Techniques expérimentales et ethnographiques

L. R. Binford (1981) notait que chez les Inuit la moelle était tout d’abord extraite des os longs en séparant épiphyses et diaphyses. Pour la préparation des bouillons, les extrémités osseuses ainsi que les éléments axiaux sont réduits en tous petits morceaux (taille moyenne de 2 cm). Ces derniers sont bouillis dans l’eau dans un récipient en fer, puis les galettes de graisse solidifiées par le froid sont récupérées à la surface. F. Delpech & J.- Ph. Rigaud (1974) ajoutaient à ce processus que bien souvent, après l’extraction de la moelle, les morceaux de diaphyse étaient également fracturés en petits morceaux (inférieurs à 5 cm) puis plongés dans de l’eau chaude. Au bout de peu de temps, un bouillon clair, que boivent les Inuit, en résultait. Des procédés tout à fait similaires ont été décrits chez les Hidatsa (Wilson, 1924) et chez les amérindiens Loucheux (Leechman, 1951). Les mêmes étapes de confection sont suivies par des expérimentateurs comme K. D. Lupo & D. N. Schmitt (1997), J. W. Brink (1997), ou R. R. Church & R. L. Lyman (2003). Ces derniers ont d’ailleurs montré que pour extraire la graisse des os le plus rapidement possible les fragments devaient être inférieurs à cinq centimètres mais rien ne justifiait (au niveau du gain de temps et du rendement) que les os soient concassés en tous petits morceaux, la différence se faisant seulement au cours de la première heure de cuisson. A propos du temps nécessaire à la confection, tous les auteurs font état d’un travail laborieux mais peu donnent d’indications précises. Pour R. R. Church & R. L. Lyman, 80 % de la graisse est extraite en deux à trois heures à partir d’ossements de cerfs de Virginie pour des fragments inférieurs ou égaux à cinq centimètres. Pour une gazelle, K. D. Lupo & D. N. Schmitt ont extrait la majorité de la graisse en une à deux heures de cuisson. Pour le zèbre, ce fut plus difficile : après douze heures, la plus grande partie de la graisse restait encore dans les os.

Quant aux rendements, K. D. Lupo & D. N. Schmitt rappellent que la majeure partie des nutriments peut être extraite de l’animal sans l’aide de bouillons. Ces auteurs, de même que L. R. Binford (1978), indiquent néanmoins que la quantité de graisse rendue grâce aux os est tout de même assez importante par rapport à la quantité globale de graisse d’un animal. Et ce d’autant plus, comme on l’a vu, que l’animal est en état de carence alimentaire. Même en faible quantité, la graisse extraite ne peut donc être négligée à certaines périodes de l’année (Lupo & Schmitt, 1997). D. R. McCullough & D. E. Ullrey (1983) trouvent que sur la quantité de graisse globale d’un cerf de Virginie, 2,3 % reviennent à la moelle et 4 % à la graisse osseuse, le reste appartenant pour la majeure partie à la graisse sous-cutanée (69 % dans les tissus adipeux). Selon R. R. Church & R. L. Lyman (2003), un os seul ne rend que très peu de graisse. Si les humérus, les fémurs et les tibias d’un cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) sont bouillis, environ 28 - 29 ml de graisse sont rendus. C’est notamment ce faible rendement qui les a conduit à se poser la question de la fonction réelle des bouillons gras.

Notons qu’il existe d’autres méthodes pour extraire la graisse osseuse sans l’utilisation de bouillons, notamment par le concassage des extrémités osseuses qui permet d’obtenir une bouillie crue faite de graisse et de minuscules fragments d’os (Brugal, communication orale).