Modes de fracturation des carcasses

A la BAUME DES PEYRARDS , un seul os long entier d’herbivore avait été répertorié dans l’analyse du degré général de fragmentation de l’assemblage. Outre l’exploitation intensive de leurs matières tendres (chairs et peaux), observée grâce à l’étude des stries de boucherie, les bouquetins ont également connu une récupération quasi systématique du contenu de leurs os à moelle dans l’ensemble de l’assemblage, le taux total exact de 76,8 % dépasse les trois-quarts des restes. Ces fractures sont associées pour 42 % d’entre elles à des points d’impact (tab. 262). J’ai choisi d’étudier l’évolution de cette fracturation au sein de la séquence pour chacun des principaux éléments anatomiques (tab. 264 et 265).

  • Mandibules : dans tout l’assemblage, sur les 188 fragments d’hémi-mandibules nous avons pu en dénombrer 39 comportant des fractures faites sur os frais. Tous les niveaux en renferment dans des proportions diverses. Les points d’impact, relevés sur 20 fragments, sont généralement localisés le long de la base de la branche horizontale.
  • Vertèbres et côtes : deux points d’impact ont pu être relevés en arrière d’un processus articulaire de vertèbre cervicale (ensemble supérieur a) et au niveau de l’arête de la surface articulaire crâniale d’un axis (ensemble indéterminé). Ces coups portés au niveau du cou ont sans doute servi à la désarticulation. De la même façon, 22 côtes issues des divers échantillons comptent des encoches corticales et impacts en V dans leur partie proximale. Le détachement du train-de-côtes par des procédés de percussion peut là aussi être envisagé (cf. communication orale J.-D. Vigne).
  • Ceintures : dans toute la séquence, des points d’impact ont été localisés au niveau du col, sur les bords antérieur et postérieur de quatre scapulas. 23 coxaux ont été cassés par des outils lithiques. Parmi eux, 9 l’ont été au niveau de la surface d’insertion du muscle droit de la cuisse, 7 juste en dessous de l’acetabulum et 7 le long de l’ilium. Ces marques, pour la plupart situées sur le pourtour de l’acetabulum, ont pu participer à la séparation coxo-fémorale.
  • Humérus : partout, à l’exception des petits échantillons de l’ensemble inférieur et de l’ensemble supérieur indéterminé, les humérus ont été fracturés par l’homme pour plus des trois-quarts de leurs restes, jusqu’à 90,5 % dans l’ensemble supérieur a. Globalement, plus d’un tiers de ces fractures sur os frais sont accompagnées d’un point d’impact. Ces derniers se situent majoritairement le long des épicondyles latéral et médial. Quelques autres ont été localisés sous la crête humérale, sous la tubérosité du grand rond et sur le bord médial de la fosse coronoïdienne. A Mauran, F. David & C. Farizy (Farizy et al. , 1994) ont montré que les deux zones majeures de fracturation des humérus de bisons se situaient dans la partie proximale entre les tubérosités deltoïdienne et d’insertion du grand rond, et dans la partie distale, sur la face médiale de la trochlée.
  • Radio-ulnas : le seul os long entier d’herbivore découvert dans ce gisement est un radio-ulna gauche de juvénile. Mis à part dans l’ensemble supérieur a, où seulement 61,1 % des radio-ulnas portent des fractures sur os frais, dans le reste de la séquence les taux sont les mêmes que pour les humérus, à savoir plus des trois-quarts qui ont été éclatés pour leur moelle. La fréquence des points d’impact est également assez similaire à ce que nous avons pu observer pour le stylopode. Exception faite de quelques concentrations d’encoches au niveau de la tubérosité du radius, le long du bord postérieur de l’ulna et du bord latéral du radius, de nombreux impacts ont été disséminés sur toute la superficie des faces antérieure et postérieure de cet os. A Mauran, sur cet os, les coups ont été principalement portés dans les parties proximale et distale de la face antérieure.
  • Carpe : sur les 23 os courts, seuls quatre ne sont pas entiers. Parmi ces fragments, deux portent des cassures nettes opérées par l’homme. Il s’agit d’un hamatum et d’un capitato-trapézoïde provenant de l’ensemble supérieur indéterminé et de l’échantillon indéterminé.
  • Métacarpe : dans tout le gisement, environ les trois-quarts des métacarpiens ont été éclatés par les hommes, sauf pour les quelques restes de l’ensemble supérieur indéterminé qui l’ont été seulement pour la moitié. Les proportions des points d’impact associés varient de 0 % dans l’ensemble inférieur et l’ensemble supérieur b à presque 50 % dans l’ensemble indéterminé. Répartis le long des gouttières, les coups ont souvent été portés sur leurs bords saillants.
  • Fémurs : les fémurs sont parmi les os qui ont été les plus exploités pour leur moelle, tous les grands échantillons en rassemblent près de 90 %. Les coups portés ont laissé des traces sur près de 35 à 65 % des cassures. La grande majorité des encoches répertoriées se situent le long de la surface âpre et du bord antérieur des segments diaphysaires. Au contraire, à Mauran, ce sont les faces latérale et médiale qui concentrent le plus grand nombre de dommages.
  • Tibias : de tous les os longs, ce sont les tibias qui ont été le plus victime de la fracturation. Partout, plus de 90 % portent des cassures sur os frais. La moyenne dépasse même les 95 %. Leur association avec des points d’impact est également légèrement plus importante que pour les autres segments des membres. Globalement des traces de percussions sont présentes sur près de 45 % des os cassés. Les deux zones de prédilection semblent avoir été les crêtes tibiales et la partie du bord latéral sous-jacente au foramen nourricier. Quelques-unes ont toutefois pu être relevées dans la partie médiale de la face postérieure. Ces mêmes zones de percussion ont pu être relevées sur les tibias de bison de Mauran, à ces derniers il faut toutefois y ajouter la partie distale de la diaphyse également fréquemment brisée.
  • Tarse : les os du tarse ont subi plus de cassures humaines que les petits os du carpe. Ces cassures au niveau des articulations ne seraient pas exclusivement liées à des opérations nutritionnelles, mais également à des coups portés de façon à faciliter certains procédés de désarticulation. Mis à part un cubo-naviculaire, ce sont essentiellement des talus et des calcanéums qui en ont été victimes. Ils comptent chacun quatre fragments. Les deux seuls points d’impact observés sont localisés dans la partie inférieure de deux bords antérieurs de calcanéums.
  • Métatarse : les métatarsiens ont été plus fréquemment fracturés que les métacarpiens, respectivement 89,5 % contre 74,4 %. Par contre, les coups y ont laissé moins de traces associées. Leurs emplacements sont en revanche similaires à ceux observés sur les métacarpiens. Notons que sur les cinq canons de bouquetins qui composent l’ensemble médian, trois métatarsiens ont des fractures sur os frais, dont l’une est associée à un point d’impact d’outil lithique.
  • Phalanges : les proportions de phalanges qui ont été ouvertes pour leur moelle décroissent de façon logique des premières aux troisièmes. De façon générale, un peu plus de la moitié des premières phalanges affichent des cassures sur os frais, contre seulement le quart des secondes et un seul spécimen pour les troisièmes. Les quelques encoches d’impacts sont situées sur les deux faces antérieure et postérieure des diaphyses. Les phalanges, comme les métapodes des grands Bovidés de Mauran ont été très peu fracturés.

