Marques de boucherie

Etude des stries

Selon l’activité de boucherie, la proportion, la localisation et la morphologie des stries laissées par les outils varient :

  • la localisation : je me suis essentiellement fondée sur les travaux de L. R. Binford (1981) pour rendre compte des divers types de stries d’origine anthropique en fonction de leur emplacement. Je me suis donc inspirée dans un premier temps de ces travaux, ainsi que de ceux de F. Delpech & P. Villa (1993) aux Eglises, qui ont défini, pour l’étude de la répartition des stries de boucherie, des zones sur la surface osseuse. La séquence du traitement d’un cadavre se déroule généralement dans cet ordre : éviscération, dépouillement (ces deux premiers stades peuvent être inversés selon la volonté du boucher), désarticulation, découpe en filets (ou lanières) et récupération de la moelle (Binford, 1981). Chacune de ces étapes produit donc des marques d’outils lithiques dont l’emplacement et la morphologie sont caractéristiques. Ces marques sont généralement en quantité variable selon la taille de l’animal, l’habileté du boucher ou le type d’opération, le décharnement étant celle qui laisse le plus grand nombre de traces sur les surfaces osseuses. Dans la plupart des sites ayant livré une quantité suffisante de restes striés pour autoriser une étude de leur répartition sur les carcasses, les os longs, et plus précisemment les parties diaphysaires, montrent la plupart du temps les taux les plus élevés en marques de boucherie. Dans les sites magdaléniens très largement anthropisés des Eglises (Ariège ; Delpech & Villa, 1993) et de Moulin-Neuf (Gironde ; Costamagno, 2000) ces portions sont les plus touchées par le décharnement, comprenant des pourcentages oscillant entre 40 et 60 %. Dans les niveaux paléolithiques moyens du Lazaret qui livrent un taux global de restes striés assez faible, de 9 %, les os longs atteignent des taux beaucoup plus élevés, jusqu’à 27 % pour les métacarpiens (Valensi, 1991). A Biache-Saint-Vaast, les pourcentages d’os longs striés sont également les plus hauts, équivalant à 30 % (Auguste, 1995). Dans l’ensemble inférieur du site paléolithique moyen des Pradelles (Charente), qui est l’ensemble le plus affecté par l’action des hommes, l’abondance des stries de boucherie se révèle sur les fragments diaphysaires d’os longs qui comptent pour certains segments charnus jusqu’à près de la moitié de leurs restes striés (Costamagno et al ., 2005).
  • la morphologie des stries : en m’appuyant sur les catégories établies par P. Valensi (1991) pour la faune du Lazaret, j’ai pris en compte les critères suivants :
    • le nombre de stries par ensemble
    • la longueur (longue, moyenne ou courte)
    • la largeur (très fine, fine ou épaisse)
    • la profondeur (superficielle, peu profonde ou profonde)
    • l’allure (droite, incurvée ou courbe)
    • la relation entre les ensembles de stries (stries superposées, intercalées parallèles ou intercalées non parallèles)
    • l’orientation des stries par rapport au grand axe de l’os (perpendiculaire, oblique, parallèle)

Grâce à l’interprétation de leur localisation et à l’observation de leur morphologie, cinq types de stries sont a priori distinguables :

