribuées à des juvéniles, tandis que les P2, P3, P4 et M3 à des jeunes adultes, adultes matures ou individus âgés et très âgés selon leur degré d’usure. Quand certaines M1 et M2 peu usées n’appartiennent pas à des séries dentaires, leur attribution à des juvéniles ou à de jeunes adultes n’est pas assez fiable pour être prise en compte dans les décomptes des classes d’âge. Les stades d’usure ont été déterminés grâce à l’observation des surfaces occlusales et à la hauteur des jugales. Ce type d’analyse prend bien entendu en compte la hauteur initiale des dents de chaque animal en fonction de son type de croissance, autrement dit, en ce qui concerne les herbivores rencontrés dans nos sites, le caractère hypsodonte des Bovidés (aurochs, bisons, bouquetins et chamois), des Equidés (chevaux et hydruntins) et des Rhinocérotidés, et celui brachyodonte des Cervidés (cerfs, rennes, daims et chevreuils) et des Suidés (sangliers). Sept stades d’usure ont été utilisés pour permettre l’attribution des dents à une classe d’âge. Ces stades ont été établis par des chercheurs du Centre Européen de Recherches Préhistoriques de Tautavel (Forsten & Moigne, 1998) :

  • Stade 1 : le bourgeon est bien formé, inclus et ne possède ni racine ni émail.
  • Stade 2 : la dent est à peine sortie avec l’émail, sans usure sur la face occlusale. La racine n’est pas encore formée.
  • Stade 3 : la dent est entièrement sortie, des usures légères s’attaquent à la face occlusale. La racine n’est toujours pas constituée
  • Stade 4 : l’usure devient irrégulière et envahissante sur la face masticatrice. La dent est fonctionnelle et la racine développée.
  • Stade 5 : l’usure est importante, elle creuse la face occlusale, lui faisant perdre sa forme initiale. La table d’usure devient plus plane. Les racines sont bien développées et commencent à se recouvrir de cément. La couronne a perdu la moitié de sa hauteur initiale.
  • Stade 6 : la surface occlusale est pratiquement plate. La hauteur de la dent ne correspond plus qu’au tiers de sa hauteur initiale. Les racines sont épaisses.
  • Stade 7 : la couronne est presque rasée et tend à disparaître. L’usure atteint la racine, il ne reste plus qu'un chicot.

J’ai établi, à partir des dates d’éruption dentaire et des différents degrés d’usure des jugales, cinq classes d’âge différentes (avec entre parenthèses, les âges absolus correspondant, attestés pour la majorité des espèces rencontrées dans ce travail). Bien que ces différentes classes d’âge ne représentent pas des fractions égales de durée de vie, elles ont l’avantage de se calquer sur les grandes périodes de vie sociale des herbivores étudiés. En effet, selon ces périodes, les données ayant une réelle portée sur l’interprétation des profils de mortalité en terme de stratégies de chasse telles que le comportement, le poids et la qualité de la viande ou la croissance des bois chez les Cervidés, varient de façon significative. Je les ai mises en place à partir des mêmes sources d’informations qui ont servi à l’étude de la saisonnalité à savoir pour les cerfs (Riglet, 1977 ; tab. 148 et 149), les daims (Henry, 1980 ; Chaplin & White, 1969), les chevreuils (Paulus, 1973), les bouquetins et les tahrs (Couturier, 1961 ; Rivals, 1999, 2001, 2002), les sangliers (Baubet et al., 1994), les chamois (Couturier, 1938), les grands Bovidés (Brugal & David, 1993) et les chevaux (Klein & Cruz-Uribe, 1984 ; Guadelli, 1998 ; Bignon, 2003). La présence de la première classe d’âge sera également confirmée par le décompte des restes post-crâniens non épiphysés de chacun de ces herbivores. J’ai pu ainsi quelquefois distinguer la présence d’un juvénile, non identifiée à partir des stades d’éruption et d’usure des dents :

