Interprétation des profils d’âge

A la BAUME DES PEYRARDS, seuls l’ensemble inférieur de l’avant-dernière glaciation et l’ensemble médian n’ont pas permis de livrer de profils de mortalité. Le premier renferme seulement un reste dentaire de cerf attribué à un jeune adulte et une extrémité proximale non épiphysée de métacarpien droit appartenant à un chevreuil immature alors que le second n’a livré aucun reste dentaire.

Les courbes de mortalité du bouquetin dans les autres ensembles stratigraphiques se rapprochent toutes du type de profil de mortalité à adultes dominants, que ce soit des jeunes, des matures ou des âgés, à l’exception de l’ensemble supérieur indéterminé qui donne une proportion de sénile équivalante à celle des matures et des plus âgés (tab. 150 et fig. 194). De façon générale, les profils obtenus à partir des différents échantillons appuieraient donc le postulat d’un site à accumulation humaine majeure d’herbivores (cf. chp. 3.5.1. et 4.1.2.2.). L’hypothèse de collectes focalisées sur des charognes (courbe en U) est partout d’emblée à rejeter.

Une fois regroupées selon les trois principales classes d’âge préconisées par M. C. Stiner, cette répartition basée sur nos cinq classes d’âge placent, sur un diagramme tripolaire (fig. 214), trois assemblages dans la catégorie des « vieux dominants » (ensemble supérieur c-d, indéterminé et groupe des non-localisés) et un dans la catégorie des abattages de type catastrophique (ensemble supérieur a). La saison principale de chasse au bouquetin pour tous ces échantillons se situant à l’époque du rassemblement des hardes pour le rut (fin de l’été et automne), les hommes ont eu en effet le choix de tous les types d’individus.

En ce qui concerne les trois premiers assemblages, « vieux dominants », dans l’ensemble supérieur c-d et l’ensemble supérieur des indéterminés, des stratégies de chasse axées sur la capture des individus les moins vaillants au sein d’une population adulte majoritaire associées à des collectes probables de charognes, a engendré une telle dominance des plus vieux (adultes âgés et séniles), tandis que dans l’échantillon des non-localisés, plus proche des « adultes dominants », les hommes ont préféré, malgré des taux importants des âgés et des séniles, ceux qui présentaient les meilleurs rapports quantité/qualité de la viande, tout en étant les plus difficiles à capturer, autrement dit les adultes matures.

Pour l’ensemble supérieur a qui se classe, selon cette méthode, parmi les courbes de type catastrophique tout en étant très proche de la zone « adultes dominants », des abattages massifs de troupeaux entiers (courbe en L) sont peu probables, d’autant plus que l’accès difficile du lieu de vie de ce petit Bovidé ajouté à la faible portée des armes de chasse (lances 8 ) des chasseurs néanderthaliens va à l’encontre d’un tel type de prédation. Nous avions vu plus haut que le bouquetin empruntait fréquemment les mêmes lieux de passage, favorisant une chasse à l’affût. Ce mode de chasse expliquerait que toutes les catégories d’âge soient représentées avec cependant une sélection pour les individus adultes les plus rentables, jeunes et matures, les préférant aux juvéniles, qui n’ont pas atteint leur poids maximal, et aux vieux, qui offrent une chair plus dure. Les très vieux (séniles) sont d’ailleurs tout à fait exclus de cet ensemble comme de l’ensemble supérieur b. Dans ce dernier, les individus dans la force de l’âge, adultes matures et adultes âgés, sont un peu plus nombreux que les juvéniles et les jeunes adultes.

En ce qui concerne les quelques ossements non-soudés d’individus juvéniles (tab. 152), classe d’âge assez peu représentée en restes dentaires, sur les 17 restes post-crâniens non épiphysés de bouquetins de l’ensemble supérieur c-d, deux extrémités distales de radio-ulnas gauches témoignent de la présence d’au minimum deux juvéniles, ce qui va dans le sens du NMI de cette classe d’âge obtenu à partir des restes dentaires, qui donne un nombre de trois. Les restes post-crâniens des ensembles supérieurs b et a donnent pour le premier un NMI de un et pour le second un NMI de deux (deux premières vertèbres sacrales non soudées), les deux équivalent à ceux issus des restes dentaires. Ces données, en plus de préciser les valeurs des classes d’âge, permettent également d’appuyer l’hypothèse d’une bonne représentativité des échantillons pour ces trois ensembles stratigraphiques. Enfin, l’ensemble supérieur indéterminé et l’échantillon non localisé livrent également des NMI issus des restes post-crâniens non soudés qui coïncident avec ceux des restes dentaires. Le premier donne un NMI de un, tandis que six têtes fémorales recensées dans le second permettent de tabler sur un NMI de trois juvéniles. En ce qui concerne les restes non soudés, on observe dans l’ensemble supérieur a un taux plus important concordant avec ce que l’on obtient au niveau des proportions en NMI pour la première classe d’âge. Les pourcentages de juvéniles dans cet échantillon sont les plus importants de la séquence.

Pour le cerf, les courbes présentent des aspects beaucoup plus disparates (tab. 150 et fig. 195). On observe dans les ensembles supérieurs a, b (seulement 3 individus) et indéterminé une tendance qui rejoint celle observée pour le bouquetin, c’est à dire des individus adultes dans la force de l’âge (jeunes adultes, adultes matures ou adultes âgés) en proportions plus importantes avec, pour l’ensemble supérieur indéterminé, une base de merrain appartenant à un adulte mâle. L’ensemble supérieur c-d et les non-localisés témoignent quant à eux d’autres stratégies de capture. Le premier affiche toutes les classes d’âge avec une prédilection marquée pour les très vieux, tandis que l’autre, au contraire, livre des taux déclinant des plus jeunes vers les plus vieux à l’image d’une mortalité catastrophique en L (un juvénile a donné un âge de 14 mois et un jeune adulte un âge de 30 mois). En regard du faible nombre d’individus rapportés à l’habitat, ce modèle ne peut être appliqué à la mortalité observée. Cette espèce, chassée également durant la période du rut, a la même particularité que le bouquetin de se rassembler à l’automne, mélangeant hardes de femelles, groupes de jeunes mâles et de plus vieux solitaires. La chasse a alors pu se faire aux alentours du domaine des accouplements, alors que la vigilance des proies est amoindrie. Aux autres époques de l’année (été et hiver), hardes de femelles et de jeunes, plus repérables et abordables que les mâles solitaires ont du être préférées par les chasseurs. Les juvéniles présents dans tous les ensembles (en proportions plus importantes, à l’exception de l’ensemble a, que celles des bouquetins, NMI comme restes non épiphysés, tab. 150 et 152) attesteraient également de stratégies de captures focalisées sur ces hardes, pour des périodes d’été et d’hiver. Quant aux six fragments de bois, s’ils sont issus de bois de massacre, ils indiquent l’abattage de quelques mâles d’âge indéterminé, jeunes de plus d’un an et demi ou adultes durant ces mêmes périodes (le printemps étant la période de perte des bois).