Selon les ensembles stratigraphiques, l’intensité de l’exploitation des ressources en moelle jaune des carcasses varie. A l’inverse de ce que nous avions pu observer pour la répartition des traces d’exploitation bouchère sur les surfaces osseuses, inexistantes sur les os de bouquetin de l’ensemble inférieur, plus de 85 % de leurs os à moelle dans cet échantillon ont été cassés par les hommes. La récupération de la viande des bouquetins n’a pas non plus pu se faire par les Carnivores, puisque seule une extrémité proximale ingérée témoigne de leur action sur ce petit Bovidé. Peut-être sommes-nous alors en présence de préparations culinaires qui n’ont pas laissé d’empreinte sur les surfaces (viande bouille ou rôtie avec l’os) ? Au sein des trois ensembles supérieurs, l’ensemble supérieur a est celui qui a connu le moins d’os fracturés avec 67,8 %, contre 76,3 % et 71,8 % respectivement dans les ensembles supérieurs b et c-d. Si nous observons plus précisément les taux pour chaque élément osseux, les phalanges et les mandibules exploitées pour leur moelle sont également moins fréquentes dans ce niveau. Or, en période de pénurie alimentaire, ce sont les parties qui conservent le plus longtemps leurs ressources en graisse (Speth 1987a,b), leur exploitation moindre pourrait alors révéler des conditions environnementales plus clémentes. Rappelons que l’ensemble supérieur a s’est formé pendant une période plus tempérée que pour les autres ensembles. Par contre, en regard des périodes d’occupation, les ensembles supérieurs a et c-d affichent les mêmes saisons, à savoir des présences de la fin de l’été à l’hiver. Seul l’ensemble supérieur b, où les plus forts taux de fracturation sont observés, montre des venues exclusives pendant la saison froide.

La fracturation des os à moelle jaune de cerf a été encore plus pratiquée que sur ceux des bouquetins (tab. 262, 266 et 267). D’autant plus que les rares épiphyses présentes dans le gisement fournissent à elles seules la majeure partie de la catégorie des fragments non fracturés par les hommes. Globalement, ils ont cassé 84,2 % des os à moelle. Les points d’impact associés sont également plus fréquents. Plus de la moitié des fragments en comptent (53,6 %). Cette multiplicité est sans doute liée à la plus grande difficulté d’ouverture des ossements du grand Cervidé par rapport à ceux plus petits et moins résistants du petit Bovidé.

  • Mandibules : seuls neuf fragments d’hémi-mandibules, sur les 26 recensées dans toute la séquence, ont connu une fracturation humaine (34,6 %). Les cinq encoches observées sont réparties le long de la base de la branche horizontale au niveau des quatrièmes prémolaires et des premières molaires.
  • Vertèbres et côtes : deux côtes de cerf provenant de l’ensemble supérieur a affichent des marques d’impact sous leur tubercule. Elles pourraient témoigner de leur détachement du tronc.
  • Ceintures : trois omoplates des ensembles supérieurs a et c-d ont subi des coups portés au niveau de leur extrémité proximale, deux sous le tubercule supraglénoïdal et un sous le foramen sur le bord postérieur. Une face ventrale de pubis issue de l’échantillon indéterminé compte également une encoche.
  • Humérus : seuls sept fragments d’humérus sur les 59 dénombrés n’ont pas été fracturés par les Néanderthaliens (88,1 % le sont). C’est l’os qui compte le plus d’encoches associées aux fractures (67,3 %). Sur les 35 décomptés, trois zones de percussion privilégiées se dégagent. Dans l’ordre d’importance, il s’agit de la face médiale au niveau de la tubérosité du grand rond, de la crête humérale et des épicondyles latéral et médial. Elles correspondent toutes à des régions osseuses saillantes sur lesquelles de nombreux muscles viennent s’insérer. D’autres impacts, plus rares, ont aussi pu être remarqués sous la surface articulaire proximale et au niveau de la fosse coronoïdienne.
  • Radio-ulnas : la systématisation des fractures est à peu près la même sur les radio-ulnas que sur les humérus. Les traces laissées par les coups sont en revanche moins nombreuses. Une nette supériorité des impacts localisés au niveau de la tubérosité du radius (huit), sur ceux du bord latéral (3), du relief latéral d’insertion (2) et de l’ulna (5), nous informe d’une réelle récurrence des gestes. Une encoche observée sur le bec de l’olécrâne (processus anconé) m’a fait penser au procédé de désarticulation du coude par hyper-extension et arrachement, évoqué lors d’une communication orale par S. Costamagno (Table Ronde sur la taphonomie, Toulouse, 2005).
  • Carpe : le cerf ne compte aucun os court des membres antérieurs.
  • Métacarpe : les métacarpiens ont été les plus affectés par la récupération de la moelle, puisqu’un seul os sur les 36 repertoriés est dénué de cassures sur os frais. Plus de la moitié présentent des traces d’impact, la plupart de ces derniers sont en V et se répartissent le long des gouttières.
  • Fémurs : la proportion de restes fracturés pour ces os, parmi les plus riches en moelle avec les humérus, est légèrement supérieure à celle des stylopodes des membres avant, à savoir 91,3 %. Les quatre seuls os qui n’indiquent pas de processus de récupération de la moelle sont des épiphyses distales. Les 26 fragments renfermant des traces de percussion (61,9 % des os fracturés) mettent en évidence une répartition assez homogène des points d’impact sur toute la surface diaphysaire.
  • Tibias : les taux de tibias fracturés confirment ce que nous avions pu observer pour les fémurs, à savoir une fréquence légèrement plus élevée de fracturation pour les segments des membres postérieurs par rapport à ceux des membres antérieurs. La moitié des six restes non fracturés sont des épiphyses distales et proximales. Sur les 41 zones de percussion recensées, 24 sont réparties le long du bord latéral de part et d’autre du foramen nourricier, sept le long du bord et de la face médiale, six sur la face postérieure, trois sur la crête tibiale et un au niveau de l’extrémité distale. Comme sur les radio-ulnas, ces nombres permettent de mettre en évidence une zone de fragilité favorite. Les coups les plus systématiquement portés sur les tibias ont été orientés sur l’arête du bord latéral.
  • Tarse : parmi les sept talus et calcanéums qui ont connu des impacts d’outils lithiques, trois (deux talus et un calcanéum) ont pu être remontés grâce à des cassures sur os frais. Le segment ainsi remonté permet de distinguer trois coups portés sur les faces latérale et plantaire des talus et sur la face plantaire du calcanéum.
  • Métatarse : 91,8 % des métatarsiens ont été fraîchement fracturés et 42,7 % d’entre eux portent des traces des impacts infligés aux diaphyses le long de leurs gouttières.
  • Phalanges : trois phalanges ont été ouvertes. L’une des deux deuxièmes phalanges a livré une marque de heurt sur son bord antérieur.