  • les marques d’éviscération : dans certains cas, des stries observées sur la partie ventrale des côtes ou des vertèbres sont la preuve de l’éviscération de l’animal.
  • les marques d’écorchement : les extrémités du corps de l’animal sont généralement les plus touchées par l’enlèvement des peaux. Celles des membres antérieurs et postérieurs (métapodes et phalanges) présentent le plus souvent des stries encerclant l’os et perpendiculaires à l’axe de ce dernier. Ces stries correspondent pour la plupart à la première étape du dépouillement. Un deuxième emplacement des marques se situe au niveau du crâne. Ainsi, la base des chevilles osseuses, les zones autour des oreilles et de la bouche, particulièrement la partie mentonnière de la mandibule, sont des parties anatomiques pouvant révéler des stries caractéristiques de cette étape. Dans le cas d’une volonté de récupération des peaux, tous ces éléments peuvent montrer des marques. Ce n’est pas tout le temps le cas, notamment lorsque le dépouillement ne constitue qu’une étape préalable au traitement boucher de l’animal (Binford, 1981).
  • les marques de désarticulation : ce sont celles qui sont généralement les plus nombreuses. Ces marques se situent au niveau des zones d’articulation du squelette (épiphyses). Elles sont généralement perpendiculaires à l’axe de la diaphyse.
  • les marques de découpe de la viande ( filleting ) : les marques de découpe en lanières se situent la plupart du temps seulement au niveau des vertèbres lombaires (filets), de la scapula, du pelvis et des segments supérieurs des membres. Elles sont parallèles à l’axe de la diaphyse, ou en oblique, et peuvent être de deux types. De longues stries initiales orientées longitudinalement sont associées à d’autres stries plus courtes et obliques, attribuées à l’action de séparer la viande de l’os au niveau des insertions musculaires.
  • les marques de raclage (ou scraping marks ) : certaines pratiques, comme par exemple celles des Nunamiut, consistent à «nettoyer» la surface d’un os avant la fracturation. Il s’agit en fait d’ôter une partie du périoste ainsi que les muscles et les tendons pouvant gêner la percussion. Cette préparation produit de courtes marques parallèles très rapprochées les unes des autres. Je leur ai également associé les longues stries fines et superficielles, parallèles à l’axe de l’os, retrouvées notamment le long des métapodes. Certaines marques de filleting peuvent parfois se confondre avec ces marques de raclage.

L’expérimentation de boucherie que j’ai mené sur une jeune daine (Dama dama) du Parc de la Tête d’Or à Lyon (photos 92 à 95) m’a notamment permis de prendre conscience de l’ambiguïté qui existe toutefois entre l’emplacement des stries et l’action bouchère à son origine. Cette remarque n’est bien entendue pas nouvelle et a déjà été observée maintes fois au cours d’expériences similaires, comme celle de J.-F. Bez (1995) sur des carcasses de chèvre, de bélier et de cheval ou encore celle de P. J. Nilssen (2000) sur des petits et des grands Bovidés d’Afrique du Sud. L’utilisation de codes ou de zones de quadrillage évoquée plus haut (Binford, 1981 ; Delpech & Villa, 1993), sera donc complétée avec une étude qualitative qui prendra en compte également les surfaces précises d’insertions musculaires, utilisant pour ce faire une nomenclature anatomique détaillée qui rendra compte de façon plus précise de la relation entre l’acte et sa conséquence sur la surface osseuse. La nomenclature bouchère sera ici aussi employée en correspondance avec l’anatomique, afin de mieux visualiser les morceaux découpés (fig. 215 et tab. 173). Pour ce faire, je me suis inspirée des travaux de F. Poplin (1972), P. Valensi (1991), J.-F. Bez (1995) et C. Thielin (2001). L’étude des stratégies bouchères sera effectuée pour toutes les espèces d’herbivore traitées par l’homme et, au sein de ces dernières, pour chaque type d’os et leurs diverses portions. Ainsi, les taux de stries de boucherie pour les os longs seront calculés selon leurs trois principales parties : épiphyse proximale, diaphyse et épiphyse distale, ceci de façon à mieux visualiser les effectifs réels. Les stries de décarnisation étant situées généralement sur toute la longueur diaphysaire, il ne m’a pas semblé crucial de distinguer plusieurs régions osseuses pour cette portion comme cela avait été fait par F. Delpech & P. Villa (1993) aux Eglises. J’ai préféré, comme je l’ai déjà dit, compléter mon analyse de la répartition des traces de boucherie par une étude précise couplant les endroits marqués aux zones d’insertion musculaire.

Par ailleurs, l’étude des stratégies de chasse et de boucherie chez un groupe d’Evenki du nord de la Russie a permis, entre autre, à Y. Abe (2005) de mettre en évidence que des pratiques culinaires telles que le bouillon pouvaient entraîner des erreurs d’interprétation à la lecture de l’emplacement des stries. Des os bouillis ne laissent en effet apparaître que les marques de désarticulation. Or, une telle répartition observée sur un site archéologique indiquerait a priori une séquence de consommation secondaire par les hommes ou du moins un traitement seulement partiel des carcasses. Le contexte global du site étudié (modes d’accumulation, stratégies cynégétiques, transport…) sera donc pris en compte dans la synthèse des études des stratégies bouchères.