Les courbes d’abattage des chevaux rapportés à la Baume des Peyrards sont tout aussi contrastées que celles des cerfs (tab. 150 et 152 ; fig. 196). Du point de vu des effectifs, les ensembles supérieurs a et b rassemblent trop peu d’individus pour être comparés aux autres. L’ensemble a compte un juvénile, un jeune adulte et un adulte mature et l’ensemble b un juvénile d’environ cinq-six mois et deux adultes, dont un mature et un âgé. Quant aux autres échantillons, toutes les catégories d’âge sont représentées. L’ensemble supérieur c-d livre un individu supplémentaire dans les classes de juvéniles, d’adultes matures et de très vieux. Dans l’ensemble supérieur indéterminé, ce sont les adultes matures et âgés qui sont un peu plus nombreux et dans l’assemblage non localisé, à l’opposé des couches les plus superficielles (c-d), les catégories jeunes adultes et adultes âgés l’emportent. Dans ce dernier échantillon une première incisive inférieure de lait a donné un âge de moins d’un mois pour l’un des deux poulains.

En regard des trois grandes classes d’âge reportées sur le diagramme tripolaire : juvéniles, adultes et vieux (fig. 214), l’ensemble supérieur c-d montre une prédilection pour les adultes et les vieux par rapport aux juvéniles, et ceci à taux équivalents pour les deux premiers. Dans les échantillons de l’ensemble supérieur indéterminé et des non-localisés on observe une répartition identique, à savoir une classe minoritaire de juvéniles associée à deux autres classes largement plus présentes, avec des taux d’adultes légèrement plus accentués. D’ailleurs, l’ensemble supérieur indéterminé se place au sein du diagramme tripolaire dans la partie inférieure de la zone des « vieux dominants ». Les trois couches les plus récentes (b et c-d) ont montré des chasses automnales, synchrones de celles des bouquetins et des cerfs. L’automne est la saison à laquelle les harems sont formés, les animaux faisant leurs dernières réserves en graisse. C’est à cette époque qu’ils sont donc les plus attractifs sur le plan alimentaire. Les chasseurs ont pu effectuer leurs choix au sein des hardes, tuant les plus fragiles, juvéniles et très vieux, mais également quelques adultes. Nous avons vu plus haut (chp. 4.4.2.) que c’est au printemps (époque du rut) que les chevaux sont en revanche les plus faciles à capturer. Cette saison de chasse a été préférentiellement choisie par les hommes venus durant l’ensemble supérieur a et au sein de toute la séquence, et plus particulièrement dans l’ensemble supérieur, pour les échantillons indéterminés. Là encore les Néanderthaliens ont su tirer profit du large choix offert par les grands troupeaux mixtes, sans montrer de prédilection marquée pour une catégorie d’âge en particulier.

En ce qui concerne les autres herbivores (tab. 150 à 152 ; fig. 197 et 198), dans l’ensemble c-d, aucun reste dentaire de chevreuil n’a fourni de catégorie d’âge, en revanche une extrémité de bois de chevreuil atteste la présence d’un mâle, jeune de plus d’un an ou adulte. Deux chamois adultes (jeune et mature) ont été abattus.

Dans l’ensemble supérieur b, deux proies vulnérables de chevreuil, un juvénile et un très vieux ont été rapportés au campement, ainsi que deux chamois adultes (mature et âgé), un jeune aurochs adulte d’environ deux ans et demi, un vieil hydruntin et un très jeune sanglier (moins d’un an).

En a, on trouve quatre chevreuils, dont deux plus accessibles (juvénile et très vieux) et deux dans la force de l’âge (adultes jeune et mature), quatre chamois adultes qui se répartissent dans les quatre dernières catégories d’âge, un jeune aurochs adulte et un très vieux, deux vieux hydruntins dont un très vieux et deux sangliers dont un d’un peu plus d’un an et un autre d’âge mature.

L’ensemble supérieur indéterminé compte deux chevreuils adultes (1 jeune et 1 mature) et un juvénile, un chamois adulte et un très vieil hydruntin.

Le dernier échantillon regroupant des restes issus de toute la séquence rassemble cinq chevreuils dont quatre adultes (2 jeunes et 2 matures) et un juvénile de quelques mois (de 4 à 7 mois), six chamois dont quatre dans la force de l’âge (2 jeunes adultes et 2 matures) et deux fragilisés (1 juvénile et 1 très vieux), un vieil aurochs, deux hydruntins adultes (mature et âgé) et deux sangliers, un marcassin d’un mois et un adulte.

De façon générale les âges obtenus pour ces espèces secondaires mettent en évidence d’une part une chasse plutôt portée sur les individus adultes, qu’ils soient jeunes, matures ou âgés pour les petits herbivores (chamois et chevreuils), avec quelques proies plus aisément capturables (vieux et juvéniles) et d’autre part, pour les grands herbivores (aurochs et hydruntins) il apparaît nettement que les chasseurs néanderthaliens ont favorisé les prises les plus faciles, des vieux individus pour le petit Equidé et des jeunes et des plus âgés pour les grands Bovidés. Le charognage de bêtes mortes naturellement ou tuées par d’autres prédateurs est également envisageable. Quant au sanglier, les marcassins ont pu être apportés par les dhôles ou les lynx et les individus adultes faire l’objet d’un gibier intéressant pour l’homme.