Trois extrémités d’andouillers, parmi lesquelles on compte le fragment strié issu de l’ensemble supérieur indéterminé, portent des traces nettes d’impacts, similaires à celles produites par un outil lithique. Deux proviennent de l’ensemble supérieur a et de l’ensemble indéterminé.

La répartition des proportions d’os de cerf cassés au sein de la séquence nous informe de la même légère sous-représentation pour l’ensemble supérieur a. 85 % le sont dans ce dernier, contre 92,9 % en b et 88,1 % en c-d. Sur les 23 os à moelle répertoriés dans l’ensemble inférieur, 17 montrent des fractures sur os frais. Chez le cerf aussi, les canons, comme tous les autres os longs ont été méthodiquement brisés. Rappelons que la graisse de la moelle des parties distales des membres est la plus riche en acides gras non saturés (Speth, 1987a,b ; Morin, 2007). Mandibules et phalanges l’ont seulement été pour un peu plus du tiers de leurs restes rapportés à l’habitat, et quelques os du tarse ont été fracassés.

Comme les autres herbivores, les carcasses de chevaux n’ont pas échappé au fracassement habituel de leurs os à moelle jaune. Dans toute la séquence, 76,3 % d’entre eux, soit 106 sur 139, présentent des cassures effectuées sur os frais (tab. 262, 268 et 269). Les os longs et la seule phalange présente ont connu une fracturation qui représente des taux supérieurs à 80 %, atteignant même les 98 % pour les tibias. Sur les neuf os longs non fracturés, huit sont des épiphyses. En revanche, ce qui est frappant est le faible nombre d’hémi-mandibules (seulement 2 sur 23) dont la pulpe médullaire ait été consommée. Sur les onze humérus portant des traces d’impact, neuf montrent des concentrations le long des épicondyles médial et latéral et de la crête épicondylaire, et deux autres sur la tubérosité du grand rond et sous le foramen nourricier du bord postérieur de la diaphyse. La plupart des heurts observés sur les radio-ulnas se sont portés dans leur partie proximale, sur le bord postérieur de l’ulna. Les fémurs ont tous été percutés dans la partie médio-distale de leur face postérieure, sous le troisième trochanter, le long de la fosse supra-condylaire ou de part et d’autre du foramen nourricier de la face antérieure. Les zones principales d’encoches sur les tibias se situent le long du bord latéral, dans la partie sous-jacente au foramen nourricier, à la naissance de la ligne poplitée sur le bord médial et dans la partie proximale de la face postérieure. Les quatre canons avec traces de percussion sont des parties diaphysaires médiales. Deux côtes affichent des encoches dans leur partie proximale au niveau de leur angle et quatre scapulas comptent des points d’impact en V sur le pourtour de leur cavité glénoïde. Sur les quatre coxaux fracturés, trois mettent en évidence des coups frappés au niveau du col de l’ilium. F. Delpech & P. Villa (1993) évoquaient la même opération de détachement de l’aile iliaque pour les bouquetins de la grotte des Eglises. L’autre impact se situe en arrière de l’acetabulum sur la face ventrale.

77 restes à moelle jaune sur les 102 recensés pour les chevreuils ont été fraîchement fracturés par les hommes (tab. 262, 270 et 271). Précisons que sur les neuf fragments d’os long dépourvus de cassures nous dénombrons six épiphyses contre seulement trois morceaux diaphysaires. La seule première phalange répertoriée a été brisée. Par contre, aucun des cinq os du tarse et des cinq fragments d’hémi-mandibules n’affiche de traces de percussion. Deux omoplates comptent des encoches juxtaposées au foramen sur le bord postérieur. Pour ce qui est des os longs, les humérus ont été heurtés dans leur partie distale, sur les épicondyles et au-dessus de la fosse coronoïdienne. Quatre radius ont des marques sur toute la circonférence de la diaphyse proximale. Exception faite d’un point d’impact le long d’une face latérale de fémur, tous les autres ont été localisés le long de la surface âpre de cet os. Les tibias en rassemblent la plupart sur le bord latéral, de part et d’autre du foramen nourricier (huit sur neuf). Aucune mandibule brisée n’a été là non plus recensée.

Sur les 66 mandibules, os longs et os courts appartenant au chamois dans toute la séquence, 48 portent des fractures sur os frais, ce qui équivaut à un taux de 72,7 % (tab. 263). Parmi eux nous observons trois hémi-mandibules sur douze avec des traces de percussion sous le processus condylaire et dans la partie antérieure au niveau de l’arête supérieure du segment interalvéolaire et de la base de la branche horizontale. Elles sont associées à deux calcanéums avec des points d’impact au niveau du processus coracoïde et le long du bord antérieur (NRDt=3), et à deux première et deuxième phalange brisées (NRDt=4). Les 41 débris d’os longs sur les 47 décomptés au total, comprennent quatre fragments d’humérus, six de radio-ulnas, trois de métacarpiens, quatorze de fémurs, huit de tibias et six de métatarsiens. De façon générale, plus de la moitié des os éclatés, précisément 24 fragments parmi les 48, ont des cassures accompagnées de traces de percussion. Leurs emplacements sur les diaphyses d’os longs sont les mêmes que sur ceux des chevreuils. Un coxal porte aussi une trace de heurt au niveau du col de l’ilium.