  • Juvénile (0 à 2,5 ans) : individu portant encore des molaires lactéales, autrement dit perte de D4 : de 0 à 27-30 mois pour le cerf, le renne, le daim et les bouquetins ; de 0 à 12 à 13 mois pour le chevreuil et le chamois ; et de 0 à 3,5-4 ans pour les chevaux et les grands Bovidés. Tous les os sont épiphysés au cours de cette période.
  • Jeune adulte ou subadulte (2,5-6 ans) : c’est donc à partir de 27-30 mois, que, pour une grande majorité des espèces, la présence des P2 et M3 définitives définissent l’âge adulte. A cette période, les jugales lactéales tombent et sont remplacées par les prémolaires permanentes. Les crêtes des cuspides de la M3 percent l’os mandibulaire à 24 mois mais ce n’est que vers 30 mois que leur sortie sera complètement achevée. Chez les chevreuils la M3 apparaît et les prémolaires sont remplacées à l’âge de 12-13 mois. Ceci corrobore la date précoce de maturité sexuelle du petit Cervidé qui est atteinte, comme celle du chamois, à un an et demi. La catégorie «jeune adulte» correspond chez ces deux petits ongulés aux brocarts ou éterlous et aux chevrettes ou éterles âgés  de 14 mois à 2 ans (Paulus, 1973 ; Macdonald & Barrett, 1995). C’est en effet lors de l’apparition des P4 et M3 que la majorité des espèces atteignent leur maturité sexuelle effective (cf. chp. 4.1.1. où il est notifié que l’âge de la première reproduction est souvent ultérieure à la maturité sexuelle théorique). A la fin de ce stade, la croissance de l’animal est achevée et ce dernier atteint quasiment son poids maximal. Jusqu’à l’âge de 5 ans les dernières molaires sorties ne sont pas ou très peu usées (stades 2-3). Le cheval a sa bouche faite à 5 ans (les coins définitifs sortant après la troisième molaire permanente) et les grands Bovidés à 4,5 ans.
  • Adulte mature (6-10 ans) : les jugales ont toutes atteint ou dépassé le stade 4 d’usure des surfaces occlusales. Cette catégorie rassemble les individus dans la force de l’âge, de 6 à 10 ans (3 à 7 ans pour le chevreuil). Pour les cerfs nous avons vu par exemple que c’est à cette période (10 ans) que leurs bois atteignent leur apogée, devenant alors «grand dix-cors».
  • Individu âgé (10-14 ans) : de 10 à 14 ans les jugales commencent à être très usées, leur hauteur est diminuée de moitié (7 à 11 ans pour les chevreuils).
  • Très vieil individu (> 14 ans) : les surfaces occlusales sont presque plates, elles atteignent pratiquement le haut des racines. L’individu a alors plus de 14 ans (plus de 12 ans pour les vieux chevreuils). Chez le cerf c’est à l’âge de 14-15 ans que les bois commencent à dégénérer.

L’utilisation de la méthode d’usure dentaire pour évaluer l’âge des individus nécessite, selon J.-L. Guadelli (1998), l’acceptation d’emblée des principes suivants, pourtant bien discutables (l’usure des dents est un processus qui est fonction de facteurs extérieurs variables tels que la vitesse du développement dentaire, différente pour chaque individu, la dureté de la substance dentaire, l’alimentation, certains aliments durs comme les marrons ou les glands ou abrasifs tels que des végétaux riches en silice useront la table dentaire plus rapidement que de jeunes pousses ou des herbes tendres), à savoir que pour une même espèce :

‘«Les dates d’apparition et de remplacement des dents sont constantes dans le temps et dans l’espace ce qui permet de calquer exactement aux formes fossiles les séquences observées sur les animaux actuels.»’ ‘«Un degré d’usure est représentatif d’un âge ou, en d ‘autres termes, il existe un taux d’usure des dents constant dans le temps et dans l’espace.»’

Bien que très subjective, cette méthode, avec de la pratique, se révèle exacte dans 88 % des cas selon Lowe (1967). P.-H. Riglet (1977) ajoute que le taux d’erreur augmente avec l’âge de l’animal. Un test de fiabilité de l’estimation de l’âge chez le chevreuil par l’usure dentaire a été effectué lors d’une étude sur des animaux marqués (Van Laere et al., 1989). Il est apparu que l’erreur d’estimation est généralement faible et que la méthode peut donc être considérée comme satisfaisante. L’observateur a cependant tendance à surestimer l’âge des chevreuils et tout particulièrement ceux de 1 et 2 ans. Pour cette espèce, cette erreur affecterait les deux premières classes d’âge (juvéniles et jeunes adultes). Notons que cette étude concerne l’expérience d’un observateur sur un même territoire.