En ce qui concerne l’âge des Carnivores présents dans le gisement, les ours bruns ont livré une canine gauche inférieure de lait appartenant à un ourson et les renards et les lynx des restes attribués à des individus adultes. Une patella d’un dhôle indique la présence d’un immature (tab. 152) et un humérus droit celle d’un fœtus. La présence des renards et des dhôles sous le vaste abri peut s’expliquer par le creusement de terriers pour élever leurs petits, ce qui serait attesté par les restes d’un juvénile et d’un fœtus pour les derniers, ainsi que par le fait qu’ils aient pu être attirés par les carcasses d’herbivores laissées par les hommes. Des passages ponctuels de lynx sous la Baume sont tout à fait envisageables, quant aux ours bruns, la présence d’une dent lactéale permettrait d’envisager la possibilité d’une tanière d’hibernation.

A la grotte SAINT-MARCEL, excepté dans la couche u où le daim est majoritaire, le cerf est la proie dominante.

Dans les couches supérieures, les restes dentaires de cerf indiquent la présence d’un juvénile et de trois adultes, dont deux sont âgés et un mature (tab. 154 et fig. 200).

Dans l’ensemble 7, mon étude préliminaire des courbes de mortalité des herbivores (Daujeard, 2002, 2003, 2004) avait été faite en nombre de restes dentaires et non en NMI (tab. 153 et fig. 199). De plus je n’avais établi que quatre catégories d’âge, les adultes âgés et les très vieux étant regroupés. J’ai donc dû reprendre cette étude à partir de mes données antérieures (le matériel étant retourné dans les collections du Musée d’Orgnac) en établissant le NMI de combinaison grâce aux degrés d’usure et à la fréquence des divers types de dents. J’ai donc conservé la catégorie « vieux » (tab. 154). Les courbes de mortalité établies à partir des restes dentaires (NR) de cerf avaient donné des profils de mortalité à adultes dominants. La courbe correspondante issue des NMI des couches g, h, i et j-j’ livre le même type de profil avec toutefois une tendance moins marquée à la dominance d’une seule classe. Juvéniles, jeunes adultes, adultes matures et vieux livrent en effet des NMI peu contrastés (fig. 200). Sa localisation au sein du diagramme tripolaire le place justement dans la zone des courbes catastrophiques synonyme de prélèvements aléatoires au sein des populations (fig. 214). La présence de juvéniles en quantité non négligeable, attestée également par les ossements non soudés (tab. 155), et celle de fœtus (tab. 141), témoignent de chasses de hardes rassemblant femelles et jeunes. Le fragment de bois de cerf issu de la couche g indiquerait, s’il s’agit d’un massacre, la saisie d’un mâle, jeune de plus d’un an et demi ou adulte, hors période de chute, en été ou à l’automne. Nous avions vu dans le chapitre précédent que la chasse au cerf se situait dans cet ensemble principalement à la belle saison, avec des occupations étalées tout au long de l’année. Un très jeune faon a d’ailleurs été abattu à la saison des mises-bas (printemps) et un autre de trois-quatre mois à l’automne. L’été (fin juillet) est la période à partir de laquelle les groupes sociaux de l’année sont reformés, hardes de femelles et de jeunes, petits groupes de jeunes mâles et vieux mâles isolés. L’extrême rareté des bois conjuguée à une fréquentation accentuée du site à la belle saison attesterait en effet d’une chasse focalisée sur les hardes de femelles et de jeunes. A l’automne, cette organisation est brièvement perturbée par le regroupement de tous ces groupes pour le rut. L’homme a alors été confronté aux harems mixtes, ayant plus facilement accès aux mâles adultes.

Comme dans les couches supérieures, malgré la faiblesse des NMI de cerfs dans les couches inférieures, la courbe montre toutefois une tendance à la capture des individus dans la force de l’âge (tab. 154 et fig. 200). Aucun très vieil individu n’a été répertorié mais en revanche un juvénile au minimum a été attesté à la fois par les restes dentaires (3 germes) et par des ossements non épiphysés (6 restes ; tab. 155). Le petit fragment d’andouiller de cerf mis au jour dans les couches n-o pourrait témoigner de l’abattage d’un adulte mâle en automne ou au début de l’hiver. La méconnaissance du type de bois d’origine, chute ou massacre, et de son nombre de cors empêche malheureusement toute affirmation. Dans l’ensemble, c’est plutôt l’absence de bois qui apparaît révélatrice d’une stratégie de chasse focalisée sur les hardes de femelles et de jeunes. A moins que cette absence trouve son origine dans un transport vers d’autres habitats dans le but d’une utilisation particulière, comme cela a été suggéré à la Combette par J.-Ph. Brugal (2004).

Enfin, dans la couche u où le cerf fait office d’espèce secondaire après le daim, les proies capturées en majorité sont parmi les plus vulnérables des cohortes animales. Sur quatre individus abattus ou charognés, deux sont des juvéniles, dont un de cinq à neuf mois, et un est très vieux (tab. 154 et fig. 200). Par contre, aucun ossement non épiphysé n’a été recensé.

En ce qui concerne le daim, dans cette même couche u, la courbe d’abattage (tab. 154 et fig. 201) se distingue de celles du cerf des ensembles 7 et des couches inférieures dominées par les proies dans la force de l’âge (adultes matures). On observe en effet une tendance qui se rapproche de celle des couches supérieures, à savoir des taux équivalents de juvéniles et d’adultes matures et une proportion accentuée d’individus âgés. Par contre on trouve deux daims très âgés dans la couche u, alors qu’aucun cerf des couches supérieures, et même des couches inférieures, n’appartient à cette catégorie d’âge. Parmi les juvéniles, plusieurs sont tout jeunes, âgés de seulement quelques mois. Huit ossements non épiphysés vérifient la présence de jeunes individus. Une extrémité distale de métatarsien et une tête fémorale non soudées attestent de jeunes individus âgés de moins de deux ans, tandis qu’une extrémité distale de tibia correspond à une jeune proie de moins de dix-huit mois (tab. 136 et 155).

Selon les axes du diagramme tripolaire, les daims de la couche u montrent une légère prédominance pour les vieux, expliquant leur présence affirmée au sein de la zone des « vieux dominants » (fig. 214). Cette position, associée à la part non négligeable des très jeunes, mettrait en évidence une chasse focalisée sur les individus les plus faibles ainsi que d’éventuels charognages. Les daims ont une saison de capture commune à celle des cerfs, située à l’automne. L’autre période pour le cerf correspond à la saison froide, et pour le daim au printemps et à l’été. De même que pour le cerf des niveaux supérieurs, les deux seuls restes d’andouillers de daims ne suffisent pas à prouver l’abattage d’individus mâles dans la force de l’âge. Ils peuvent également correspondre à des daguets de premières têtes appartenant aux hardes de femelles et de jeunes de l’année. C’est d’ailleurs la présence de juvéniles conjuguée une fois de plus à la rareté des bois qui suggère la capture majoritaire de femelles d’âges divers ou de jeunes mâles au sein de ces hardes. Deux daims adultes ont été apportés sous le porche dans les ensembles 7 et inférieur.