Un peu moins de la moitié (45,5 %) des 22 os à moelle jaune d’aurochs ont été ouverts par les Néanderthaliens, ce qui représente 10 fragments (tab. 263). Ils comptent deux branches montantes d’hémi-mandibules et huit os longs (3 humérus, 2 radio-ulnas, 1 tibias, 1 métatarsien et 1 métapode), le NRDt atteignant respectivement dix et onze pour ces deux catégories d’os. La seule troisième phalange est dénuée de toute trace de coup. Globalement, six de ces dix restes comptent des traces de percussion qui confirment l’action humaine. Les deux mandibules affichent deux encoches le long de leur bord antérieur et sur les os longs, quatre sont répartis sur les zones cruciales déjà observées sur les diaphyses : sur une crête humérale et au niveau de la tubérosité du grand rond pour les humérus, le long du bord postérieur de l’ulna et sur l’arête médiale du radius. En plus de ces os, il faut ajouter un fragment de corps médian de côte avec une fracture sur os frais.

Sur les deux seuls restes osseux de sanglier contenant de la moelle (deux mandibules), une branche montante d’hémi-mandibule provenant de l’ensemble supérieur c porte une encoche de fracturation sur os frais.

La fracturation humaine des restes osseux aux Peyrards a donc concerné non seulement toutes les proies rapportées à l’habitat, mais également tous les types d’os contenant de la moelle. L’éclatement de tous les os longs d’herbivores a été systématique, des segments supérieurs aux canons, tandis que les phalanges et les mandibules ont été brisées pour un peu plus du tiers d’entre elles chez les bouquetins, les cerfs et les chamois. Pour les chevaux et les chevreuils, le nombre de cassures recensées est par contre quasi-nul. Rappelons que selon J. D. Speth (1987 a, b), la graisse de la moelle de ces parties est la dernière à disparaître. Leur fracturation permettrait donc de sous-entendre, soit une exploitation optimale des carcasses, soit, comme l’a suggéré S. Costamagno (1999a) pour le site magdalénien de Saint-Germain-la-Rivière, l’abattage d’animaux en mauvaise condition physique. Pour aller plus loin, on pourrait faire de cette caractéristique un critère de saisonnalité, à savoir des venues plus fréquentes au cours des périodes froides et, dans le cas d’une moindre fracturation des parties distales du squelette, une exploitation des carcasses durant la belle saison. Aux Peyrards, pour les bouquetins et les cerfs, ce postulat concorderait avec les périodes privilégiées d’abattage de ces herbivores, à savoir des chasses plus fréquentes de la fin de l’été à l’hiver.

Des zones de percussions privilégiées ont pu être rapidement délimitées sur les os longs, souvent situées au niveau des arêtes et bords saillants offerts par les reliefs osseux. Elles sont la conséquence de gestes récurrents qui permettent d’y percevoir une extraction intensive de la moelle (Costamagno, 1999a). Comme F. Delpech & P. Villa (1993) l’avaient constaté aux Eglises, la cassure des os n’est pas toujours liée ici non plus à la récupération de la moelle mais a aussi été observée lors d’opérations de mise en pièces de la carcasse, comme au niveau des vertèbres du cou, des extrémités proximales de côte, des os courts du tarse et des ceintures. Ces auteurs ont également envisagé d’assimiler certaines des percussions localisées sur ces parties spongieuses de carcasse à la préparation de morceaux pour des bouillons. Nous reviendrons sur cette pratique dans le chapitre suivant.

A la grotte SAINT-MARCEL, l’extrême rareté des extrémités d’os longs, ainsi que des os courts et spongieux, entrave nettement la connaissance des coups portés dans ces zones et contribue à augmenter les proportions d’os fracturés puisque ce sont principalement ces régions qui offrent le moins de dommages liés à des cassures sur os frais.

L’étude préalable de la fracturation des ossements de cerf de l’ensemble 7 (Daujeard, 2002, 2003, 2004, 2007a) nous permet de rappeler brièvement les résultats obtenus alors. Les hommes ont consommé la moelle de presque tous les os longs de cerf provenant de cet ensemble. L’abondance de la fracturation intentionnelle observée sur les ossements de cerf vient confirmer l’exploitation intensive des carcasses ramenées sur le site. Plus de 80 % des os cassés ont leurs fractures associées à des points d’impact. Ces derniers sont sous forme de cupules d’écrasement ou d’enlèvements corticaux. Ces fractures sont caractéristiques d’impacts portés intentionnellement sur les os frais dans le but de récupérer la moelle. L’absence de traces de Carnivores sur les ossements permet d’attribuer cette fracturation à l’homme. Aucun os long n’a été retrouvé entier. Dans la somme des gestes effectués lors de l’opération de récupération de la moelle, les hommes devaient dans un premier temps détacher les extrémités des os longs. Seuls 4 % des fragments de diaphyse d’os longs sont rattachés à une extrémité. Les diaphyses devaient donc être séparées de leurs épiphyses avant d’être fracturées ; et cela avec le moins de coups possibles afin de récupérer la moelle le plus parfaitement possible (Aimene, 1998). Environ 20 % des fragments d’os longs ont une longueur supérieure à 10 cm, ce qui témoigne de cette première phase de fragmentation. L’étude détaillée des divers os des membres avait permis d’effectuer les remarques suivantes (Daujeard, 2004) :