Le chevreuil, qui livre dans l’ensemble 7 un reste crânien appartenant à un faon de quatre-mois mois tué à l’automne et deux bois de chute de mâles adultes récupérés à cette même saison, comprend une majorité d’adultes, regroupant deux jeunes, deux matures et un âgé (tab. 154 et 155 ; fig. 202). Cette répartition témoigne d’une chasse par l’homme, abattant les proies les plus intéressantes d’un point de vue alimentaire, surtout à cette époque de l’année où les animaux adultes sont au maximum de leur charge pondérale. Les ensembles supérieur et inférieur livrent chacun un juvénile et la couche u un juvénile et deux adultes (1 jeune et 1 mature). Trois restes osseux post-crâniens non épiphysés proviennent de l’ensemble 7 et de la couche u.

Les âges d’abattage des bouquetins dans les différents ensembles mettent également en évidence des activités cynégétiques. La moitié des individus sont des adultes matures (tab. 154). L’autre moitié rassemble des individus âgés, dont deux sont très vieux. Le tahr de la couche u correspond à un adulte âgé. L’hypothèse de charognes apportées à l’habitat ne peut alors pas être exclue. Un jeune sanglier d’environ 14 mois a été mis au jour dans l’ensemble 7. Quant aux grands herbivores, la plupart des bêtes sont soit des juvéniles, soit des individus âgés (tab. 154). Seuls deux chevaux et un hydruntin appartiennent à la catégorie des adultes matures. Proies de Carnivores, charognages ou gibiers humains ? L’analyse des représentations anatomiques de ces espèces secondaires pourra apporter des arguments en faveur de l’une ou l’autre de ces possibilités.

Les restes dentaires d’ours des cavernes issus de la couche u indiquent la présence d’au moins deux individus. Il s’agit d’un jeune adulte et d’un vieux.

Au sein de l’ensemble F de PAYRE, dans tous les niveaux, le cerf montre une répartition à peu près équitable des individus dans chacune des catégories d’âge (tab. 156 et 157 ; fig. 203). C’est ce qui apparaît également dans le positionnement des échantillons des niveaux Fa et Fc-d qui se placent dans la partie des abattages de type catastrophique sur le diagramme tripolaire (fig. 214). Nous notons toutefois des pics pour les juvéniles en Fb, pour les adultes matures en Fc-d et pour les adultes âgés en indéterminé. La courbe représentant les cinq catégories d’âge en Fa indique quant à elle une baisse dans la catégorie des très vieux individus. Celle des niveaux profonds c-d est du type des profils à adultes dominants. Dans tous les niveaux, la présence des juvéniles (confirmée par la présence récurrente d’ossements non épiphysés ; tab. 157) conjuguée à la rareté des bois (deux fragments d’andouillers issus des niveaux Fa et Fb) va donc une fois de plus dans le sens de captures majoritaires de membres appartenant aux hardes de femelles et de jeunes. En regard des données de la saisonnalité ce scénario se serait déroulé principalement en été pour les niveaux Fa et Fc-d, en hiver et au printemps en Fb et Fc-d, et au sein des harems mixtes d’automne dans tous les niveaux. Le charognage d’animaux affaiblis est aussi envisageable. Les nombreux restes de dents de lait et de germes dentaires permettent de minimiser leur destruction par gélifraction évoquée dans le chapitre 3.3.1.4.

Le chevreuil (tab. 156 ; fig. 208), abattu principalement au printemps et à l’automne, offre une courbe de mortalité en Fa dominée par les trois catégories d’individus les mieux portants, jeunes adultes, matures et âgés. Un reste crânien issu de cet échantillon témoigne d’ailleurs de l’abattage d’un adulte mâle dépourvu de ses bois (cf. chp. 4.3.2. ; photo 83). Les deux seuls restes post-crâniens non soudés appartenant à ce petit Cervidé ont été mis au jour en Fa (tab. 157), correspondant sans doute au seul reste dentaire de juvénile répertorié dans ce niveau. Dans les autres, tout ensemble confondu, la plupart des générations sont représentées. En Fc-d, un très jeune faon témoigne d’une mort au printemps.

Le tahr, au contraire du chevreuil, livre des courbes plutôt caractéristiques de charognages (tab. 156 et 157 ; fig. 207), notamment en Fa où juvéniles et très vieux sont un peu plus nombreux. Dans toute la séquence, sur les 18 individus, seuls deux adultes matures sont comptés. La moitié sont parmi les animaux les plus vulnérables : cinq individus appartiennent au groupe des très vieux et quatre aux juvéniles. Ce petit Bovidé, présent dans les abords immédiats des gorges de la Payre a sans doute fait l’objet de récupérations humaines de charognes ou de captures opportunistes des prises les plus accessibles. Il a aussi pu représenter le gibier privilégié des grands Carnivores venus habiter la grotte. Ses ossements ne présentent pas toutefois de taux en marques de dents supérieurs à ceux des autres herbivores.

Les daims présents dans cet assemblage regroupent une majorité d’adultes jeunes, matures et âgés, à l’exception du niveau Fb qui livre un juvénile de trois-cinq mois mort à l’automne et du niveau Fa où l’on trouve un très vieux. Les deux chamois des niveaux Fa et Fc-d sont un adulte mature et un très vieux. Les sangliers ne semblent pas être morts naturellement puisque sur les quatres individus ayant livré des âges, trois sont des adultes matures (tab. 156). Pour ce qui est du rôle des Carnivores ou des hommes sur ces petits herbivores, les marques qu’ils ont laissées à leur surface indiqueraient pour les daims une action humaine et pour les chamois un impact unique des Carnivores. Mais la seule présence de ces altérations ne suffit pas à attribuer de façon exclusive l’introduction de ces animaux dans la grotte à l’un ou à l’autre de ces prédateurs.