  • Les humérus : tous sont fracturés. L’absence d’extrémité proximale biaise l’appréhension des gestes effectués. Nous pouvons en revanche en déduire un détachement systématique de cette extrémité. F. David & C. Farizy (Farizy et al., 1994) remarquent également le même procédé sur les humérus de bisons à Mauran. Dans les deux sites, des fragments sont en revanche rattachés à l’extrémité distale. Nous avons pu noter l’abondance des impacts portés en face antérieure sur la tubérosité deltoïdienne. Sur la face postérieure, au niveau de l’extrémité distale, de nombreux points d’impacts se situent juste au-dessus de la trochlée, sur les épicondyles latéral et médial. Les hommes s’aidaient donc des parties saillantes pour diriger leurs coups.
  • Les radio-ulnas : la quasi totalité des fragments présentent une ou plusieurs fractures anthropiques. Sur la face antérieure, nous avons pu reporter des points d’impact tout le long de la diaphyse. Aucun fragment n’est rattaché à l’extrémité distale, mettant là aussi en évidence son détachement systématique. A Mauran au contraire, c’est l’extrémité proximale qui a été enlevée. L’ulna a été détachée, de nombreux coups ont été portés sur la face postérieure. Sur la face antérieure, des impacts se situent au niveau de la tubérosité bicipitale et au milieu. Les coups les plus fréquents sont sur les bords latéral et médial de la diaphyse. Plusieurs points d’impact sont répartis le long du bord saillant de l’ulna.
  • Les fémurs : un seul spécimen n’a pas été fracturé par l’homme. Les deux extrémités des fémurs ont été systématiquement détachées. Sur la face antérieure, les coups ont été principalement portés sous le petit trochanter pour détacher l’extrémité proximale, et d’une manière plus générale dans la partie supérieure de la diaphyse. Sur la face postérieure, les coups ont été donnés dans la partie inférieure de la diaphyse, le long de la ligne âpre et au niveau des tubérosités, pour séparer l’extrémité distale.
  • Les tibias : les nombreux fragments de diaphyses de tibia m’ont permis de dégager des zones de percussions privilégiées (seuls 2 sur 85 n’ont pas été fracturés pour leur moelle). Là aussi, les deux extrémités ont été séparées de la diaphyse. Sur la face postérieure, de nombreux coups ont été portés de part et d’autre du trou nourricier. D’autres sont situés de façon plus éparse le long de la diaphyse. L’observation de la face antérieure montre une concentration de points d’impacts sur la crête tibiale.
  • Les métapodes : à la différence de Mauran, où très peu de métapodes sont fracturés, à Saint-Marcel tous le sont. P. Valensi (1994) note également pour le Lazaret l’abondance des métapodes fracturés. L’intensité de la fracturation de ces os pourtant assez pauvres en moelle peut s’expliquer par les besoins nutritifs des hommes à la fin de l’hiver et au début du printemps. Les besoins en graisse à cette époque de l’année sont très importants, or à la sortie de l’hiver les animaux sont maigres. La moelle est sur ce point particulièrement importante, car riche en lipides. La récupération de la moelle à cette période était une opération indispensable (Speth, 1987). Les canons auraient donc été rapportés et exploités sur le lieu d’habitat pour leurs ressources en moelle. La plupart des points d’impact se situent le long de la diaphyse de part et d’autre de la gouttière et à l’extrémité proximale. Quelques fragments sont rattachés à l’extrémité proximale et aucun à l’extrémité distale.
  • Les phalanges : les trois quarts des phalanges ont des fractures à bords lisses associées à des points d’impact. Il est fréquent d’observer la fracturation des phalanges, notamment dans les sites magdaléniens (Costamagno, 2000). Le besoin en graisse et en moelle des hommes venus à Saint-Marcel devait être particulièrement important.

Ainsi les extrémités des os longs étaient systématiquement séparées de la diaphyse. Les hommes fracturaient l’os en s’aidant des points saillants présents sur les diaphyses. Tous les os longs, y compris les os canons et les phalanges étaient fracturés pour récupérer la moelle.

Quelques mandibules présentent des fractures à bords lisses associées à des points d’impact. L’exploitation de ces parties pour leur moelle nous montre combien les hommes venus à Saint-Marcel étaient « économes ». On a en effet l’impression que rien n’a été laissé sans avoir été au préalable utilisé d’une manière ou d’une autre. Cette impression est récurrente dans toutes les couches de l’ensemble 7.

Tout comme le cerf, les autres espèces de cet ensemble ont été intensément exploitées. Aucune circonférence d’os longs de chevreuil n’est complète et tous montrent des fractures caractéristiques d’impacts humains sur os frais. La grande majorité des pièces des membres de Bovinés, chevaux, bouquetins et daims rapportés sous le porche ont des traces de récupération de la moelle.

L’étude globale de la fracturation des os de cerf entreprise au cours de ce travail (couches supérieures, inférieures et couche u) montre nettement une diminution du taux d’ossements fraîchement brisés depuis les couches supérieures jusqu’à la couche u (tab. 272). L’augmentation de la part des fragments épiphysaires d’os longs, des couches superficielles vers les couches profondes, déjà remarquée lors de l’analyse de la fragmentation (chp. 3.4.1.), n’est pas pour rien dans cette évolution. En effet, les quelques ossements non fracturés appartenant à ces différents échantillons sont composés pour une large part de ces parties articulaires. De façon à n’observer que la variation de la fracturation des diaphyses d’os longs de cerf, j’ai extrait de mes calculs les épiphyses, les mandibules et les os courts. Les proportions obtenues corroborent les résultats précédents, à savoir une diminution effective, quoique moins accentuée, des proportions de fragments diaphysaires à cassures sur os frais depuis les couches superficielles jusqu’aux couches profondes : précisément 92,6 % dans les couches supérieures, 90,4 % dans les couches inférieures et 88,2 % dans la couche u.

De la même façon, le taux assez bas de restes de daim avec fractures sur os frais provenant de la couche u (tab. 272) est surtout lié au nombre plus important d’os courts, de mandibules et d’épiphyses, puisqu’une fois enlevé ces os, le taux de diaphyses fracturées atteint 91,6 %, ce qui équivaut à ce que nous avons pu observer pour le cerf. Dans toute la séquence, les diaphyses d’os longs de cerf et de daim ont donc fait l’objet d’une extraction intensive de leur moelle. Dans la couche u, les mandibules et les os courts des articulations des daims sont les parties qui ont été les moins touchées par les chocs d’outils lithiques. Par contre, canons et phalanges les ont largement subis. Si l’on s’intéresse à la saisonnalité de ces deux Cervidés dans les couches profondes, on s’aperçoit que les cerfs n’ont été abattus qu’à la mauvaise saison, tandis que la mortalité des daims de la couche u s’étale de l’été à l’automne. Or, contrairement à ce que nous avions pu entrevoir aux Peyrards, la fracturation ne soutient pas cette répartition annuelle des occupations du porche. Dans ces niveaux et chez les deux espèces, la récupération des contenus médullaires est une étape méthodique de l’alimentation des Néanderthaliens, quelles qu’aient été les saisons de campement.

Nous allons maintenant procéder à l’étude couplée de la localisation des points d’impact sur les différents types d’os fracturés pour les cerfs des couches supérieures, inférieures et u, et pour les daims de la couche u. Les encoches et détachements corticaux associés aux cassures se sont révélés très nombreux dans cet assemblage. Leurs taux dépassent largement la moitié des restes fracturés (tab. 273 et 274).

  • Mandibules : chez le cerf, les mandibules ont été très fréquemment fracturées dans les couches supérieures et inférieures. Parmi les dix hémi-mandibules brisées de cerf, six comptent des marques de percussion, tandis que sur les six de daim, quatre en ont. Tous les points de percussions sont situés le long de la base de la branche horizontale.
  • Vertèbres et côtes : dans les couches supérieures, trois extrémités proximales de côtes et une épine dorsale de vertèbre thoracique présentent des encoches sur os frais. Ces coups sont sans doute liés au détachement du train-de-côtes pour les premières et à la confection de morceaux pour le bouillon pour la dernière. Aucun os de daim provenant du tronc ne montre de marque.
  • Ceintures : deux omoplates de cerf des couches supérieures et une omoplate et un coxal de cerf de la couche u, ainsi qu’un coxal de jeune daim de la couche u sont les quelques restes d’os plat affichant des points d’impact. Le dernier compte un impact en V juste sous la surface semi-lunaire de l’acetabulum. Les trois scapulas de cerf des couches supérieures ont toutes leurs encoches localisées dans la partie proximale du bord postérieur, et le coxal de cerf de la couche u observe un détachement cortical au-dessus de l’acetabulum, au niveau de l’insertion du muscle droit de la cuisse. Quelques-unes de ces marques ont pu participer à la désarticulation des ceintures.
  • Humérus : ces os ont été ouverts pour leur moelle pour 93 % d’entre eux chez les cerfs des trois échantillons et pour 93,8 % chez les daims de la couche u. Plus de 65 % ont des marques de percussion associées. Les régions les plus fréquemment touchées par les coups se situent chez les cerfs au niveau des deux épicondyles distaux (8), de la tubérosité du grand rond (8) et de part et d’autre du foramen sur le bord postérieur (7). Quelques coups ont été également localisés dans les régions de la crête humérale (4) et de la fosse coronoïdienne (3). Pour les humérus de daim, les encoches les plus nombreuses se situent sur la crête humérale (5) et au niveau de la tubérosité du grand rond (4). Trois encoches sont présentes sur le bord postérieur et une sur l’un des bords de la fosse coronoïdienne.
  • Radio-ulnas : ce segment a été légèrement moins atteint par la fracturation que celui qui le précède, 84,4 % sont cassés pour le cerf et seulement 62,1 % pour le daim. Précisons cependant que parmi les onze fragments de radio-ulnas de daim non fracturés, six sont des épiphyses. Les mêmes proportions de traces de coups que pour les humérus sont observées sur cet os. Malgré une répartition assez homogène de ces impacts le long des diaphyses, chez les deux espèces trois zones privilégiées se distinguent : la tubérosité du radius (9) ainsi que les bords médial (7) et latéral (7). Les faces antérieure et postérieure des radius en comptent chacune respectivement deux et trois, tandis que l’ulna en rassemble trois.
  • Carpe : le cerf ne compte aucun os court des membres antérieurs et les cinq attribués au daim sont tous dépourvus de cassures sur os frais.
  • Métacarpe : plus des trois-quarts des métacarpiens ont subi une fracturation (82,6 % pour le cerf et 78,3 % pour le daim). Toutes les marques sont réparties le long des gouttières, la plupart au niveau de leurs arêtes.
  • Fémurs : 86,1 % des fémurs de cerf et 91,3 % de ceux de daim ont des cassures sur os frais. Tous ces os ont connu des chocs plus fréquents dans les parties médiane et proximale du bord antérieur (niveau foramen, 13), de la face médiale (10) et de la surface âpre (7) des diaphyses. Quelques coups (2) témoignant du détachement de l’épiphyse distale ont pu être observés au niveau des tubérosités supra-condylaires. La face latérale en est tout à fait dépourvue.
  • Tibias : pour les cerfs et les daims les proportions respectives de tibias sectionnés sont sensiblement les mêmes, à savoir 90,8 % pour les premiers contre 90,9 % pour les seconds. Contrairement au fémur, les traces de chocs sont ici plus importantes dans les parties médiale et distale que dans la partie proximale. Ils ont été assez ciblés puisqu’une très grande majorité (24) est présente le long du bord latéral sous le foramen et dans la partie médiale de la face postérieure (13). Le bord médial en compte 10. Ceux portés dans la partie proximale l’ont pour la plupart été sur la crête et la tubérosité du tibia (7), contre seulement un sur le côté latéral, juste sous la surface articulaire.
  • Tarse : aucun des cinq os du tarse des daims n’est fracturé tandis qu’un calcanéum parmi les deux seuls tarsiens de cerf affiche une cassure sur os frais.
  • Métatarse : 96,4 % des métatarsiens de cerf et 93,1 % de ceux de daim ont été éclatés, ce qui est légèrement supérieur aux taux observés pour les canons antérieurs. La même répartition des impacts que sur les métacarpiens a pu être relevée, hormis quelques-uns localisés sur les côtés des diaphyses.
  • Phalanges : la moitié des premières phalanges de cerf a été brisée, contre les trois quarts de celles du daim. 44,4 % des deuxièmes phalanges de cette espèce ont été aussi fracturées. Quatre au total affichent des traces de coups sur toute la circonférence de leur diaphyse.

Dans toute la séquence (ensemble 7 mis à part), 43 os longs et phalanges de chevreuils sont fracturés, équivalant à 72,9 % des ossements à moelle (tab. 272). Il s’agit de six humérus, neuf radio-ulnas, quatre métacarpiens, quatre fémurs, huit tibias, sept métatarsiens, quatre métapodes indéterminés et une phalange. La moitié des os longs (21) connaissent une ou plusieurs encoches associées à leurs fractures. Sur l’humérus, trois concernent la crête et les épicondyles. Pour les radio-ulnas, mis à part un coup porté dans la partie distale d’une face antérieure, les cinq autres se répartissent au niveau de la tubérosité (3) et du bord médial (2). Deux impacts ont pu être relevés sur un seul fémur, de part et d’autre de la ligne âpre. Des enlèvements se situent sur le bord latéral de trois tibias et huit canons connaissent des encoches sur les bords de leurs gouttières. Une omoplate sur neuf témoigne d’un impact sur os frais, le coup a été porté dans la partie proximale du bord postérieur.

Les couches inférieures renferment quatorze os longs fracturés de daim, dont onze ont des marques de percussion associées. Les huit os longs de mégacéros issus des trois échantillons ont tous été éclatés et portent tous des points d’impact d’outils lithiques. Les couches supérieures rassemblent quatre fragments de cheval brisés par l’homme sur cinq : un fémur avec une encoche sous le troisième trochanter, un tibia fracturé en face postérieure, un humérus sur le bord de sa fosse coronoïdienne et un coxal au niveau de la grande échancrure sciatique de l’ilium. Dans ces mêmes couches on trouve les deux seuls restes d’humérus de bouquetin brisés, et dans la couche u, deux fragments de fémur et de radio-ulna sur les trois seuls os longs (tab. 272). Cette dernière couche contient enfin le seul reste de grand Bovidé, une épiphyse distale de radius, portant d’ailleurs une fracture sur os frais.