En ce qui concerne maintenant les grands herbivores, et tout d’abord les Rhinocérotidés, les âges des individus issus des niveaux Fa et Fc-d mettent en évidence des profils favorisant les juvéniles et les individus âgés, à l’image des courbes en U obtenues chez les proies des hyènes africaines actuelles (Klein & Cruz-Uribe, 1984 ; tab. 156 et fig. 206). Le squelette post-crânien confirme ces données par ses proportions considérables d’ossements non épiphysés (tab. 157). Ces données témoigneraient donc a priori plus de charognages que de réelles chasses. Le niveau Fb livre trois individus répartis dans les trois premières catégories d’âge et l’ensemble indéterminé une courbe descendante des juvéniles vers les adultes âgés. Outre la supériorité des proies les moins dangereuses (juvéniles et très vieux) dans ces échantillons, ils renferment également des individus dans la force de l’âge (jeunes adultes et matures). La question qui se pose maintenant est donc celle des stratégies de capture de ce pachyderme : chasse ou charognage actif ou passif ? Cette famille de Périssodactyle est présente au sein de l’assemblage des herbivores de l’ensemble F de façon tout à fait significative. Ils représentent environ 10 % du NRDt et 15 % du NMI des herbivores, avoisinant les proportions des chevaux dans les niveaux Fa et Fb et dépassant même en NMI dans certains niveaux celles des grands Bovidés. Les rhinocéros représentaient donc une importante ressource en nourriture pour les hommes et les Carnivores venus dans cette grotte. Dans cet ensemble nous avons vu que nous trouvons deux sortes de rhinocéros, le rhinocéros de Merck ou de forêt, d’une taille énorme (jusqu’à 2,5 m au garrot) et le rhinocéros de prairie, plus petit, d’une taille similaire au rhinocéros noir actuel d’Afrique (Guérin, in Guérin & Patou-Mathis, 1996). Quatre sites d’Europe du Nord ont livré des assemblages où les rhinocéros prennent une part importante, sinon majoritaire, des spectres fauniques. P. Auguste et al. (1998) y ont suggéré la possibilité « d’acquisitions actives », faisant de l’acquisition des rhinocéros une « spécificité néandertalienne ». Il s’agit des sites paléolithiques moyens de Biache-Saint-Vaast (Pas-de-Calais) et de Taubach (Weimar, Allemagne), avec des rhinocéros de prairie et de Merck, et les sites de la Cotte de Saint Brelade (Jersey) et du Mont-Dol (Ille-et-Vilaine) avec du rhinocéros laineux. Ce sont tous des gisements de plein-air qui offrent des topographies favorables à la capture de ce type de gibier, milieux marécageux (Biache, Taubach et Mont-Dol) ou pieds de falaises (la Cotte et Mont-Dol). Les âges des rhinocéros mettent en évidence à Taubach essentiellement des jeunes et des très âgés, tandis qu’à Biache et au Mont-Dol les adultes sont majoritaires (Auguste et al., 1998). Ce seraient, selon les auteurs, l’utilisation de lieux particuliers tels que zones boueuses ou buttes escarpées qui auraient permis aux hommes de se procurer, outre les juvéniles et les vieux, les individus adultes matures et sains, mâles et femelles. Le site, à proximité immédiate, devient alors un piège naturel qui autorise l’abattage d’animaux trop dangereux autrement. Pour C. Guérin & M. Faure (1983) la chasse proprement dite des rhinocéros est impossible, l’abattage d’un rhinocéros nécessitant soit une atteinte directe au cerveau ou à la colonne vertébrale, soit une fracture des ceintures scapulaire ou pelvienne, soit enfin le déclenchement d’une grosse hémorragie par lésion du cœur, des poumons, du foie, des reins ou des gros vaisseaux abdominaux ou thoraciques. Or, compte tenu des moyens techniques des Néanderthaliens (lances) et des propriétés intrinsèques à ces animaux (comme l’épaisseur de leur cuir, leur férocité ou leur entêtement à la charge), de telles blessures s’avèrent quasiment inenvisageables. Les auteurs évoquent néanmoins la possibilité d’abattage d’animaux déjà fragilisés par des pièges naturels, de juvéniles séparés de leur mère ou d’achèvements d’individus séniles ou malades, mais de façon tout à fait exceptionnelle. Ils précisent d’ailleurs que, du fait de la fréquence importante de cadavres qui devaient être abandonnés dans la nature, le charognage devait être le mode d’acquisition le plus usité par les hommes. En ce qui concerne le site de Payre, la quantité importante des rhinocéros empêche toute idée de capture fortuite de cet animal. En revanche, les divers scénarios évoqués par C. Guérin & M. Faure peuvent tous expliquer l’origine de l’amas osseux appartenant à ces grands herbivores. Tout d’abord, juvéniles et très vieux isolés ont pu faire l’objet soit d’abattages volontaires (voire d’achèvements), soit de récupérations de charognes, apportées au site par les hommes ou les Carnivores. Quant aux individus plus dangereux que représentaient en quantités non négligeables les adultes jeunes, matures ou âgés, les zones marécageuses de la vallée du Rhône, présentes seulement à quelques kilomètres, ont pu servir de pièges pour des animaux venus s’abreuver, encourageant les hommes à leur abattage. La distribution des taux de marques de boucherie et d’impact de dents de Carnivores dans tout l’assemblage indique nettement l’action majoritaire des hommes sur ces pachydermes. L’analyse des profils squelettiques contribuera à préciser leurs modalités d’acquisition.

L’analyse des catégories d’âge des grands Bovidés met en évidence une incroyable récurrence dans la répartition des classes d’âge (tab. 156 et fig. 204). Chacune de ces dernières, à l’exception des jeunes adultes en Fb, est représentée par un individu, et ceci est propre aux trois niveaux stratigraphiques. Les juvéniles sont seulement illustrés par des restes post-crâniens non épiphysés (tab. 157). Aucun reste dentaire ne confirme leur présence. Les deux indices de saisonnalité des grands Bovidés donnent des occupations à l’automne pendant ou après les périodes d’accouplement (en général début septembre). Cette époque de l’année correspond pour les bisons aux périodes de regroupement des troupeaux pour les grandes migrations empruntant le couloir rhodanien, et pour les aurochs, plus territoriaux, à la reconstitution des hardes à la sortie du rut. Dans les deux cas, les chasseurs ont prélevé toutes les sortes d’individus exposés au sein de ces cohortes. C’est aussi le moment de l’année où les animaux, préparés à l’hiver, sont les plus attractifs pour les chasseurs. Les individus séniles n’ont pas été exclus des captures, leur viande devant être pourtant beaucoup moins tendre que celle de leurs congénères.