L’extraction systématique de la moelle n’a pas seulement concerné les ossements des proies principales, mais également les quelques rares ossements ppartenant aux espèces secondaires rapportées sous le porche. Quelques scapulas, coxaux et côtes de Cervidés témoignent également de procédés de désarticulation par percussions, mais les témoins de cette méthode restent plus rares que chez les bouquetins des Peyrards. Ajoutons toutefois qu’ici, c’est la rareté des os courts, plats et spongieux qui expliquerait en partie ce déficit.

Dans l’ensemble F de PAYRE , si l’accumulation principale des ossements d’herbivore relève bien d’apports humains, nous avons vu dans le chapitre 4.2.2. que leur fracturation dans la grotte n’était par contre pas du seul fait de l’homme. Les Carnivores, parce qu’ils ont laissé bon nombre de traces de leurs actions sur les surfaces osseuses, ont également dû participer à la fracturation des os à moelle. J’ai donc procédé différemment pour ce gisement que pour les deux précédents, et seuls les fragments dépourvus de traces de morsures et affichant un ou plusieurs point d’impact ont été attribués à une action anthropique. L’action humaine n’a donc pas pu être évaluée en fonction des décomptes d’os fraîchement fracturés, mais seulement à partir de la présence d’encoches ou de détachements corticaux anthropiques (tab. 275). L’analyse, principalement qualitative, est ici faite pour chaque espèce :

  • Cerf : en ce qui concerne le squelette post-crânien, des coups ont été manifestement portés par les hommes sur 72 fragments (46 en Fa, 2 en Fb, 21 en Fc-d et 3 en Findet). En terme de proportions des encoches par rapport au nombre total de restes post-crâniens fraîchement fracturés de cerf dans chaque échantillon, comme pour les marques de boucherie, ce sont les couches profondes Fc-d qui dominent. La rareté des encoches dans le niveau Fb rejoint l’hypothèse précédemment évoquée d’une moindre occupation humaine dans ce niveau (chp. 4.7.1.). Ces deux restes sont deux fragments proximaux de scapulas avec un impact sur leur bord postérieur. Une hémi-mandibule issue de ce niveau affiche également la marque d’un coup porté sur le bord antérieur de sa branche montante. C’est le seul reste crânien de tout l’ensemble qui prouve l’extraction humaine de la pulpe médullaire (une autre mandibule de cerf, ainsi que deux de Boviné et de chevreuil montrent des cassures sur os frais, mais elles sont dépourvus de traces de percussion). Deux autres omoplates des niveaux Fa et Fc-d montrent des encoches dans la partie proximale de leur bord antérieur. Deux coxaux issus du niveau Fa ont été frappés juste au-dessus de l’acetabulum et sur la face interne de la grande échancrure sciatique. Toujours dans ce niveau, trois calcanéums et un talus comptent des impacts le long des bords antérieur et postérieur pour les premiers et sur la face postérieure pour le dernier. Ces coups découlent des procédés de mise en pièces. Les 62 autres fragments sont ceux d'os longs : sept d’humérus, cinq de radius, cinq de fémurs, neuf de tibias et 35 de canons (8 métacarpiens, 26 métatarsiens et 2 métapodes indéterminés) dont l’emplacement des impacts, similaire à celui observé pour les os de cerf des sites de Saint-Marcel et des Peyrards, témoigne de l’extraction de la moelle jaune des diaphyses provenant aussi bien des segments proximaux que distaux.
  • Cheval : 28 restes post-crâniens de cheval ont des traces de percussion. Leurs taux au sein des trois principaux niveaux sont similaires (un peu plus de 10 %). Le seul fragment du niveau b appartient à un tibia et montre un impact le long de l’arête médio-postérieure, juste sous le relief d’insertion du poplité. Les deux os fracturés de l’ensemble indéterminé sont également deux tibias qui comptent des enlèvements anthropiques dans la partie médiale de leurs bords latéraux. Un segment proximal de côte provenant du niveau Fa compte une encoche au niveau de l’angle. Deux premières phalanges issues des niveaux Fa et Fc-d ont révélé des impacts proches de leurs extrémités proximale et distale. Un calcanéum du niveau Fc-d a été endommagé par un outil lithique sur son bord antérieur. 21 autres fragments proviennent d’os longs. Il s’agit de quatre humérus, trois radio-ulnas, deux fémurs, cinq tibias et sept canons. Les humérus montrent des coups sur deux crêtes humérales, une tubérosité du grand rond et une face médiale de trochlée. Les radio-ulnas ont été heurtés à plusieurs reprises sur les bords caudaux de deux olécrânes et au milieu du bord médial d’un radius. Les coups portés sur les deux fémurs ont touché la partie distale de leur face postérieure, le long du bord latéral de la fosse supra-condylaire. Plusieurs impacts se sont répartis sur le bord latéral et la face postérieure des tibias. Les faces antérieures et postérieures des canons ont subi la plupart des coups. Un métapode indéterminé a permis de mettre en évidence plusieurs impacts, dont certains se sont révélés stériles, dans la partie distale de la face postérieure, juste au-dessus du condyle latéral. Ces coups ont certainement eu pour but de détacher l’épiphyse distale. Mis à part les os courts et la côte qui indiquent des percussions pour le dépeçage, tous les autres sont liés à la récupération de la moelle.
  • Bovinés   : les os à moelle de ces grands ongulés n’ont pas subi autant de coups portés par les Néanderthaliens que ceux des chevaux et des cerfs. Seize au total présentent des points d’impact. A l’exception d’un coxal, il s’agit exclusivement de fragments d’os longs qui proviennent des opérations d’extraction de la moelle : six d’humérus, un de radio-ulna, deux de fémurs, cinq de tibias et un de métatarsien. Ce dernier nous donne la chance d’observer les conséquences de quelques coups « ratés » par la présence d’impacts stériles associés à une entaille en V, qui fut quant à elle efficiente. Les deux fémurs montrent des encoches dans la même zone que pour le cheval, à savoir dans la partie distale de leur face postérieure. Sur les humérus, les tubérosités du grand rond et deltoïdienne s’avèrent une fois de plus des lieux favorables aux coups. Le radio-ulna offre une belle encoche corticale en face postérieure, le long de la surface médiale d’insertion ulnaire. La crête tibiale, le bord latéral et la face postérieure, dans la partie médiane de la diaphyse, rassemblent tous les points d’impact répertoriés sur les tibias.
  • Chevreuil   : deux gouttières dorsales de métatarsien et un fragment proximal de scapula sont les trois seuls restes de chevreuil présentant des impacts humains. Récupération de la moelle et désarticulation de l’épaule sont les raisons qui ont déterminé ces coups.
  • Tahr  : quatre enlèvements anthropiques corticaux ont été observés dans la partie distale d’un métatarsien, sur la gouttière dorsale, au niveau de la fosse coronoïdienne d’un humérus, d’une crête tibiale et de la tubérosité d’un radius. Ces os témoignent de l’extraction par l’homme de la moelle de quelques restes osseux de tahrs rapportés à la grotte.
  • Daim   : un calcanéum montre un impact en V sur son bord antérieur. Il s’agit du seul os de daim portant une cassure sur os frais.
  • Rhinocérotidés : un fragment distal de bord médial de fémur révèle un enlèvement interne de la cavité médullaire provenant d’un impact d’outil lithique. Un autre détachement, cortical cette fois-ci, a pu être relevé sur le bord postérieur d’une scapula, juste sous la cavité glénoïde.
  • Mégacéros   : deux extrémités proximales de diaphyses de canons (METc et METt) comprennent des impacts en V avec enlèvements corticaux.
  • Proboscidiens   : une crête humérale et un corps vertébral montrent des traces des percussions.