Pour l’attribution des catégories d’âge aux restes dentaires des chevaux (tab. 156 et fig. 205), je me suis reposée sur les données de Ph. Fernandez (inédites). A l’exception des jeunes adultes, toutes les classes d’âge sont représentées en Fa. Au moins un juvénile et un jeune adulte sont présents en Fb et en Fc-d le nombre de restes dentaires pour chaque classe décroît, à l’image des courbes catastrophiques en L, des juvéniles vers les très vieux individus. La répartition correspond alors à celle des populations de harems. Les ossements post-crâniens non soudés appartenant à des poulains mettent en évidence des taux très stables dans les niveaux Fa, Fc-d et même dans l’échantillon indéterminé qui présente assez peu de restes. Ces proportions oscillent entre 6,7 % et 6,8 % du NRDt post-crânien total (tab. 157).

La courbe de mortalité des ours des cavernes de Payre (F) s’apparente à un modèle de mort naturelle en contexte d’hivernage, avec une majorité de juvéniles, de sub-adultes et de très vieux animaux. P. Auguste a relevé également la présence de nombreux oursons de la première et de la deuxième année morts in situ durant la mauvaise saison. D’après ces analyses et l’éthologie de ces Carnivores, l’auteur avance l’hypothèse de plusieurs cycles d’occupations ursines de la grotte de Payre durant des périodes hivernales successives. A l’exception de la panthère et de l’hyène qui comprennent des jeunes individus, les autres Carnivores sont des adultes dont, pour le loup, un individu âgé (Auguste et al., in Moncel et al., soumis 2006).

A BALAZUC, seul le bouquetin du niveau 2-3 a fourni suffisamment de données sur les classes d’âge pour établir un profil de mortalité (tab. 158 et fig. 209). Ce dernier niveau rassemble dix-sept individus. La tendance est celle des profils à adultes dominants qui, selon M. C. Stiner (1990, 1994), témoignerait d’une chasse humaine. Les classes des matures et des âgés sont en effet légèrement prédominantes aux trois autres. Regroupées selon les trois principales classes, alors les adultes et les vieux ont des taux équivalents de 41 % chacun, tandis que les plus jeunes rassemblent seulement 18% du NMI total avec trois individus. Sur le diagramme tripolaire ces pourcentages placent cet assemblage dans le bas de la zone des « vieux dominants » (fig. 214). Les taux d’ossements non épiphysés sont très élevés par rapport à ceux des autres gisements livrant ce même type de courbes (cf. bouquetins aux Peyrards et cerfs à Saint-Marcel et à Payre ; tab. 159). Ils représentent dans le niveau 2-3 de Balazuc 20 % du NRDt post-crânien du bouquetin contre des taux inférieurs à 10 % pour les herbivores des assemblages précedemment cités. Bien que le bon état de conservation des surfaces et la présence d’ossements fragiles ainsi que de dents de juvéniles et de germes dentaires atténuent l’impact de la conservation différentielle sur cet assemblage, la déficience en restes dentaires de juvéniles peut être en partie due à des problèmes de conservation. Cependant, ce taux d’ossements non-soudés correspond à peu près au pourcentage obtenu pour la classe des juvéniles, équivalant à 17,6 % du NMI. Nous avons vu dans les chapitres 3.3.2.2. et 3.3.2.3. que les modifications de surfaces par les Carnivores des ossements d’herbivores étaient plus nombreuses que celles dues aux hommes. Les proportions des loups au sein des spectres fauniques témoignent par ailleurs de l’utilisation de cette petite grotte comme refuge temporaire. L’usure des dents de loups indique la présence d’un adulte mature et d’un très vieil individu (tab. 160). Ce dernier a pu mourir de mort naturelle dans la tanière.

Au vu de toutes ces données, abondance de restes non épiphysés, légère dominance des adultes matures et âgés sur les autres classes d’âge également représentées, il est possible d’imaginer plusieurs causes dans l’accumulation des bouquetins, soit des morts naturelles lors, soit des abattage par les hommes ou par les loups. Les loups étant des chasseurs capables de tuer des bêtes adultes, cet assemblage osseux peut révéler des apports de petits Bovidés par ces Carnivores. Les saisons de capture de ce gibier sont surtout la fin de l’été et le début de l’automne, juste avant la saison du rut. A cette époque la ségrégation sexuelle est encore de mise (jusqu’en octobre). Quelques venues des prédateurs à la fin de l’automne et en hiver sont également attestées par les restes dentaires des jeunes individus. La période d’accouplement qui s’étend de novembre à janvier est l’occasion pour les hardes de se rassembler en grands troupeaux mixtes. Cette période une fois terminée, les groupes se redivisent pour rejoindre leurs quartiers d’hiver. La présence de toutes les classes d’âge indique des stratégies dirigées sur des hardes de femelles et de jeunes. Un massacre entier d’une femelle adulte trouvé dans le niveau 2-3 confirmerait ce scénario. Quelques mâles ont pu être capturés à l’occasion du rassemblement pour le rut. Les bouquetins des autres niveaux sont des juvéniles ou des adultes âgés.