Tous ces fragments portant des points d’impact ne représentent bien entendu pas l’ensemble des ossements fraîchement fracturés par l’homme présents dans cet ensemble. Ils sont seulement les preuves irréfutables de la récupération de la moelle et de la mise en pièces des carcasses par ces prédateurs à l’aide de procédés de percussion. Les os de chamois et de sanglier sont également dépourvus de fractures sur os frais.

A la grotte des Barasses à BALAZUC , seuls 15 fragments de bouquetin parmi les 85 fragments d’os à moelle présentant une ou plusieurs fractures sur os frais recensés dans le niveau 2-3 sont dépourvus de traces de morsures de Carnivores et comprennent des impacts en V avec enlèvements corticaux ou encoches attribuables à l’homme (17,6 % ; tab. 276). Ces restes comptent quatre hémi-mandibules avec des traces de percussion sous le condyle, le long de la branche montante et sur la base de la branche horizontale. Les onze fragments d’os longs appartiennent à tous les segments des membres antérieur et postérieur (2 humérus, 3 radio-ulnas, 3 fémurs, 2 tibias, 1 métapode) et témoignent de l’extraction de la moelle jaune diaphysaire. A ces 15 os, il faut ajouter un coxal qui présente un impact au niveau de la surface d’insertion du muscle droit au-dessus de l’acetabulum et trois côtes avec des encoches au niveau de leur extrémité proximale. Ces trois restes osseux indiqueraient la séparation coxo-fémorale et le détachement du train-de-côtes. Les os à moelle de cerf ont été plus fréquemment ouverts par l’homme que ceux des bouquetins. On en compte plus de la moitié avec des points d’impact, 8 sur 14 (57,1 %). Ici aussi, cette étape de boucherie concerne tous les types d’os longs (1 humérus, 1 radius, 1 métacarpien, 2 fémurs, 1 tibia et 1 métatarsien). Deux métatarsiens et un radius de renne montrent également des traces de percussion témoignant de l’extraction de la moelle. Les marques se situent aux emplacements habituels sur ces os : le long des gouttières pour les premiers et sur la tubérosité du radius pour le second. Deux impacts ont pu être observés à l’arrière de la tubérosité deltoïdienne d’un humérus de Boviné. Les deux os fracturés de cerf (tibia) et de bouquetin (radius) du niveau 1 comptent tous deux des impacts anthropiques. L’un au-dessus du foramen sur le bord latéral et l’autre sur la tubérosité du radius.

Dans ce gisement, l’analyse des proportions d’ossements portant des traces de percussion pour chaque type d’herbivore rejoint ce que nous avions pu observer pour les marques de boucherie, à savoir une incidence plus grande de l’action humaine sur les ossements des espèces secondaires telles que les cerfs, les rennes et les grands Bovidés, que sur ceux des bouquetins.

A la BAUME FLANDIN , dans la couche 3 deux humérus, deux métacarpiens, un tibia et un calcanéum de cerf ont été brisés par les Néanderthaliens. Le calcanéum a été heurté au niveau du processus coracoïde, sans doute durant la désarticulation du tarse. Les humérus l’ont été en face latérale et au niveau du foramen en face postérieure, les deux métacarpiens le long de leurs gouttières et le tibia s’est ouvert à la suite d’un coup porté sur la crête. Un humérus de chevreuil affiche une encoche de percussion juste au-dessus de son foramen, en face postérieure. A l’inverse de sa richesse en stries de boucherie, le niveau de la salle est plus pauvre en traces de percussion puisque seuls deux fragments d’hémi-mandibule et de métacarpien de cerf en portent (tab. 276).

A l’abri du MARAS , comme pour les sites des Peyrards et de Saint-Marcel, tous les ossements présentant des cassures sur os frais ont été attribués à l’action humaine (tab. 277). Dans le niveau 1, comme dans les ensembles supérieur et inférieur, tous les os à moelle d’herbivores ont été très fréquemment brisés. Les proportions atteignent parfois 100 % pour ceux des cerfs et des chevaux du niveau 1, des rennes de l’ensemble inférieur et des Bovinés de toute la séquence. Le plus faible taux observé est celui des cerfs des couches profondes. Il équivaut tout de même à 58,3 %. Toutes couches confondues, les taux de fragments comprenant des points d’impact associés varient de seulement 14,3 % pour le renne à 54,5 % pour le cheval. L’échantillon des rennes de l’ensemble supérieur a permis d’observer la répartition anatomique de ces fracturations (tab. 278). A l’exception des humérus, brisés seulement pour un tiers d’entre eux, tous les os longs ont des cassures sur os frais pour plus de 70 %. Les canons sont ceux qui ont été les plus exploités. Par contre seule une hémi-mandibule sur sept a été ouverte par l’homme et parmi les cinq tarsiens un talus a été relevé avec une fracture. La pauvreté des points d’impact observés sur les os de renne fracturés au Maras permet de remarquer que l’action humaine n’implique pas obligatoirement des taux en marques de percussion supérieurs à 30 % (cf. chp. 4.2.2., Blumenshine & Selvaggio,1991)

A l’abri des PECHEURS , un seul fragment de bouquetin, sur les huit portant des cassures sur os frais, montre un point d’impact anthropique associé. Il s’agit d’une extrémité proximale de fémur portant deux impacts avec enlèvements corticaux de part et d’autre du foramen nourricier sur le bord antérieur. Le renne compte un reste sur trois avec une trace de percussion. L’enlèvement se trouve sur le bord saillant de la gouttière dorsale d’un métatarsien (tab. 276).

A la grotte du FIGUIER , seule une extrémité distale de tibia de Cervidé indéterminé a permis de remarquer une encoche anthropique située en face postérieure.