Pour les autres herbivores, quelques individus ont fourni des âges de mort (tab. 158). Les cerfs sont un juvénile subadulte tué à l’automne, représenté par trois germes dentaires et trois molaires lactéales très usées et par la présence d’une première phalange et d’une poulie de métatarsien non épiphysés, et deux adultes matures. Les grands Bovidés indiquent la présence d’un juvénile, abattu également en automne, et de deux adultes, un mature et un très vieux. Le chevreuil et le mégacéros sont représentés par des individus âgés. Le renne a un profil d’individus charognés ou de captures de proies fragilisées. Les restes dentaires appartiennent à deux adultes, un âgé et un très vieux, et deux métapodes non épiphysés à au moins un juvénile. Un chamois adulte a été répertorié. Et enfin, les rhinocéros laineux dans le niveau 2-3 et le sanglier (un seul reste) dans le niveau 1 comptent chacun un juvénile, respectivement une extrémité distale de quatrième métatarsien et une extrémité proximale de première phalange non épiphysées. Ce cortège d’herbivores secondaires offre plusieurs possibilités quant à l’origine de sa présence dans la grotte. Les restes appartenant au jeune rhinocéros ont pu être récupérés sur une charogne par les loups ou les hommes. Rennes (1 adulte âgé et 1 vieux), chevreuil (1 adulte âgé), mégacéros (1 adulte âgé) et sanglier (1 juvénile) sont tous représentés par les individus les plus vulnérables, témoignant soit de chasses opportunistes par les Carnivores ou les Néanderthaliens, soit de charognages. Le chamois adulte peut avoir été le gibier de ces prédateurs. Enfin, cerfs et grands Bovidés adultes, proies beaucoup plus dangereuses que les autres herbivores, attestent de chasses plus difficiles, nécessitant des stratégies de captures plus élaborées. En meutes, les loups sont capables de s’attaquer à des individus adultes en pleine forme physique, mais cela reste exceptionnel, car ils privilégient de façon générale les individus affaiblis (jeunes, malades ou vieux ; Landry, 2001 ; Hénault & Jolicoeur, 2003). Les maladies ne laissant généralement aucune trace sur le squelette, il nous est impossible de savoir si les adultes abattus étaient souffrants ou non. A cette étape de l’étude, hommes et loups sont donc les deux responsables potentiels de l’apport de ces grands ongulés dans la grotte.

En ce qui concerne les ours des cavernes, la répartition des classes d’âge dans les niveaux 1 et 2-3 montre la supériorité des juvéniles et des vieux sur les jeunes adulte et les matures, indiquant une majorité de morts naturelles lors de l’hibernation de cet animal dans la grotte (tab. 160). Ceci est conforté par les taux très importants de restes post-crâniens non épiphysés. Les ours mettant bas durant l’hiver, la présence de quatre humérus de fœtus dans le niveau 2-3 suggère des occupations de la grotte par les plantigrades à d’autres périodes de l’année, pendant la période de gestation, qui s’étend d’été jusqu’en hiver. Toujours dans ce même niveau, les renards, venus certainement charogner les restes, sont présents au nombre de quatre individus dont deux adultes matures et un vieux. Les restes dentaires de loups témoignent de la présence d’au moins un adulte mature et un vieux dans le niveau 2-3 (tab. 160). Aucun reste post-crânien non soudé n’est observé.

A la BAUME FLANDIN, le profil d’abattage des cerfs issus des anciennes fouilles met en évidence la légère prédominance des jeunes adultes et des très vieux, chacune de ces classes comptant deux individus, tandis que juvéniles et matures un seul. Chacune de ces deux dernières catégories comptent un individu dans la couche 3 de la terrasse (tab. 161 et fig. 210). Dans cette même couche, une extrémité proximale de première phalange non épiphysée atteste de la présence d’au moins un juvénile. De la même façon, dans l’échantillon de la grotte, un talus droit de juvénile a été recensé (tab. 162). Sur huit restes dentaires comptés dans ces deux niveaux moustériens, la moitié appartiennent soit à des juvéniles (2), soit à de très vieux (2). Cette répartition est plutôt celle de proies ou de charognes de Carnivores, tels que les hyènes et les loups, capables de s’attaquer à des cerfs et focalisant généralement leurs chasses sur les individus les plus fragiles. Ceci étant, certaines bêtes peuvent aussi provenir de captures (2 matures) ou de charognages humains comme l’attestent les marques de boucherie. L’essentiel des abattages de ce Cervidé tombe en automne, juste pendant la période des accouplements où la chasse est facilitée par le manque de vigilance des harems.

A l’intérieur de la Baume, toutes les catégories d’âge des chevaux sont représentées avec une supériorité d’un individu pour les juvéniles et les matures (tab. 161 et fig. 211). Tous niveaux confondus, les juvéniles rassemblent le plus grand nombre de spécimens (3). Une fois encore, la présence confondue de proies dans la force de l’âge (matures) et de proies affaiblies (jeunes et vieux) peut signifier plusieurs scénarios différents : charognages, attaques sélectives des plus faibles par les meutes de Carnivores, ou chasses humaines opportunistes. Un indice de saisonnalité donne une période de mort au printemps, période du rut pour cet ongulé et donc de moindre vigilance. Peut-être aussi la présence du territoire des rassemblements à proximité de la Baume, dans le petit vallon parcouru à l’époque par un cours d’eau, a-t-elle pu favoriser cette période de capture. La présence des jeunes indique la traque des harems, rassemblant toutes les catégories d’âge.

Les quatre hydruntins des anciennes fouilles donnent la réunion d’un juvénile et de trois adultes, mature, âgé et sénile (tab. 161 et 162).

Les âges des bisons de forêt de Flandin dénotent plus nettement des saisies de Carnivores focalisées sur les individus les plus faibles des troupeaux. Sur les six provenant des deux assemblages, quatre sont de tous jeunes animaux d’environ un mois, abattus à la fin du printemps et deux sont des vieux (tab. 161 et 162).

Daims et rennes, herbivores de taille moyenne, livrent également des âges principalement ciblés sur les deux extrémités de la vie. Sur quatre individus, on compte deux juvéniles et un sénile (tab. 161 et 162).

Enfin, les petites proies, telles que chevreuils, chamois et sangliers offrent un cortège où les individus dans la force de l’âge sont un peu plus nombreux. On en compte trois en tout contre deux individus séniles, un sanglier et un chevreuil.

Pour ces espèces secondaires, hommes et Carnivores sont une fois encore les deux types de prédateurs envisageables. D’un côté la part des individus les plus faibles dans ces assemblages concorde tout à fait avec les tactiques de chasse des loups et des hyènes, et d’un autre, ces profils peuvent aussi révéler des captures humaines opportunistes de jeunes et de vieux mais également d’adultes ou des récupérations de carcasses abandonnées.

Dans les niveaux de la salle, la présence d’une vertèbre thoracique aux disques non soudés appartenant à une jeune hyène (tab. 162), ainsi que des restes dentaires d’un juvénile, d’un jeune adulte et d’un très vieux (tab. 163), vont dans le sens de l’utilisation de la grotte comme repaire où certains individus seraient morts naturellement. Ce même type de mort est aussi envisageable pour les ours, probablement venus hiberner puisqu’il s’agit d’un juvénile et d’un vieux. Enfin, loups, panthères et renards rassemblent des individus adultes (tab. 163). Loups et panthères ont pu faire de cet abri profond leur tanière ou leur repaire de chasse. Quant aux renards, ils sont certainement venus charogner les carcasses après leur abandon.

A l’abri du MARAS, nous avons vu que les herbivores apportés sous l’abri sont principalement des proies chassées par l’homme. Dans les couches supérieures le renne est le gibier de prédilection. Le profil obtenu pour l’échantillon de l’ensemble supérieur montre des abattages qui ne négligent aucune des classes d’âges présentes dans les troupeaux (tab. 164 et 165 ; fig. 212). Cette indication irait dans le sens des données offertes par la saisonnalité, à savoir des captures parmi les grands troupeaux rassemblés dans la vallée du Rhône lors des migrations d’automne.

A l’opposé de ce que l’on a pu observer dans les assemblages mixtes de la Baume Flandin et de Balazuc, les autres herbivores appartiennent presque tous aux trois catégories d’adultes (jeunes, matures et âgés). Seuls trois individus, un très jeune chevreuil de quatre-cinq mois, un cerf juvénile et un grand Bovidé (bison) sénile témoignent de captures de bêtes naturellement fragiles (tab. 164 et 165).

Ces répartitions accréditent le postulat d’accumulations exclusivement humaines dans ce site, à l’exception peut-être d’un ou deux individus tués par des loups.

A la grotte du FIGUIER, la mortalité de l’herbivore principal, le renne, montre une dominance des jeunes et des vieux au sein des différentes classes d’âge (tab. 166 et fig. 213). Sur huit individus, un seul appartient à la classe des matures. Néanmoins, toutes les classes sont présentes, ce qui signifie une grande diversité d’individus offerte par les troupeaux visés. Comme au Maras, les abattages ont en effet eu lieu à l’automne, lors des grands rassemblements.

Les petites proies, sangliers et chamois, se placent, quant à elles, aux deux extrémités de la durée de vie regroupant des juvéniles ou des très vieux. Par contre cette tendance ne se confirme pas chez les autres herbivores. Pour les cerfs et les bouquetins, les matures sont légèrement dominants et en ce qui concerne les grands herbivores, chevaux et grands Bovidés, toutes les classes sont à peu près réparties de façon équivalente (tab. 166 et 167).

Rappelons que le gisement du Figuier apparaît à ce stade de l’étude comme un site à accumulations mixtes, à l’image de ceux de Balazuc, des Pêcheurs et de Flandin. Les proportions en marques de dents et en stries laissées par les silex, toutes deux minimisées par la sous-représentation des restes post-crâniens par rapport aux crâniens, témoignent néanmoins de l’action multiple des Carnivores et des hommes sur le stock osseux des herbivores. Ces captures sont donc le fait de ces deux types de prédateurs. Les Carnivores ont certainement sélectionné les plus faibles, tandis que les hommes ont eu, outre celui des proies les plus vulnérables, le choix des proies adultes plus combatives.

Hyènes et loups sont représentés chacun par deux adultes matures, tandis que les ours des cavernes montrent plus de diversité, attestant de la présence d’un juvénile, d’un jeune adulte, de deux matures et d’un vieux (tab. 170). Cette grotte qui possède, en plus de la grande salle, une partie reculée desservie par un cours boyau, a dû être favorable à l’hibernation des Ursidés. Les deux restes d’oursons attestent en effet de leur utilisation temporaire de cette grotte en hiver (période des mises-bas).

A l’abri des PECHEURS, les trois bouquetins recensés sont un juvénile, un jeune adulte et un mature (tab. 168). Au regard des restes post-crâniens, la première catégorie semble beaucoup mieux représentée (tab. 171). En effet, les proportions de restes non épiphysés sont encore plus importantes que celles observées à Balazuc. Ils représentent 32 % du NRDt post-crânien. Ces données, alliées aux proportions importantes tant des restes de loups que de leurs morsures sur les ossements d’herbivores tendent à confirmer l’utilisation de cette grotte comme tanière de loups. Les hommes s’y seraient seulement brièvement arrêtés, focalisant peut-être leurs ressources sur d’autres gibiers comme les cerfs, les rennes et les chevreuils. Un germe dentaire de molaire de cerf ainsi que deux jugales faiblement usées indiquent la présence d’au moins un juvénile et un jeune adulte. Le chevreuil est aussi illustré par la présence d’un jeune adulte (tab. 168). Ces postulats rejoignent en partie ceux émis par A. Prucca (2001). Cet auteur mettait en évidence dans le secteur S4 le caractère opportuniste de la venue des hommes et des loups dans la grotte, « profitant » des carcasses, ainsi que l’intervention dominante des Carnivores sur le stock osseux. Le seul point sur lequel j’aimerai revenir est celui de l’origine de l’accumulation des bouquetins. A. Prucca (2001) soutient l’hypothèse d’un piège naturel à bouquetins (déjà émise par E. Crégut-Bonnoure en 1987), rôle qu’aurait joué le profond fossé créé à l’intérieur de la grotte. Sans omettre cette possibilité du piégeage (Prucca, 2001), ainsi que celle de morts naturelles d’animaux venus s’abriter dans la grotte lors d’intempéries, je pense que les loups ont pu être parfois les véritables acteurs de cette accumulation, chassant majoritairement les tous jeunes bouquetins vivant dans les hardes à proximité immédiate de la grotte.

L’assemblage des loups réunit un juvénile, un adulte mature et deux vieux, tandis que celui des ours correspond à un mature, et celui des renards à un juvénile, un mature et un vieux. La présence des juvéniles témoigne de l’utilisation de la grotte en tanière par les deux types de Canidés (tab. 170 et 171).

Le peu de restes déterminés au RANC POINTU n° 2 donne néanmoins quatre individus adultes au minimum pour le cerf et un pour le bouquetin (tab. 169). Le massacre de cerf indique l’abattage d’un adulte mâle dans la force de l’âge hors période de chute (hors printemps).

Notes
8.

En ce qui concerne les armes de jet utilisés par les Néanderthaliens nous utiliserons le terme « lance » employé par A. Leroi-Gourhan (1973) dans sa classification des armes de chasse, plutôt que ceux de javelot ou d’épieu.